Dans la soisante sisiéme experience du premier livre de cette Métamorphose naturele, j'ay representé au vif certaine espece des vers, qui tuent toutte sorte des Chenilles, & dans le même endroit j'en ay décrit les qualités, les armes, & les operations, mais parce que je me trouvois destitué d'experience, lorsque je fis imprimer le premier traité, & que je ne pouvois rien dire de certain touchant la transformation a laquelle ils sont assujettis, & la production qui en arrive j'ay été obligé de le passer sous silence, mais comme j'ay examiné a cêtte heure la chose, avec plus de soin , je ne sera pas hors de propos, de coucher icy par écrit, ce que j'en ay decouvert par succession de temps.
Ce ver donc appelé le destructeur des Chenilles, s'est disposé au changement le second Juin & a demeuré dans la même posture jusques au vingt & quatriéme Septembre, comme il se voit tracé au milieu de la planche, & alors il a produit cét animal , qui est representé au desous, un animal semblable en tout a son pere, a qui on peut approprier ces Proverbes, tel ouvrier tel ouvrage, tel pot tel couvercle, telle dent telle morsure, telle semence telle moisson, tel pere tel fils. Ce ver porte deus ferres en forme des pincettes , qu'il foure dans le ventre des Chenilles, les tue, & en suce toutte la substance, de même aussi cet Insecte, qui en est produit, est garni de deus crochets , dont il perce & creve les œufs des fourmis & des taupe-grillons en quelque endroit qu'il les trouve : il combat aussi fort opiniâtrement avec ses semblables, particulierement quand il n'a rien mangé de trois jours, c'est alors qu'il se sert vigoreusement de ces deus trompes, & temoigne sa vaillance a la maniere du ver , dont il a pris la mechanceté avec la naissance, comme la perversité des mechans ne se contracte pas tant par habitude , qu'elle provient de la nature. Peut on cueillir des raisins des épines ou des figues des chardons ? Le mauvais arbre produit de mauvais fruits, & il ne se peut faire nullement qu'il en porte des bons. Comme la sapience divine qui ne sauroit mentir en parle au septiéme de saint Mathieu verset seisisiéme : ainsi est ce une chose hors de dispute, que l'engendré est toujours semblable a l'engendrant, si ce n'est pas quant a l'espece , ce sera pour le moins quant aus accidens qui seront propres a cêtte espece. Les courbeaus ne produisent jamais des moineaus, ny les milans des pinfons, ny les loups des brebis.
Fortes creantur fortilus & bonis
Est injuvencis, est in equis patrum
Virtus ; nec imbellem feroces
Progenerant aquilæ columbam,
Comme le dit fort bien un ancien Poete. Ainsi les mechans animaus sont engendrés & éclos de leur semblables, comme un mauvais œuf d'un mauvais courbeau. Il ne faut pas donc trouver étrange s'il resemble son pere en humeur & en complexion, puisque cela arrive ordinairement, mais ce qui merite d'étre consideré & est digne d'admiration dans ces animaus, est que tous les ans ils changent de couleur & de forme exterieure , comme une herbe appelée ixias dont Pline fait mention au vingt & deusiéme livre de son histoire naturele; cette herbe change de couleur avec la terre étant tantôt noire, tantôt verte, parfois jaune & parfois de quelque autre couleur, dont elle ne porte pas sans raison le nom de Cameleon, qui seul entre les animaus ne boit, ni ne mange, mais vît de l'air seulement ; comme le même auteur en fait foi, & change souvent de couleur aus yeus a la queë & sur tout le corps : & selon Aristote il devient quelques fois noir & ne resemble pas mal au Crocodile, quelques fois il pâlit, & devient presque semblable au lesard, & quelques fois enfin il est tacheté comme le Leopard : dont les Grecs & les Latins ont fait leur proverbe qu'ils disent, d'un homme inconstant & fantasque, qu'il est plus changeant que le Cameleon.
Ainsi cet Insecte reçoit de coleurs diverses, comme le mauvais drap perd facilement fon lustre, dont les flamans ont accoutumé de dire qu'un mauvais drap change aysement de couleur. La premiere année il est de couleur verte & blaffarde, luisant sur le devant, de couleur plus vive sur la tête, & de couleur de pourpre sur le derriere, & retient touttes ces couleurs jusques a la deusiéme année, car alors il devient noir comme de la pois on du jayet & paroit beaucoup plus mechant qu'auparavant, amandant la vie comme le louveteau : ou comme les pervers & les imposteurs changent de mal en pis ainsique saint Paul en parle ; ou comme les impies prenent accroisement dans leur impieté, dont on peut voir ce qu'en dit l'Apostre dans la seconde Epître a Timothée. De même ces animaus sont le symbole & la figure de ces hommes brutaus qui augmentent toujours & avancent tous les ans en iniquité ; car la seconde année ils ne molestent pas seulement les Chenilles ; mais attaquent aussi les autres Insectes & combatent jusques a la mort, particulierement si on les laisse jeuner deus fois vingt & quatre heures. Si on leur presente des œufs des fourmis, ou des taupe-grillets, ils les saisissent avidemment & en hument toutte la substance, comme les Ecurieus sucent les œufs des poules, dont aussi ils prenent leur nom chés les flamans. Comme ce petit animal est l'enemi de tous les insectes & tache de les devorer ; il n'a pas moins ses adversaires qui le poursuivent de tout leur pouvoir , & particulierement les taupe-grillets, qui leur dressent des embuches & font des mines tout a l'entour de leur nids, la ou ils sont aus aguets pour les engloutir : & comme eus ont accoutumé d'exterminer les Chenilles , ils font paiés de la même monnoje, & comme ils ont traité les taupe-grillets lorsqu'ils n'étoient pas encore éclos ; ainsi les traitent les taupe-grillets a leur tour, quand ils sont dans leur vigueur, puisqu'ils les surpassent de beaucoup en force.
Ces vers font dans leur deusiéme année devant qu'ils subissent aucun changement, & ne muent pas la peau qu'a mesure qu'ils prenent une nouvelle forme, & alors ils quittent leur premiere peau a la maniere des serpens & deviénent blanchâtres, & on voit de chaque côté des aisles, qui commencent a pousser, comme ils ont aussi la tête & les piés couvers d'une petitte membrane ou bien d'une pellicule, qui augmente a même temps , que les piés croissent, & vient a la fin a tomber. Or il semble que cêtte petitte membrane leur est donnée , pour servir a conserver leur membres pendant qu'ils sont dans l'état de transformation , laquelle étant parachevée, ils paroissent étre sans vie & sans mouvement, se tenant fermement attachés a une petitte motte de terre, qu'ils se font eus mêmes. J'ay appelé ce ver pour y mettre de la difference d'avec les autres Mange-œufs-des-grillons.
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Peut-être le Carabe doré, alias Jardinière, alias Vinaigrier, Carabus auratus (Col. Carabidé) ?