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Phoracantha

par Alain FRAVAL et Mohamed HADDAN

Actes Éditions (Rabat), coll. Doccuments scientifiques et techniques, 1989, 38 p.

5. LA VIE LARVAIRE ET LA XYLOPHAGIE

Les oeufs de Phoracantha sont disposés par paquets plus ou moins lâches, appelés " pontes " (fig. lb), comptant d'une dizaine à plus de 100 individus. Ces pontes sont cachées dans une fissure de l'écorce ou sous une languette de rhytidome.

La larve sort de l'oeuf par une fente latérale qu'elle a déchirée au moyen d'une épine (GIL SOTRES et MANSILLA VAZQUEZ, 1983). Pour HELAL et EL SEBAY (1980a)., la pénétration a lieu immédiatement; pour SCRIVEN et al. (1986), une phase de décapage (jusqu'à quelques cm) précède la pénétration. Nos observations confirment l'existence d'une phase extra-corticale et indiquent que la larve nouveau-née ne peut pas entreprendre de s'enfoncer dans l'écorce sans un appui, constitué de la languette d'écorce sous laquelle la femelle a pondu. Dans le cas où l'abri est relativement découvert, les pénétrations se font au point d'attache de la languette et de nombreuses larves tombent ou sont la proie de divers prédateurs (cf. ci-après). Les traces superficielles entre le lieu d'éclosion et le point de pénétration forment un faisceau divergent à partir du lieu de la ponte. Elles peuvent rester longtemps visibles (fig. 4) et permettent de repérer les pontes et d'estimer l'effectif d'oeufs éclos : de 1 à 110 selon plusieurs auteurs cités par GIL SOTRES et MANSILLA VAZQUEZ (1983).

Figure 4. Cicatrices des galeries superficielles des larves nouveau-nées de Phoracantha semipunctata

La larve traverse ensuite l'écorce, perpendiculairement. Les risques de mortalité encourrus lors de cette écophase "corticale" sont liés entre autres à l'âge de l'arbre et à l'épaisseur de son écorce (HADDAN, 1987) ainsi qu'à la dessication de l'écorce (HELAL et EL SEBAY, 1980c). SCRIVEN et al. (1986) rapportent que l'arbre sain répond à la pénétration par la sécrétion d'une grande quantité de gomme qui noie les larves.

La larve creuse ensuite une galerie sous-corticale, orientée généralement selon l'axe du tronc et plus ou moins sinueuse (fig. 5). La galerie est remplie de frass fin et tassé qui moule exactement son volume. Il n'y a pas (sauf lors du creusement de la cheminée de nymphose) d'évacuation de sciure à l'extérieur, contrairement par exemple à Cerambyx cerdo (F.) (Col. Cerambycidae ) sur le Chêne. Le développement d'une galerie sous-corticale, du point d'accès au point d'enfoncement dans le bois pour la nymphose est de 80 à 115 cm. La largeur au départ est de 1 mm; au bout de la galerie elle est de 11 à 20 mm, ceci sur des arbres sur pied. Sur des tronçons abattus, les galeries sont plus courtes (67 cm au plus), plus larges (jusqu'à 24 mm) et beaucoup moins sinueuses (HADDAN, 1987).

Des galeries enchevêtrées traduisent la surpopulation du milieu et la rencontre de deux larves entraîne par la mort de la plus faible dont la tête est dévorée (POWELL, 1982). Les facteurs qui régissent l'orientation des larves ne sont pas encore connus. Les changements de cap observés peuvent être interprétés comme des réponses à la réaction de l'arbre, la larve âgée ayant par ailleurs tendance à se diriger dans le sens des fibres. L'observation de systèmes de plusieurs galeries (issues d'une ponte) où chaque larve a soigneusement maintenu un écart légèrement inférieur à 1 mm avec sa voisine (en ligne droite comme en virage) nous fait admettre l'hypothèse d'un échange d'informations entre les congénères (qui jouerait le même rôle que la stridulation chez des Scolytes).

Figure 5. Galeries sous-corticales de Phoracantha semipunctata

La section de la galerie est approximativement un rectangle applati, aux coins arrondis. L'épaisseur, la largeur et la longueur sont significativement corrélées entre elles. La section S est donnée par la formule S = épaisseur x largeur x 0,94. Le volume des galeries, variable selon le type de milieu, est de 38 cm3 dans le cas des arbre âgés, attaqués sur pied. Il existe une liaison utilisable entre les dimensions de la galerie et celles de la larve qui la creuse; on peut ainsi, par l'étude des systèmes de galeries, reconstituer la population : évolution des caratéristiques spatio-temporelles des mortalités, leurs causes et leurs relations avec le substrat (HADDAN, 1987).

Le creusement des galeries a été observé au laboratoire par plusieurs auteurs. L'élevage de l'insecte est facile en partant d'oeufs, de larves nouveau-nées implantées dans des trous d'épingle faits dans l'écorce (HELAL et EL SEBAY, 1980d), ou de larves plus âgées installées dans une cavité creusée dans le bois (JABIR, 1985 ; FRAVAL et al., 1988). L'élevage sur différents milieux artificiels a été réalisé par CHARARAS (1969). GIL SOTRES et MANSILLA VAZQUEZ (1983) précisent que la larve évoluant dans une galerie bien plus large qu'elle, se retourne pour consommer les matériaux excavés; une double digestion serait responsable du frass particulièrement fin qui emplit les galeries. Nous avons observé l'activité des larves dans leur galerie (cf. in HADDAN, 1987). Le retournement fréquent de la larve dans sa galerie est attribué plutôt à une activité de tassement, le "front" du frass étant gaufré de façon caractéristique. La larve, les mandibules plantées dans ce front, s'immobilise pendant des durées de 2 à 7 mn . L'activité de creusement proprement dite voit se succéder des phases de prise de nourriture sur l'assise cambiale, à droite, puis à gauche de la galerie, le changement de côté étant mis à profit pour évacuer les débris. Le rythme des coups de mandibules, précisé par actographie (cf. in FRAVAL et PERTHUIS, 1984; FRAVAL et al., 1988) est de 8/mn sur l'aubier contre 12 sur l'écorce. L'activité semble continue, sans autre rythme que celui imposé par les conditions thermiques (cf. ci-dessus et JABIR, 1985). Signalons que l'activité de creusement des larves développées, dans des rondins-pièges (bois assez sec), est très nettement audible.

Les causes de mortalité de P. semipunctata au cours des écophases internes à l'arbre ont été recensées et quantifiées par POWELL (1982) au Malawi et par HADDAN (1987) à Oued-Cherrat.

La réaction de l'arbre, à laquelle on attribue les interruptions de galeries, semble limitée aux premiers cm de galerie. Au delà, la mortalité dépend de l'intensité de population. A la rencontre fréquente de galeries, déjà évoquée, s'ajoutent des effets sur les performances de croissance des individus. POWELL (loc. cit.) obtient des larves de 28 mm de long en milieu surpeuplé contre 40 mm en faible densité; un résultat analogue est obtenu par GONZALEZ-TIRADO (1987). HADDAN (1987) procède à l'analyse, par classe de longueur de galerie, de la mortalité des larves sous corticales dans 3 milieux différents: arbre vivant sur pied, arbre mort sur pied et tronçon. Les "chronologies" des mortalités sont nettement différentes (HADDAN et FRAVAL, 1988). Il est à noter que certaines larves s'enfoncent prématurément, sans doute pour se nymphoser, en réponse aux conditions défavorables.

Ainsi, en l'absence de réaction de l'arbre, et dans des conditions d'hygrométrie pas trop sévères, la capacité du milieu limite la production de P. semipunctata (la prédation semble occasionnelle, cf. ci-dessous). HADDAN (1987) démontre qu'un tronçon de 50 cm de circonférence et 1 m de longueur est théoriquement capable d'élever 230 individus s'il est sectionné et 130 s'il appartient à l'arbre sur pied. La production réelle est au mieux de la moitié de ces effectifs pour diverses raisons (l'espace n'est pas occupé à 100%, réutilisation du frass, cannibalisme).

La larve de P. semipunctata possède (cas rare dans le monde des insectes) la faculté de digérer directement la cellulose sans intervention de symbiontes (CHARARAS,1979). Cependant son élevage sur cellulose pure conduit à une forte mortalité. L'ajout de 6% de divers glucides permet l'élevage complet jusqu'à la maturité. CHARARAS et CHIPOULET (1983) précisent que la larve se nourrit de l'aubier, riche en sucres solubles, amidon, cellulose, hémicelluloses et pectine. La larve digère beaucoup de ces composants: de nombreux glucides (sauf le lactose), l'amidon, la pectine, le xylane, la carboxyméthylcellulose et la cellulose. Les enzymes correspondants ont été mis en évidence et les conditions -notamment thermiques- de leur activité précisées. Les activités glycosidasiques sont maximales à 27°C et fort réduites à 50°C, température atteinte sous l'écorce d'un arbre ensoleillé. Certaines espèces d'Eucalyptus sont riches en tanins (E. astringens) qui réduisent fortement la digestibilité des matériaux ingérés en formant une sorte de ciment tapissant les cellules épithéliales du tube digestif. Les conditions trophiques semblent hétérogènes au sein d'un même tronçon d'Eucalyptus. Ceci expliquerait, en parti, la grande variabilité des durées de développement des larves (CHARARAS, 1979). Les symbiontes, isolés dans un repli boursouflé du tissu épithélial qui entoure pratiquement la totalité de la poche gastrique, sont six levures sans activité vis-à-vis de la cellulose (CHARARAS, 1979).

A l'approche de la nymphose, la larve s'enfonce dans le bois, après avoir, selon SCRIVEN et al. (1986), foré un court tunnel vers la surface. La sciure est alors évacuée à l'extérieur (GIL SOTRES et MANSILLA VAZQUEZ, 1983). Ces mêmes auteurs rapportent (d'après DRINKWATER, 1973) que la larve s'installe dans une logette de nymphose, fermée par un opercule calcaire. Lors de cette écophase, la mortalité est de 27% au laboratoire et de presque 90% au champ sur des arbres très intensément peuplés (POWELL, 1982). Pour GONZALEZ-TIRADO (1987), la mortalité nymphale (sur tronçons) est très faible.

On doit à GONZALEZ-TIRADO (1987) une étude globale de la mortalité de P. semipunctata aux stades préimaginaux, dans le cas particulier de tronçons d'Eucalyptus exposés en forêt puis conservés en insectarium. Dans les conditions de l'expérience effectuée au sud de l'Espagne, le cycle a duré 1 an et la mortalité a été très forte lors des premières décades, puis s'est stabilisée à une valeur faible. Dans les conditions de cette expérience, 6 neufs sur 100 donnent un adulte, ce qui correspond à une multiplication de l'effectif par 4 à 5 d'une génération sur l'autre.

Le devenir des Phoracantha, au cours de leur vie sous corticole, apparaît essentiellement gouverné par la quantité et la qualité du substrat, dépendant l'une et l'autre de l'action de l'insecte, de l'état et de la physiologie de l'arbre.

L'évaluation correcte des caractéristiques de l'arbre en rapport avec sa capacité de s'opposer au développement des Phoracantha est à notre avis indispensable. Elle nous permettra de mieux comprendre la dynamique des populations du xylophage et de pouvoir dégager des critères de sélection des arbres. Cette entreprise (HADDAN, en cours) se heurte à de nombreuses difficultés techniques.

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Chap. 6. VIE IMAGINALE ET HOTE

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