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Les insectes de la Belle Époque

LES INSECTES EMPLOYÉS EN BIJOUTERIE

On voit depuis quelque temps à Paris d'artistiques bijoux, confectionnés avec des insectes naturalisés. On utilise surtout, pour cet usage, les Coléoptères exotiques dont les élytres aux chaudes et chatoyantes couleurs se prêtent aux multiples applications de la joaillerie.

A tout seigneur, tout honneur! Signalons d'abord les volumineux Curculionides des régions équatoriales, les gigantesques Cétoines de l'Afrique, dont on orne des presse-papiers et les Buprestides aux admirables teintes métalliques, qu'on monte en broches ou en breloques plus massives qu'esthétiques.

Le " Curculio imperialis " est le géant de là famille des Curculionides qui compte au nombre de ses membres les voraces Charançons destructeurs de nos blés. D'ordinaire, on l'emploie pour ornementer des boucles d'oreilles en remplaçant le ventre et les pattes par de l'or ou de l'argent doré. On ne voit plus alors que sa tête, son corselet et ses élytres d'un joli vert portant des séries longitudinales de ponctuations en creux au fond desquelles brillent de resplendissantes écailles. Les Curculionides nous viennent du Brésil où ils sont aussi communs sur les mimosas que les Hannetons sur nos marronniers.

Les plus petits représentants de l'innombrable tribu des Buprestes font des épingles de cravates d'un certain cachet; en particulier, il existe une espèce à couleurs bleue et verte, dont les dessins noirs et réguliers contrastent agréablement avec la teinte claire qui les entoure. On se sert également de divers Coléoptères pour décorer les broches ; par exemple des Cassidinés dont la plupart portent une livrée verte ou dorée, rouge ou cuivreuse.

En définitive, les bijoutiers n'emploient guère que sept ou huit espèces de Coléoptères exotiques et cependant ils pourraient varier leur marchandise. Ne rencontre-t-on pas dans les galeries musées d'histoire naturelle des bestioles de toutes tailles, de toutes formes, de toutes couleurs ! Les unes ont des reflets métalliques, la parure de certaines autres est mate ou polychrome celles-ci ont des aspects élégants, celles-là des contours bizarres. Le joaillier n'aurait que l'embarras du choix pour réaliser ses conceptions !

D'ailleurs quelques artistes français commencent à se lancer dans cette voie et utilisent plusieurs insectes indigènes, tels les Hoplies et les Chrysomèles, qui font de gracieuses breloques ou de splendides colliers. Les Hoplies sont remarquables avec leur teinte bleue azurée et on les trouve en grand nombre dans le Midi. Malheureusement leurs élytres doivent leurs jolis reflets à une poussière d'une adhérence moyenne. Aussi les met-on parfois sous verre pour en ornementer de gentilles pendeloques. On emploie de façon identique certains papillons.

Toutefois les Lépidoptères servent de préférence aux modistes. Avant usage on doit leur faire subir la préparation suivante. On ramollit d'abord les papillons sur du sable humide, durant une journée. Ensuite, on enduit les quatre ailes à l'envers de vernis blanc à l'alcool, et on les colle sur de la satinette qu'on découpe exactement selon leurs contours. On traverse alors le thorax de la bête de fils de fer ou d'argent qui constituent une ossature solide et légère. Ces insectes ainsi montés deviennent un gracieux motif d'ornement sur les chapeaux de nos élégantes.

Enfin, on exécute encore des broches ou des pendentifs en emprisonnant des Bombyx posés sur des fleurs artificielles, entre deux petites rondelles de verre.

Puissions-nous voir se développer en France le goût des bijoux entomologiques confectionnés avec des Rhynchites ou des Carabes indigènes, dont les brillantes couleurs peuvent rivaliser avec les robes éclatantes des Curculionides brésiliens.

Du reste, nos bijoutiers n'ont fait qu'européaniser une mode des peuplades sauvages d'Amérique. Ainsi certaines tribus indiennes, fascinées par l'éclat de Chrysophores, que " la nature a revêtus de resplendissantes cuirasses devant lesquelles pâlirait tout le luxe de l'Asie au jour du triomphe d'un sultan ", les emploient comme pendeloques mêlées à des os, des dents de singes ou des graines. Ils fabriquent des colliers avec les robustes cuisses de ces insectes enfilées comme des perles. Quant aux Roucouyennes du haut Maroni (Guyane), elles s'ornent des élytres de Buprestes attachés à l'extrémité d'une queue d'écureuil.

Certains insectes vivants servirent également parure aux mondaines de France vers la fin du XVIIe siècle. De grandes dames ne s'adonnèrent-elles pas alors à l'élevage des puces, tandis que leurs adorateurs s'efforçaient de se saisir de ces pauvres bêtes pour les enchaîner aussitôt dans un médaillon de cristal qu'ils portaient au cou comme une relique ? Selon les dires de J. Kunckel d'Herculais, un anglais nommé Marc avait même réussi à forger une chaîne d'or très mince avec un cadenas fermant à clef et il y attachait une puce. Hook rapporte un fait analogue. Un mécanicien de son temps avait construit en ivoire un carrosse à 6 chevaux que roulait une de ces désagréables bestioles.

Les poètes n'allèrent-ils pas jusqu'à célébrer la

Pucelette noirclette,
Noirelette pucelette,
Plus mignonne mille fois
Qu'un agnelet de deux mois
Et taille fois plus mignonne
Que l'oisillon de Vérone.

Mais laissons-là ce badinage, pour constater que dans notre enfance plus d'un de nous a mis dans ses cheveux des Lampyres ou vers luisants. Et de même les créoles des Antilles rehaussent leurs charmes avec des Pyrophores (Cocujos en espagnol). Le soir, elles enferment un de ces Coléoptères aux yeux brillants comme des lanternes dans un petit sac de tulle très fin, puis réunissant plusieurs de ces sachets, elles les disposent en rosettes qu'elles attachent, çà et là, à leur vêtement. Elles les mêlent aussi avec art à des fleurs faites avec des plumes de colibris parsemées de verroterie et décorent ainsi leur chevelure de pittoresque façon. Au retour du bal, elles baignent leurs ravissants Cocujos et leur donnent, en récompense, quelques fragments de canne à sucre.

Jacques Boyer

Le Magasin pittoresque, n°1833, pp. 46-48, 1912.

Épingles de cravate faites avec des Buprestes de l'lnde, des Charançons du Brésil, etc.

L'autre illustrations originale (Broches ornées de chrysomèles (France) et de punaises exotiques, ) n'est pas présentable...

Chrysophore : Cryptobothrus chrysophorus, Orth. Acrididé.

Cocujos = Pyrophorus noctilucus, le Coyouyou (Col. Élatéridé) ; les "yeux brillants" sont à l'arrière du thorax (photo).

Les bijoux faits actuellement à partir d'insectes (morts) comportent pour la plupart une base en résine ou sont inclus dans ce matériau (transparent).


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