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Miscellanées
Les
insectes d'avant
LA MORT DU PHYLLOXERA.
La Bauche, ce 6 août l874.
À M. le Président de la Commission instituée pour juger les meilleurs moyens de détruire le Phylloxera
Nous avons reçu la note suivante, que nous insérons à titre de
renseignements. On ne risque pas grand'chose à faire l’essai du remède
indiqué. De plus, s'il ne fait pas-de bien, il ne peut pas faire de
mal, et c'est un grand point. Il est même à présumer qu'il favorisera
la vigne en lui donnant un aliment utile par l'engrais qu'il laissera
dans le sol, plus heureux en cela que le tabac, dont l'emploi paraît
n'avoir pas réussi, qui d'ailleurs est trop cher à produire, et que
l'administration ne laisserait probablement pas cultiver dans les
vignobles de peur de fraude. Au surplus, on nous entretient chaque jour
de recettes infaillibles pour détruire le phylloxera. Souhaitons que ce
soit un de nos compatriotes qui trouve réellement le vrai moyen d'y
parvenir. Nous serons fiers de sa découverte, heureux de lui voir
attribuer le prix.de 300,000 francs et empressés de profiter de la
lumière qu'il aura répandue sur cette obscure question.
Dans une question aussi grave .que celle pour laquelle M. le ministre
de l'agriculture vient d'instituer une commission spéciale pour juger
les moyens les plus simples et en même temps les plus pratiques de
détruire le Phylloxera, le devoir incombe à tout homme, quel qu'il
soit, d'apporter, au problème à résoudre, son idée, quand il en a une.
C'est, Monsieur le Président, ce que j'ai l'honneur de faire en ce
moment en ma qualité d'ancien agriculteur et d'ancien membre du Congrès
central d'agriculture.
Qu'est-ce qui m'a guidé dans le choix du moyen pour combattre le fléau ?
C'est une grande vérité, que je n'oublierai jamais, vérité que j'ai
entendu énoncer deux années de suite avec éloquence par l'illustre
astronome François Arago, dans son cours public à l'Observatoire de
Paris.
« La vérité, disait le savant professeur, ressemble à une cheville
taillée de telle façon qu'elle soit apte à boucher tous les trous que
l'on pratiquerait dans une planche, quelles que soient leurs formes et
dimensions. Si la-cheville ne les bouche pas tous, mais un certain
nombre seulement, ce ne serait point la vérité.
« La cheville vérité doit boucher tous les trous »
Donc, tirant de ce bel et précieux aphorisme les conséquences logiques
qu'il renferme, le problème à résoudre, en toutes choses devient facile
et possède un critérium ; voici comment je le pose dans le cas qui nous
occupe.
Étant donné un insecte parasite, le Phylloxéra, destructeur de la vigne
et qui exerce les ravages en sous-sol, trouver le moyen d'agir en
sous-sol pour détruire l'insecte ou l'en chasser.
1° Ce moyen doit être simple; afin d'être mis la portée de tous les vignerons ;
2° Il doit être économique, pour permettre-au vigneron de pouvoir s'en servir, car le vigneron est rarement dans l'aisance ;
3° II doit avoir ce moyen sous la main, car il n'ira pas courir les
pharmacies et les drogueries pour acheter des substances coûteuses plus
ou moins chimiques, qu'il ne connaît pas; parlez-lui de sulfhydrate, de
sulfure, de carbonate, phosphate, calcium, etc., est-ce qu'il sait ce
que c'est, peut-il y ajouter confiance ? Non ;
4° Ce moyen qui doit détruire le Phylloxéra ne doit cependant pas nuire
à la vigne car il ne faut pas que le remède soit pire que le mal, ou
qu'il emporte le malade ;
5° Si ce moyen laissait la vigne indifférente de son emploi, ce serait déjà une grande et belle acquisition ;
6° Mais si ce moyen contribuait à enrichir le sol de principes
fécondants et à augmenter.la végétation de la vigne, conséquemment la
récolte, c'est alors que le vigneron pourrait s'écrier : eureka !
Eh bien ! ce moyen est trouvé : je ne l'ai pas essayé en particulier
pour la vigne, .mais pour beaucoup d'autres plantes et je n'ai pas près
de moi de vignes atteintes du Phylloxéra, mais ceci m'importe peu,
étant aussi sûr du moyen pour la vigne que pour les autres végétaux. Ce
moyen est si simple que j'en ferai l'œuf de Christophe Colomb. Est-ce
parce qu'il est si simple que son mérite en serait diminué ? Est-ce
parce qu’il ne fait appel à aucune officine pharmaceutique pour
produire son effet qu'il faut le repousser ? Non.
Tout le monde sait que le chanvre, par son odeur forte, est un
insecticide des plus puissants et des mieux constatés. Il est
.préconisé à juste titre pour détruire la vermine qui infeste les
poulaillers ; il suffit pour cela de jeter dans le poulailler quelques
poignées de chanvre après l'arrachage.
Mis dans une chambre, il en détourne tous les insectes ; placé sur un tas de blé au grenier, il en chasse tous les charançons.
Semé à travers des plantes craignant la dent des pucerons, il les en
préserve ; il éloigne les papillons et les chenilles, une seule
exceptée, c'est le seul ennemi qu'on lui connaisse avec la cuscute.
On a remarqué qu'il enrayait l'oïdium des pommes de terre et détournait presque tous les animaux.
Voici donc un ennemi connu, ancien, redoutable, à opposer au Phylloxera
qui, malgré sa livrée américaine, sera vaincu par son terrible
adversaire cosmopolite : le Chanvre.
Pour cela, que faut-il faire ? Semer au printemps ou en été, dans la
vigne infestée, des graines de chanvre préalablement préparées, afin de
les rendre le plus propre à une belle et prompte végétation et pour ce
les praliner avec des engrais pulvérulents, issue, sang, chaux,
tourteaux, que l'on mélange avec une colle quelconque suffisante pour
obtenir l'adhérence du grain à la matière engrais et, quand le chanvre
est arrivé à la hauteur de 20, 30 ou 35 centimètres, l'enfouir, par un
binage en l'accumulant autant que faire se pourra près du pied et des
racines du cep. On peut renouveler deux fois cette semaille la même
année.
L'odeur du chanvre enfoui tuera ou chassera le Phylloxera, comme il tue
ou chasse tous les insectes avec lesquels il est mis en contact.
Et le chanvre enfoui en vert servira pour la vigne d'un puissant
engrais qui remboursera avec usure les frais de semence par
l'augmentation des fruits obtenus.
J'en appelle au bon jugement de la commission, ce moyen n'est-il pas
évidemment la cheville bouchant tous les trous de notre planche ?
Voyons !
1° Ce moyen-est-il insecticide? Oui, à un très-haut degré ;
2° Est-il simple? Oui ;
3° Est-il à, la portée de tous? Oui ;
4° Est-il économique ? Il est productif ;
5° Est-il nuisible à la vigne ? Non, il la fertilise ;
6° Augmente-t-il la main-d'œuvre ? Non.
Comme on le voit, notre planche a six trous, et ces six trous sont bien
différents les uns des autres; cependant notre cheville les remplit
tous. Donc, c'est la vérité.
Mes essais anciens et nombreux sur l'effet du chanvre, plante à
laquelle j'ai, depuis trente ans au moins, consacré plus d'une page
dans mes écrits, me donnent une confiance entière dans son application
nouvelle pour la destruction de l'insecte américain. J'aurais bien
songé à l'emploi du madia sativa, du tabac, autres plantes à odeur
repoussante, ainsi qu'à d'autres de même nature, mais il y avait des
trous mal bouchés : celui de n'être pas sous la main du vigneron, et
celui de nécessiter une avance de capitaux.
Pour ceux qui pourraient en faire la dépense, je conseillerais une
fumure avec de la poudre de tourteaux oléagineux, placée le plus près
possible des racines. Ce serait un adjuvant précieux au chanvre, soit
comme engrais, soit comme aide puissant et prophylactique.
Le seul emploi des tourteaux oléagineux comme engrais dans un jardin en
détourne tous les insectes ; ceci est le résultat de nombreuses
expériences, l'huile et le savon étant prophylactiques.
Je ne parle pas des substances chimiques dont le nom seul est de l'hébreu pour le vigneron et qu'il se gardera bien d'essayer.
Le vrai remède, le meilleur, est celui qui peut, sans dépense et sans
danger, s'adapter à tous les sols, à toutes les expositions, celui que
l'on a sous la main, que l'on connaît, dont les effets sont certains;
qui, loin de nuire à la vigne, lui sert d'excellent engrais.
Hors de ces conditions de problème à résoudre, je ne reconnaîtrais pas
la vérité, et je ne décernerais pas de prix si j'étais juge.
REVERCHON-CHAMUSSY,
Régisseur des Eaux minérales de la Bauche (Savoie).
Annales agricoles et littéraires de la Dordogne : journal de la ferme modèle et des comices agricoles du département. 1874.
Phylloxéra de la vigne : Daktulosphaira (Viteus) vitifoliae (Hém. Phylloxéridé)
Fiche HYPPZ
À (re)lire : Phylloxéra, le retour ?, par Alain Fraval. Insectes n° 136 (2005-1).
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