Je ne dirai point comment ces chenilles débutent pour envahir littéralement nos pommiers et nos pruniers, dont elles dévorent les feuilles encore tendres et répandent, sur le tronc et sur les branches, ces filaments grisâtres qui les couvrent entièrement ; je ne dirai pas non plus par quel moyen ingénieux ces vilaines chenilles abandonnent l'arbre ravagé pour en envahir un autre, et portent ainsi la destruction, le trouble dans leur système organique ; je me bornerai à faire connaître un remède efficace à ces maux, et cela, dans l'intérêt commun.
Si nos arbres et nos champs sont depuis quelques années dévastés par des légions d'insectes, si nous sommes devenus nous-mêmes la proie d'une nuée d'êtres infiniment petits, nous ne devons tout cela qu'à l'esprit de destruction qui nous anime. Nous avons perdu de vue que, depuis le plus petit insecte microscopique qui fourmille sous nos pieds jusqu'à l'animal le plus gros qui respire sur le globe, il existe entre tous les êtres un enchaînement tel, qu'il n'est pas possible de briser ou de détruire, sans que l'équilibre qui le compose n'en ressente une forte secousse. Or, quelle guerre lasse ne faisons-nous pas aux petits oiseaux qui peuplent nos campagnes, égaient nos jardins par leurs jolis ramages, et nous débarrassent par-dessus tout des insectes nuisibles qui nous environnent ? Voyez plutôt dans nos villes le sort des hirondelles et des petits moineaux : ils viennent avec confiance déposer sous nos toits inhospitaliers le fruit de leurs amours ; ils en surveillent l'éclosion avec un soin tout maternel ; déjà les petits ont brisé les coquilles qui les tenaient captifs, un léger duvet couvre leurs petits membres, la mère, toute joyeuse, les abrite sous ses ailes, et le père court, va, vient pour les besoins de sa jeune famille, qui jusqu'ici vivait en paix. Mais voilà que, sans la moindre pitié et avec un sentiment presque sauvage, un maraudeur passe par là, emporte la nichée, fait pâture de ces petits oiseaux, et prive ainsi l'humanité de ces êtres inoffensifs, qui avaient pour mission du ciel de nous débarrasser des insectes qui nous sont nuisibles.
Et si encore les nichées d'oiseaux qui échappent aux destructeurs étaient par la sauvées ; mais les pauvres petits êtres ont bien des ennemis à redouter encore dans leur jeune âge. Est-ce qu'ils n'ont pas à craindre les oiseaux de proie et le braconnage? Voyez passer ce grand garçon délabré, qui, pour tout au monde, ne voudrait pas consacrer une heure par jour pour la culture de son intelligence et apprendre un métier manuel : il part de grand matin, un filet sous le bras, une cage à la main, et va passer sa journée entière sur le bord d'un filet d'eau ou d'une mare à guetter les petits oiseaux. Il en prendra ainsi vingt, quarante, soixante, cent, et si la chance est bonne, il y reviendra demain pour en détruire autant. Or, comme il y a partout de ces gens désœuvrés, tout disposés il passer ainsi leurs heures, que l'on compte les oiseaux qui périssent ainsi par semaine !
Et si maintenant il était facile de donner un aperçu de ceux détruits dans les campagnes pendant tout l'été et l'hiver au moyen des lacets, nous serions effrayés du nombre. Qu'on le remarque bien, il n'y a plus d'oiseaux dans les champs. Nous ne voyons plus, comme autrefois, ces nuées de moineaux, d'alouettes, de chardonnerets, de fauvettes, etc. et les merles ont presque disparu. Mais, en revanche, les insectes nuisibles, qui étaient leur pâture, pullulent dans les airs et s'acharnent sur notre pauvre existence.
Prenons donc tous, qui que nous soyons, les oiseaux sous notre protection. Apprenons à nos enfants à respecter leurs nichées; disons à ces oisifs, qui certes auraient mieux à faire et qu'on devrait sévèrement punir, de ne plus aller sur le bord des eaux leur tendre des piéges ; faisons comprendre à tous l'utilité des oiseaux, et, en travaillant à cette œuvre civilisatrice, nous rendrons service à l'humanité.
En terminant cette note, je soutiens que le seul remède efficace à apporter à nos pommiers et pruniers ravagés par les chenilles est la conservation des petits oiseaux. Que l'administration départementale ne perde pas de vue l'idée que je transmets ici ; que des ordres supérieurs soient donnés pour que, dans tous les coins et recoins de nos campagnes, on respecte les nichées d'oiseaux, très nombreuses au temps ou nous sommes, car, sans le concours de ces petits êtres, nos blés, nos arbres fruitiers, nos vignes et tous les produits qui nous alimentent seraient peut-être exposés, par la suite, à de plus graves fléaux.
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La processionnaire du chêne, par Alain Fraval. Insectes n°148, 1er tr. 2008.