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Les insectes de la Belle
Époque
VERS BLANCS ET
HANNETONS
- Vous rappelez-vous ce refrain de notre lointaine enfance que nous
chantions pendant que le hanneton, la patte retenue par un fil,
soulevait lourdement ses élytres pour essayer de prendre sa
volée ? Nous ne nous doutions guère alors que
l'insecte,
- jouet pour nous, - était un des plus terribles
fléaux
de nos campagnes.
Ah ! Les horribles bêtes ! Voici qu'elles vont revenir avec
les
premiers rayons du soleil printanier, couvrant de leurs hideuses taches
brunes les thyrses blancs des arbres de nos vergers,
détruisant avec leur insatiable appétit nos
récoltes présentes et l'espoir de nos
récoltes
futures et s'empressant, dans leur vie bien courte, mais trop longue,
hélas ! pour nous, de déposer dans la terre leurs
grappes
d'œufs, semences de désastres pour les prochaines
années.
C'est surtout à l'état de larves
généralement connues sous le nom de vers blancs
que les
hannetons causent les plus sérieux
dégâts; ces
larves vivent ainsi en terre pendant trois ans avant de se transformer
en insectes parfaits, rongeant les racines des plantes, et causant
ainsi, pendant cette période de leur vie, d'incalculables
dommages. Un professeur d'agriculture de la Seine-Inférieure
estime à dix-neuf millions les pertes causées
chaque
année à l'agriculture dans ce
département par les
vers blancs. Si la moyenne est la même pour toute la France,
on
arrive au chiffre énorme d'un milliard et demi pour le pays
entier.
Il y a quelques années, les députés de
la Manche
se sont rendus auprès de M. le Président du
Conseil pour
l'entretenir de la situation déplorable
créée
à l'agriculture en Normandie par l'abondance des vers
blancs. On
a promis de faire procéder à une
enquête. On a
nommé une commission qui s'est divisée en
sous-commissions qui nommeront des rapporteurs. Ces rapporteurs feront
des rapports qui seront transmis au Ministre qui les transmettra
à son tour aux bureaux compétents, et on avisera.
Pendant ce temps, les vers blancs rongeront à loisir les
racines
des plantes, se transformeront en hannetons, multiplieront de nouvelles
générations et les récoltes
périront. Mais
la question aura été traitée selon
toutes les
règles de la procédure administrative et les
agriculteurs
seraient, en vérité, bien mal venus à
se plaindre.
Ce qui vaut le mieux c'est d'agir soi-même, d'entraver la
multiplication des hannetons en en détruisant le plus
possible
soit à l'état de vers blancs, soit à
l'état
parfait, sans attendre le concours de l'Administration ; il suffit pour
cela que les communes et les particuliers s'entendent et
procèdent sur tout le territoire à une
destruction
sérieuse de ces implacables ennemis de l'agriculture.
On a déjà fait, dans ce sens, des efforts
sérieux,
mais, malheureusement, isolés. Il y a quelques
années, le
Conseil municipal de la commune de Bois-Guillaume avait
organisé
le ramassage des hannetons, qu'il payait à raison de cinq
centimes le litre. En cinq jours on en recueillit vingt-cinq
hectolitres. A raison de 40 000 hannetons ou vers blancs par hectolitre
(recueilli) on arrive pour une seule commune, au chiffre d'un million
de hannetons.
Il y a quelques années, les cultivateurs du canton
de
Gorron (Mayenne) formèrent un syndicat pour la destruction
des hannetons et de leurs larves. En quelques jours, dans
certaines communes, on en détruisit plus de 5 000
kilogrammes.
Dans les 11 communes du canton, on ramassa 75 000 kilos de hannetons
qui furent payés en moyenne au prix de huit centimes le
kilog. -
Le kilogramme compte environ 1 200 insectes, ce qui donne, pour le cas
cité, 90 millions de hannetons. Le poids de l'hectolitre est
de
34 kilog.
En résumé, le syndicat de Gorron a
dépensé
8 000 francs, dont il convient de diminuer la valeur de l'engrais
fourni par les cadavres des hannetons. Le résultat de cette
opération a été de sauvegarder pour
plus de deux
millions de récoltes.
Si, dans toute la France, cet exemple était suivi, on
arriverait
bien vite à diminuer dans des proportions
énormes, sinon
à supprimer complètement - une des causes les
plus
sérieuses de dommages pour notre agriculture. Il faudrait
qu'une
loi rendît obligatoire, comme on l'a fait pour les chenilles,
la
destruction des hannetons; il faudrait surtout ne pas pourchasser et
détruire bêtement, comme on le fait presque
partout, les
corbeaux et les corneilles, qui sont de prodigieux destructeurs de vers
blancs.
Pour détruire les vers blancs il y a plusieurs moyens : le
plus
pratique est de les récolter en faisant suivre la charrue au
moment des labours par des enfants qui ramassent ceux que le soc a
retournés ou par des poules qui en sont très
friandes.
Pour recueillir les hannetons arrivés à
l'état
parfait, on secoue le matin, à la rosée, les
branches des
arbres où ils sont suspendus en grappes. Cette chasse est
facile; le hanneton ne vole qu'au crépuscule ou au grand
soleil,
et, le matin, il se laisse ramasser sans chercher à s'enfuir.
Il y a encore le procédé employé au
moyen
âge : on excommuniait les hannetons et on les poursuivait
devant
les Tribunaux. En 1479, le Tribunal de Lausanne cita devant lui les
Hannetons en personne, qui furent défendus -par un avocat de
Fribourg. Après un éloquent plaidoyer et un non
moins
éloquent réquisitoire du Ministère
Public, les
magistrats délibérèrent et
condamnèrent les
hannetons à quitter dans les cinq jours, eux et leur
famille, le
territoire de la Confédération. Je crois bien que
cette
manière de procéder ne serait pas aujourd'hui
très
pratique.
Il y a encore le nouveau et ingénieux moyen,
récemment
découvert par un chimiste, l'empoisonnement des vers blancs
par
un parasite, le Botrytis tenella. On dépose dans un champ
quelques vers blancs infestés de Botrytis. Ils meurent
bientôt et le parasite se développe sur les autres
larves
qui ne tardent pas à périr. Ce
procédé,
encore peu expérimenté, peut être
appelé
à rendre de grands services.
Il y a enfin le piège à hannetons qui est
très
simple et consiste en une sorte de lanterne au centre de laquelle on
place une lampe munie de réflecteurs ; au dessous de la
lanterne, on dispose un grand cornet en tôle ou en carton
dont
l'ouverture aboutit à un sac ; à la
tombée de la
nuit, on installe l'appareil et on allume la lampe, les hannetons,
attirés par la lumière, viennent en foule se
précipiter sur la lanterne, se heurtent aux parois de verre,
tombent dans le cornet et disparaissent dans le sac d'où ils
ne
peuvent plus sortir.
Les hannetons pris, il faut les détruire et ce n'est pas
facile
car ils ont la vie dure; il est impossible de les noyer; ils peuvent
rester très longtemps sous l'eau, paraître morts
et se
réveiller ensuite au soleil. La chaux vive
elle-même ne
les tue pas. Le meilleur moyen de s'en débarrasser est de
les
écraser au moyen de rouleaux ; le résultat de
l'opération constitue un excellent guano.
C'est le seul profit que l'on puisse tirer du hanneton ; - bien maigre
compensation aux dommages qu'il cause. On peut encore le
donner
comme nourriture aux porcs et aux volailles, mais il communique
à la chair un goût
désagréable. Les
hannetons peuvent également, paraît-il,
être
utilisés d'une autre manière et, à ce
sujet, je
terminerai par une histoire.
Il y avait une fois une grand'mère qui avait beaucoup
d'enfants
et de petits-enfants. Chaque année, le jour de sa
fête,
elle réunissait toute sa famille à sa table et ce
jour
là était impatiemment attendu par tous : on
savait qu'on
aurait, au dîner, un fameux et exquis plat de beignets dont
la
grand'mère avait la spécialité et le
secret. Ces
beignets avaient une réputation dans la petite ville
qu'habitait
la famille. Quand ils arrivaient sur la table tout fumants, dans leur
belle pâte croquante et dorée, les enfants
battaient des
mains et passaient la langue sur leurs lèvres.
C'était
doux, onctueux, parfumé, délicat, et le fils
aîné qui avait été militaire
et qui savait
bien des choses, prétendait que «
c'était le bon
Dieu en culotte de velours qui vous descendait dans l'estomac
».
Vainement on avait prié, à maintes reprises, la
grand'mère de divulguer le secret de ce plat, digne du
palais
des Dieux, qu'elle confectionnait elle-même dans le silence
de sa
cuisine et loin de tout œil indiscret. Enfin, un jour, elle se
décida à livrer la recette de ce plat
mystérieux.
Les beignets si savoureux étaient tout simplement des vers
blancs noyés dans du lait, entourés de
pâte et
cuits à point dans de la fine huile d'olives.
Pourquoi pas, après tout ? - Les Chinois estiment fort les
chrysalides de vers à soie. Nous mangeons
nous-mêmes des
escargots, des huîtres, des moules et autres mollusques d'un
aspect peu séduisant ; nous apprécions les
écrevisses et les crevettes qui ressemblent à de
monstrueuses araignées. Pourquoi
dédaignerions-nous les
vers blancs qui ne se nourrissent que de racines et n'ont rien qui
doive nous inspirer de la répugnance ? Ce ne sont
là que
des préjugés. Mais n'est-ce pas de
préjugés
et de conventions que sont faites la vie et la
société ?
Cyrille de Lamarche, Le
Magasin pittoresque, 1907, pp. 207-209.
La fiche
HYPPZ du Hanneton
commun,
Melolontha melolontha (Col.
Scarabéidé)
Les usages du mot hanneton en
français, un article de Parlez-vous
entomo ?
À (re)lire, sur le même sujet, "Le Hannetonnage", paru en 1889.
Les insectes de la
Belle Époque
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