Vers la page d'accueil d'OPIE-Insectes    


Florilège entomologique (2)

Vers la page 1 du Florilège (Florian, Fabre, Jules Renard, Charles Nodier, La Fontaine).

Ici : Victo Hugo, Emma Mahul, L'aigle et l'escarbot, Gérard de Nerval, Guillaume Apollinaire, Comptines et formulettes...


Victor Hugo [1802 ? 1885]

Les insectes ne pouvaient laisser indifférent cet immense poète. Cependant son approche n'est pas entomologique et fait souvent appel aux poncifs. Si l'on devait résumer les images de l'insecte dans l'œuvre hugolienne, on y découvrirait le "ver" symbole macabre de destruction :
Et Chéops répéta " je suis l'Éternité "
Alors le ver du sépulcre chanta
Moi je rampe et j'attends.

Mais aussi le Papillon emblème de l'amour ou encore l'Abeille butineuse et la guêpe qui...
touche ta joue en fleur de son aile de crêpe.

Mis à part l' "insecte noir" nécrophage, complaisamment développé dans l'Épopée du Ver de la Légende des siècles (XIII)
Fouillez la mort. Fouillez l'écroulement terrible
Que trouvez?vous ? l'insecte
………..
Je regarde le fils naître et j'attends le père
En dévorant l'aïeul
………..
Le monde est un festin. Je mange les convives.
L'océan a des bords, ma faim n'a pas de rives ;
Et le gouffre c'est moi

On retiendra ici quelques poèmes des Contemplations où papillons et coccinelles se prêtent aux jeux amoureux et sont parfois le support d'un érotisme original.
Commençons d'abord par un passage du roman Quatre vingt treize où l'abeille peut figurer l'Homme en quête de connaissance.

Puis une abeille entra.
Rien ne ressemble à une âme comme une abeille. Elle va de fleur en fleur comme une âme d'étoile en étoile, et elle rapporte le miel comme l'âme rapporte la lumière.
Celle-ci fit grand bruit en entrant, elle bourdonnait à voix haute, et elle avait l'air de dire : J'arrive, je viens de voir les roses, maintenant je viens voir les enfants. Qu'est?ce qui se passe ici ?
Une abeille, c'est une ménagère, et cela gronde en chantant.
Tant que l'abeille fut là, les trois petits ne la quittèrent pas des yeux.
L'abeille explora toute la bibliothèque, fureta les recoins, voleta ayant l'air d'être chez elle et dans une ruche, et rôda, ailée et mélodieuse, d'armoire en armoire, regardant à travers les vitres les titres des livres, comme si elle eût été un esprit. Sa visite faite, elle partit.
- Elle va dans sa maison, dit René-Jean.
- C'est une bête, dit Gros-Alain.
- Non, repartit René-Jean, c'est une mouche.
- Muche, dit Georgette

Aurore


Le brin d'herbe, vibrant d'un éternel émoi,
S'apprivoise et devient familier avec moi,
Et, sans s'apercevoir que je suis là, les roses
Font avec les bourdons toutes sortes de choses.
Quelquefois, à travers les doux rameaux bénis,
J'avance largement ma face sur les nids,
Et le petit oiseau, mère inquiète et sainte,
N'a pas plus peur de moi que nous n'aurions de crainte,
Nous, si l'œil du bon Dieu regardait dans nos trous ;
Le lis prude me voit approcher sans courroux,
Quand il s'ouvre aux baisers du jour ; la violette
La plus pudique fait devant moi sa toilette ;
Je suis pour ces beautés l'ami discret et sûr
Et le frais papillon, libertin de l'azur,
Qui chiffonne gaîment une fleur demi nue,
Si je viens à passer dans l'ombre, continue,
Et, si la fleur se veut cacher dans le gazon,
II lui dit : -Es-tu bête ! (II est de la maison).

Vere novo

Comme le matin rit sur les roses en pleurs
Oh ! les charmants petits amoureux qu'ont les fleurs
Ce n'est dans les jasmins, ce n'est dans les pervenches
Qu'un éblouissement de folles ailes blanches
Qui vont, viennent, s'en vont, reviennent, se fermant,
Se rouvrant, dans un vaste et doux frémissement.
O printemps ! quand on songe à toutes les missives
Qui des amants rêveurs vont aux belles pensives,
A ces cœurs confiés au papier, à ce tas
De lettres que le feutre écrit au taffetas,
Au message d'amour, d'ivresse et de délire
Qu'on reçoit en avril et qu'en mai l'on déchire,
On croit voir s'envoler, au gré du vent joyeux,
Dans les prés, dans les bois, sur les eaux, dans les cieux,
Et rôder en tous lieux, cherchant partout une âme,
Et courir à la fleur en sortant de la femme,
Les petits morceaux blancs, chassés en tourbillons
De tous les billets doux, devenus papillons.

La coccinelle

Elle me dit : Quelque chose
Me tourmente. Et j'aperçus
Son cou de neige, et, dessus,
Un petit insecte rose.

J'aurais dû - mais, sage ou fou,
A seize ans on est farouche -,
Voir le baiser sur sa bouche
Plus que l'insecte à son cou.

On eût dit un coquillage ;
Dos rose et taché de noir.
Les fauvettes pour nous voir
Se penchaient dans le feuillage.

Sa bouche franche était là
Je me courbai sur la belle,
Et je pris la coccinelle ;
Mais le baiser s'envola.

- Fils, apprends comme on me nomme,
Dit l'insecte du ciel bleu,
Les bêtes sont au bon Dieu,
Mais la bêtise est à l'homme.

Les illustrations proviennent de l'ouvrage d'Hyppolyte Lucas "Histoire naturelle des Lépidoptères d'Europe" dont on connaît trois éditions (1834-35 ; 1845 ; 1864). Les planches, au nombre de 79 dans la seconde édition, sont peintes par A. Noël.

[R] Paru dans Insectes n° 120

Puissance égale bonté

Au commencement, Dieu vit un jour dans l'espace
Iblis venir à lui ; Dieu dit: " Veux-tu ta grâce ?
- Non, dit le Mal. ? Alors que me demandes-tu ?
- Dieu, répondit Iblis de ténèbres vêtu,
Joutons à qui créera la chose la plus belle. "
L'Être dit : " J'y consens. ? Voici, dit le Rebelle :
Moi, je prendrai ton œuvre et la transformerai.
Toi, tu féconderas ce que je t'offrirai ;
Et chacun de nous deux soufflera son génie.
Sur la chose par l'autre apportée et fournie.
- Soit. Que te faut-il ? Prends, dit l'Être avec dédain.
- La tête du cheval et les cornes du daim.
Prends. " Le monstre hésitant que la brume enveloppe
Reprit : " J'aimerais mieux celles de l'antilope.
- Va, prends. " Iblis entra dans son antre et forgea.
Puis il dressa le front. " Est-ce fini déjà ?
Non. ? Te faut-il encore quelque chose? dit l'Être.
- Les yeux de 1'éléphant, le cou du taureau, maître.
Prends. - Je demande, en outre, ajouta le Rampant,
Le ventre du cancer, les anneaux du serpent,
Les cuisses du chameau, les pattes de l'autruche.
Prends. " Ainsi qu'on entend l'abeille dans la ruche,
On entendait aller et venir dans l'enfer
Le démon remuant des enclumes de fer.
Nul regard ne pouvait voir à travers la nue
Ce qu'il faisait au fond de la cave inconnue.
Tout à coup, se tournant vers l'Être, Iblis hurla :
" Donne-moi la couleur de l'or. " Dieu dit : " Prends-la. "
Et, grondant et râlant comme un bœuf qu'on égorge,
Le démon se remit à battre dans sa forge ;
Il frappait du ciseau, du pilon, du maillet,
Et toute la caverne horrible tressaillait ;
Les éclairs des marteaux faisaient une tempête ;
Ses yeux ardents semblaient deux braises dans sa tête ;
Il rugissait ; le feu lui sortait des naseaux,
Avec un bruit pareil au bruit des grandes eaux
Dans la saison livide où la cigogne émigre.
Dieu dit : " Que te faut-il encor ? - Le bond du tigre.
- Prends. - C'est bien, dit Iblis debout dans son volcan.
Viens m'aider à souffler ", dit-il à l'ouragan.
L'âtre flambait ; Iblis suant à grosses gouttes,
Se courbait, se tordait, et, sous les sombres voûtes,
On ne distinguait rien qu'une sombre rougeur
Empourprant le profil du monstrueux forgeur.
Et l'ouragan l'aidait, étant démon lui-même.
L'Être parlant du haut du firmament suprême
Dit : " Que veux-tu de plus? " Et le grand paria,
Levant sa tête énorme et triste, lui cria
" Le poitrail du lion et les ailes de l'aigle. "
Et Dieu jeta, du fond des éléments qu'il règle,
A l'ouvrier d'orgueil et de rébellion
L'aile de l'aigle avec le poitrail du lion.
Et le démon reprit son œuvre sous les voiles.
" Quelle hydre fait-il donc? " demandaient les étoiles.
Et le monde attendait, grave, inquiet, béant,
Le colosse qu'allait enfanter ce géant;
Soudain, on entendit dans la nuit sépulcrale
Comme un dernier effort jetant un dernier râle ;
L'Etna, fauve atelier du forgeron maudit,
Flamboya ; le plafond de l'enfer se fendit,
Et, dans une clarté blême et surnaturelle,
On vit des mains d'Iblis jaillir la sauterelle.

[R]


Emma Mahul

Emma Mahul a fait imprimer en 1869 à Florence un ouvrage très rare intitulé : L'Entomologie en cent distiques dédiée aux jeunes garçons, avec une préface, également en vers, contenant la biographie comme naturaliste du général comte Dejean son père.
Il m'a paru curieux, dans le cadre de ce florilège, de faire figurer, au milieu d'auteurs connus et reconnus, les vers quelque peu puérils d'une inconnue dont la seule qualité est d'être la fille d'un grand entomologiste. On sait qu'Auguste Dejean fut mêlé à la vie militaire de la Révolution et de l'Empire et qu'il fut amateur éclairé dont l'importante collection fut vendue à sa mort en plusieurs lots.
Dans cette plaquette, elle évoque en manière d'introduction la vie de son père et rappelle ici un épisode où sa passion des insectes ne cède en rien à son courage.
" Lui même il racontait que pendant la bataille arrêtant son cheval au fort de la mitraille il fixait à son casque un insecte léger puis de nouveau courait au devant du danger ". C'est en effet à la bataille d'Alcañiz (1809), en Espagne, qu'il aperçoit un Cebrio posé sur une fleur. Il met aussitôt pied à terre et le pique dans son casque doublé de liège. Immédiatement après le combat s'engage et, malgré que la mitraille ait séverement maltraité son casque, Dejean retrouve son précieux Cebrio qu'il nomma ustulatus.
" Dictant pour vos enfants et non pour l'univers j'enferme la science en leçons de deux vers "
C'est ainsi qu'elle introduit son essai dont voici quelques échantillons.

Papillon
Pour vous lépidoptère et pour nous papillon
Je ne veux le nommer que sous ce léger nom

Ver à soie
L'humble Magnan, ce ver si peu flatteur à l'œil
Enrichit un pays lui léguant son linçeuil

Libellules
Le mâle est noir et bleu ; vertes sont les femelles ;
Deux à deux ils s'en vont… étranges demoiselles !

L'Éphémère
L'éphémère aux yeux d'or, verdâtre, transparente
Par heures comptera, naissant presque mourante.

Le Cousin
Lorsqu'on subit les traits du Cousin redouté
Le miroir vous présente un portrait peu flatté.

La Guêpe
Plus belle que l'abeille elle a presque son art
Mais pour elle est son miel et pour nous est son dard.

La Mante
Une mante attendrit le chrétien jardinier,
ses pattes se croisant, elle a l'air de prier.

Poux, puce
Des poux et de la puce, enfant je te fais grâce
Observe-les toi-même, et donne leur la chasse

Coléoptères
D'un pas agile et sûr va la couturière
Au sein des fleurs s'endort le hanneton brillant
Mais pour voler plus haut, bien plus haut que la terre
N'avons nous pas de cerf-volant ? !

Rosalie
Chez quelle Rosalie aussi prude que belle
Le doux nomenclateur en prit le modèle ?

Cantharide
Remède salutaire ou parfois homicide
Sur le frêne de loin se sent la cantharide.

Hanneton
Il dévaste l'ormeau comme il rongeait sous terre
Son vol de l'étourdi nous peint le caractère.

Hoplie
Petit hanneton bleu, dépeins-nous ta couleur ?
Le reflet de l'argent, l'azur du lin en fleur.

Cétoine
Bien que chose commune, ah ! l'admirable chose
Que deux hannetons verts couchés dans une rose !

Coccinelle
Naïve coccinelle, innocent petit être,
Tu réponds pour tes sœurs au nom de ton bon maître

[R] Paru dans Insectes n° 121


L'Aigle et l'Escarbot

Ésope, Aisôpos (VIe s.), Didier Érasme (1469-1536), Agnolo Firenzuola (1493-1543), Jean de la Fontaine (1621-1695)

Il m'a semblé intéressant de suivre comment un même thème : le scarabée se vengeant de l'aigle, appartenant au patrimoine mondial, a pu inspirer différents auteurs.
On trouve sous ce titre, dans les fables d'Ésope, une version reprenant vraisemblablement de très anciennes légendes indiennes.
Des allusions au scarabée d'Ésope, se retrouvent dans Aristophane (Les guêpes, Lysistrata, La paix). Mais c'est surtout l'humaniste Érasme qui a développé l'apologue d'Ésope dans son adage 2601. Il décrit longuement les caractères des deux protagonistes en s'appuyant sur des écrits anciens comme ceux de Pline. C'est pour lui prétexte à comparer l'aigle aux puissants et le bousier à la plèbe qui pense que " sa race serait humiliée si ce forfait de l'aigle demeurait à jamais impuni " (1).
Ce thème était d'ailleurs familier à l'époque de la Renaissance et un conteur italien, Agnolo Firenzuola, a reprit le sujet dans ses Discours des animaux d'après la version espagnole du Pañcatrauta (recueil de très vieux contes indiens paru au VIe siècle).
Enfin La Fontaine rapporte la fable sans lui donner une véritable morale. Pourtant, racontant la vie d'Ésope le Phrygien, il fait dire au fabuliste au moment où les Delphiens vont le mettre à mort : " Il vous arrivera la même chose qu'à l'Aigle, laquelle nonobstant les prières de l'Escarbot, enleva un lièvre qui s'était réfugié chez lui. La génération de l'Aigle en fut punie jusque dans le giron de Jupiter ".

Relisons maintenant Ésope, Firenzuola et La Fontaine

Un lièvre était poursuivi par une aigle. Dans sa détresse, il en fut réduit à demander de l'aide au seul animal qui s'offrit à ses yeux : un scarabée. Celui-ci rassura le lièvre et dit à l'aigle qui s'approchait : " Je t'en prie, épargne mon suppliant ". Mais l'aigle qui n'avait que mépris pour la petite taille du scarabée, dévora le lièvre sous ses yeux. Dès lors, plein de rancune, le scarabée n'avait de cesse d'épier l'aigle. Quand celui-ci pondait, il montait jusqu'à son nid d'où il faisait rouler les œufs pour les casser. Ne sachant plus où les poser, l'aigle se réfugia auprès de Zeus, son protecteur attitré, et lui demanda un lieu sûr pour y établir sa nichée. Zeus lui permit de pondre dans le pli de son vêtement. Mais cela n'avait pas échappé au scarabée : il fit une boulette de crotte et pris son vol. Parvenu au dessus du giron de Zeus, il laissa tomber la boulette. Et voici qu'en se levant pour se débarrasser de la crotte, Zeus, oubliant les œufs, les fit tomber à terre. C'est depuis lors, dit-on, que les aigles ne nichent plus à la saison des scarabées.
Il n'est faible qui, outragé, n'ait un jour la force de se venger : avis à qui le regarde de haut.
Ésope

Un aigle puissant pourchassait un lièvre. Il était sur le point de l'atteindre, lorsque le malheureux, ne voyant plus de remède à son destin, se recommanda à un escarbot qui habitait les affreuses montagnes de Cavagliano (1). Le courageux insecte promit hardiment toute son aide et son soutien : lorsqu'il vit que l'aigle allait saisir le lièvre il le pria de l'épargner, parce que celui-ci était son ami et s'était recommandé à lui. L'aigle ne fit qu'en rire, et pour bien montrer combien il faisait peu de cas de ces paroles, il mangea aussitôt le lièvre en présence de l'escarbot. Ce dernier se tint coi, attendant l'occasion de se venger.
Lorsqu'arriva le temps des nids, l'escarbot épia l'endroit où l'aigle avait fait le sien et, un jour où celui-ci était à la chasse, il vola et, retournant ses œufs, comme si c'était des crottes, les fit tomber à terre. Dès qu'il s'en aperçu, l'aigle fut bouleversé, et se rendit aussitôt auprès de son maître Jupiter : il lui conta l'affaire, et le pria de lui indiquer un endroit où il pourrait déposer ses œufs en toute sécurité. Jupiter, considérant que l'aigle l'avait bien servi pour la conquête de Ganymède, ne put se dérober et, comme aucun autre lieu plus sûr ne se présentait alors à lui, il dit à l'aigle de déposer ses œufs dans son propre giron : ce qui fut fait. La chose étant venue aux oreilles de l'escarbot, celui-ci roula prestement une boulette de sa fabrication, l'emporta au ciel, et la mit adroitement dans le sein de ce morveux de Jupiter. Sentant s'exhaler une odeur point trop bonne, Jupiter plongea la main dans son sein pour se débarrasser de cette crotte et, tout en secouant sa chemise, se baissa vers la terre et fit tomber, en même temps, les œufs de l'aigle qui se brisèrent. C'est ainsi que le courageux escarbot, par une ruse audacieuse se vengea bien deux fois sur les rejetons, pas encore éclos, d'un oiseau si fort et si privilégié. Et depuis ce temps là, l'aigle n'a jamais plus osé pondre quand les escarbots se trouvent dans la région.
Firenzuola

L'aigle donnait la chasse à maître Jean Lapin,
Qui droit à son terrier s'enfuyait au plus vite.
Le trou de l'escarbot se rencontre en chemin
Je laisse à penser si ce gîte
était sûr : mais où mieux ? Jean lapin s'y blottit
L'aigle fondant sur lui nonobstant cet asile,
L'escarbot intercède et dit :
Princesse des oiseaux, il vous est fort facile
D'enlever malgré moi ce pauvre malheureux :
Mais ne me faites pas cet affront, je vous prie ;
Et puisque Jean Lapin vous demande la vie
Donnez-la-lui, de grâce, ou l'ôtez à tout deux :
C'est mon voisin, c'est mon compère.
L'oiseau de Jupiter, sans répondre un seul mot,
Choque de l'aile l'escarbot,
L'étourdit, l'oblige à se taire
Enlève Jean Lapin. L'escarbot indigné,
Vole au nid de l'oiseau, fracasse, en son absence,
Ses œufs, ses tendres œufs, sa plus douce espérance.
Pas un seul ne fut épargné.
L'aigle étant de retour, et voyant ce manège,
Remplit le ciel de cris ; et, pour comble de rage,
Ne sait sur qui venger le tort qu'elle a souffert.
Elle gémit en vain ; sa plainte au vent se perd.
Il fallut pour cet an vivre en mère affligée.
L'an suivant, elle mit son nid en lieu plus haut.
L'escarbot prend son temps, fait faire aux œufs le saut :
La mort de Jean Lapin derechef est vengée.
Ce second deuil fut tel, que l'écho de ces bois
N'en dormit de plus de six mois.
L'oiseau qui porte Ganymède
Du monarque des dieux enfin implore l'aide,
Dépose en son giron ses œufs, et croit qu'en paix
Ils seront dans ce lieu ; que pour ses intérêts,
Jupiter se verra contraint de les défendre :
Hardi qui les irait là prendre.
Aussi ne les y prit-on pas.
Leur ennemi changea de note,
Sur la robe du dieu fit tomber une crotte :
Le dieu la secouant jeta les œufs à bas.
Quand l'aigle sut l'inadvertance,
Elle menaça Jupiter
D'abandonner sa cour, d'aller vivre au désert,
De quitter toute dépendance,
Avec mainte autre extravagance.
Le pauvre Jupiter se tut :
Devant son tribunal l'escarbot comparut,
Fit sa plainte et conta l'affaire.
On fit entendre à l'aigle, enfin, qu'elle avait tort.
Mais les deux ennemis ne voulant point d'accord,
Le monarque de dieux s'avisa, pour bien faire,
De transporter le temps où l'aigle fait l'amour,
En une autre saison, quand la race escarbote
Est en quartier d'hiver et, comme la marmote,
Se cache et ne voit point le jour.

La Fontaine II, VIII

NB : Le terme d'escarbot désigne un Coléoptère que l'on identifie soit au Nécrophore, soit au Hanneton, mais plus généralement au scarabée.
(1) Érasme - coll. Bouquins, éditions Robert Laffont, Paris 1992, pp. 155 - 199.

[R]


Gérard de Nerval (pseudonyme de Gérard Labrunie), 1808-1855

Écrivain romantique, ami de Théophile Gautier, voyageur érudit, collaborateur à de nombreux journaux et revues, il a laissé une œuvre diverse et prolixe. Il publie, après 1830, des odelettes intimistes dont l'une, la plus célèbre, sera intitulée Les Papillons.
C'est peut-être du passage de son enfance dans le Valois, où il fut élevé par un oncle, qu'il a conservé cet émerveillement pour la nature. Par la suite, il entretiendra dans ses écrits des échanges imprécis, une sorte d'osmose entre le rêve et la vie. La mythologie de l'insecte est parfois présente et le thème de la métamorphose dans la chrysalide sera repris dans Aurélia : "Longtemps encore ils gardaient les apparences de la vie, puis semblables à la chrysalide qui file son cocon, ils s'endormaient quarante jours pour renaître sous la forme d'un jeune enfant…"
Pour l'heure, laissons Gérard de Nerval nous entraîner, par la magie de la poésie, dans un monde de couleurs et de symboles.

Les Papillons

I

De toutes les belles choses
Qui nous manquent en hiver,
Qu'aimez-vous mieux ? - Moi, les roses ;
- Moi, l'aspect d'un beau pré vert ;
-Moi, la moisson blondissante,
Chevelure des sillons ;
-Moi, le rossignol qui chante ;
- Et moi, les beaux papillons !

La papillon, fleur sans tige,
Qui voltige,
Que l'on cueille en un réseau ;
Dans la nature infinie,
Harmonie
Entre la plante et l'oiseau !…

Quand revient l'été superbe,
Je m'en vais au bois tout seul :
Je m'étends dans la grande herbe,
Perdu dans ce vert linceul.
Sur ma tête renversée,
Là, chacun d'eux à son tour,
Passe comme une pensée
De Poésie et d'amour !

Voici le papillon faune,
Noir et jaune ;
Voici le mars azuré,
Agitant des étincelles
Sur ses ailes
D'un velours riche et moiré.

Voici le vulcain rapide,
Qui vole comme un oiseau :
Son aile noire et splendide
Porte un grand ruban ponceau.
Dieux ! Le soufré, dans l'espace,
Comme un éclair a relui…
Mais le joyeux nacré passe,
Et je ne vois plus que lui !

II

Comme un éventail de soie,
Il déploie
Son manteau semé d'argent ;
Et sa robe bigarrée
Est dorée
D'un or verdâtre et changeant.

Voici le machaon-zèbre,
De fauve et de noir rayé ;
Le deuil, en habit funèbre,
Et le miroir bleu strié
Voici l'argus, feuille-morte,
Le morio, le grand-bleu,
Et le paon-de-jour qui porte
Sur chaque aile un œil de feu !

Mais le soir brunit nos plaines ;
Les phalènes
Prennent leur essor bruyant,
Et les sphinx aux couleurs sombres,
Dans les ombres
Voltigent en tournoyant

C'est le grand paon à l'œil rose
Dessiné sur un fond gris,
Qui ne vole qu'à nuit close,
Comme les chauves-souris :
Le bombice du troëne,
Rayé de jaune et de vert,
Et le papillon du chêne
Qui ne meurt pas en hiver !…

Voici le sphinx à la tête
De squelette,
Peinte en blanc sur un fond noir,
Que le villageois redoute,
Sur sa route,
De voir voltiger le soir.


Je hais aussi les phalènes,
Sombres hôtes de la nuit,
Qui voltigent dans nos plaines
De sept heures à minuit ;
Mais vous, papillons que j'aime,
Légers papillons de jour,
Tout en vous est un emblème
De poésie et d'amour !

III

Malheur papillons que j'aime,
Doux emblème,
Á vous pour votre beauté !…
Un doigt, de votre corsage,
Au passage,
Froisse, hélas ! le velouté !…

Une toute jeune fille
Au cœur tendre, au doux souris,
Perçant vos cœurs d'une aiguille,
Vous contemple, l'œil surpris ;
Et vos pattes sont coupées
Par l'ongle blanc qui les mord,
Et vos antennes crispées
Dans les douleurs de la mort !…

[R]


Guillaume Apollinaire (1880-1918)

On peut savourer la poésie d'Apollinaire en ignorant tout de son origine, né à Rome fils d'une polonaise Angélica de Kostrowitzky…, de ses voyages, de ses amours, de ses goûts artistiques, etc.
Cet écrivain, conteur, dramaturge, journaliste, critique d'art, nous a laissé une œuvre abondante. Mais c'est surtout dans sa poésie, qui s'ouvre à tous les niveaux de lecture, que l'on trouve source de plaisir.
Parmi ses recueils poétiques, Alcools et Calligrammes (dont l'écriture pictographique où la disposition des vers dessine l'objet que le mot signifie) sont connus de tous.
Pour notre Florilège, on retiendra une de ses premières œuvres, le Bestiaire ou le Cortège d'Orphée, charmante fantaisie où les animaux se prêtent à l'expression poétique.
On lira ici les quatre poèmes au titre entomologique qui figurent dans l'édition originale, auxquels on a joint un quatrain publié après sa mort, Le morpion, destiné initialement au Bestiaire mais peut-être jugé trop libre.
On sait que cette édition de 1911, sortie en 120 exemplaires, fut illustrée par des bois gravés de Raoul Dufy qui collabora étroitement avec l'auteur pour ce travail. Enfin, ces petits poèmes furent une sorte de symbiose de toutes les formes d'art puisque Francis Poulenc en mis quelques uns en musique et, plus précisément, La sauterelle.
Mis à part le Bestiaire, on peut retrouver dans sa production poétique des passages où l'insecte est discrètement évoqué :

Les bourgs et les jardins au printemps sont ardents
Le jour de mimosas la nuit de lucioles
Et les princesses nues vont de loin regardant
Le pollen lumineux et les feux qui feuillolent
[…]
La nudité des lacs frissonne aux demoiselles
Baisant d'élytres bleus leur écumeuse ardeur.

Orphée

Regardez cette troupe infecte
Aux mille pattes, aux cent yeux :
Rotifères, cirons, insectes
Et microbes plus merveilleux
Que les sept merveilles du monde
Et le palais de Rosemonde !

La chenille

Le travail mène à la richesse.
Pauvres poètes, travaillons !
La chenille en peinant sans cesse
Devient le riche papillon.

La mouche

Nos mouches savent des chansons
Que leur apprirent en Norvège
Les mouches ganiques qui sont
Les divinités de la neige.

La puce

Puces, amis, amantes même,
Qu'ils sont cruels ceux qui nous aiment !
Tout notre sang coule pour eux.
Les bien-aimés sont malheureux.

La sauterelle

Voici la fine sauterelle,
La nourriture de saint Jean.
Puissent mes vers être comme elle,
Le régal des meilleures gens.

Le morpion

Imitons la ténacité
De cet insecte qu'on méprise
Dames, messieurs qui vous grattez
Il ne lâchera jamais prise.

[R]


Vers la page 1 du Florilège (Florian, Fabre, Jules Renard, Charles Nodier, La Fontaine).

Vers la page d'accueil d'OPIE-Insectes