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Stridulations
Qui n'a pas entendu le chant des cigales de Provence, musiciennes de concerts
assourdissants par les chaudes journées d'été, hors
de proportion avec la taille de l'insecte mais répété
par des millions d'artistes ? Ou le chant à la fois mélancolique
et joyeux du grillon, classiquement réfugié près du
fournil ?
Bien des insectes disposent d'appareils émetteurs de sons et de récepteurs ad hoc. Leur signification est avant tout sexuelle, les mâles attirant ainsi les femelles. Les musiques que font retentir les uns comme les autres remontent à des millions d'années. Ce que nous entendons est au fond une musique "fossile" et pourtant bien de notre temps.
Nous exposerons ici les différents moyens
de production du son, accompagnés d'exemples. En cliquant sur la vignette
représentant l'espèce donnée en
exemple, l'internaute verra s'afficher
une page contenant, outre une photo de l'insecte en bonne grandeur, deux
schémas.
Le premier est un spectre obtenu à l'aide d'un analyseur, qui
fournit la répartition des fréquences. La partie audible est
figurée en rouge et la partie ultrasonore en bleu. En ordonnée,
la barre verticale est une échelle représentant 5 db qui permet
d'apprécier l'importance de diverses bandes de fréquences.
Le deuxième schéma est l'analyse oscillographique
grâce à laquelle on peut transcrire les variations d'amplitude
en fonction du temps. Il est ainsi possible de visualiser la forme d'un signal,
de mesurer sa durée, son éventuelle périodicité,
et d'examiner sa complexité. L'échelle des temps est donnée
en secondes (s) ou en millisecondes (ms).
Le chant de l'insecte s'entend en principe en fond
sonore. Avec certains navigateurs, il faudra cliquer sur un symbole : 4 notes
de musique sur une portée pour un son de qualité CD (avec un
ampli et des baffles corrects). Le télédéchargement
peut être laborieux : choisir dans ce cas la noire isolée, qui
donnera accès à un échantillon très compressé
(de qualité médiocre).
Attention ! Les sons sont assez faibles et possèdent des composantes
importantes dans l'aigu. N'hésitez pas à régler votre
amplificateur en conséquence mais maintenez un niveau d'écoute
raisonnable, sachant que la sensibilité aux aigus diminue avec
l'âge...
Chez les insectes, il existe une grande diversité de moyens de produire le "chant" ou signal, à ne pas confondre avec les bruits (bourdonnement, creusement, chocs...). Nous pouvons les classer en cinq catégories, dont les deux premières rassemblent le plus grand nombre de cas :
1. La friction de régions spécialisées
du corps
2. La déformation de membranes
3. L'inspiration et l'expulsion d'air
4. La percussion
5. La vibration des ailes
C'est la friction de la râpe, formée d'un alignement
de côtes, de stries, de dents, d'épines, et du grattoir,
qui consiste en une saillie ou un bord vif, qui produit la stridulation,
un peu comme le ferait un clou grattant sur une lime ou l'ongle passant sur
les dents d'un peigne. Le son ainsi produit pourrait se comparer à
celui d'un instrument à cordes, comme le violon , ou au
washboard.
La friction met en oeuvre des dispositifs placés sur les élytres,
le thorax, l'abdomen et les pattes.
Sur le corps schématisé de cet insecte, chaque point
marque l'emplacement possible d'une râpe. Pour illustrer la remarquable
diversité de localisation des appareils, on a regroupé des
exemples empruntés à diverses espèces, larves ou adultes,
appartenant à des genres différents. Les deux points
de plus fort diamètre rappellent que chez les Sauterelles et les Grillons
la râpe est typiquement placée sur l'élytre et qu'elle
se situe sur le fémur des pattes postérieures chez les Acridiens.
a : aile, an : antennes, c : cerques, e : élytre, f : fémur,
h : hanche, md : mandibules, p : palpes, t : tibia, ta : tarse.
Les élytres
La présence d'une râpe sur un élytre et d'un grattoir
sur l'autre - on parle d'un appareil de type
élytro-élytral - est typique des Sauterelles et des
Grillons. Chez les sauterelles (Orthoptères, Ensifères) le
dessous de l'élytre gauche, qui recouvre le droit, présente
un alignement de plusieurs dizaines de dents prismatiques très dures
qui forment la râpe.
A gauche : râpe d' Ephippiger : la photographie montre,
à la face interne de l'élytre gauche, la râpe dans toute
son étendue.
A droite : à un plus fort grossissement, la forme prismatique des
dents apparaît nettement. Les segments en blanc sur les deux photos,
représentent environ 3 mm de taille réelle.
Le grattoir est constitué par le bord interne de l'élytre droit.
Les nervures délimitent un cadre circulaire tendu d'une membrane rigide
et brillante, le miroir.
Vue d'ensemble de l'appareil stridulatoire du Dectique Decticus
alfibrons (Fabricius).
La nervure claire et renflée qui barre le haut de l'élytre
gauche porte à sa face interne l'alignement des dents de la râpe.Un
peu plus bas sur l'élytre droit, on reconnaît la forme circulaire
du miroir. L'écartement des élytres laisse apparaître
les deux ailes repliée.
Les élytres effectuent un mouvement de ciseaux qui amène le
grattoir à frotter sur toute la longueur de la râpe ; c'est
généralement le mouvement de fermeture qui s'accompagne de
l'émission sonore.
Les Grillons (Orthoptères, Gryllidés) possèdent
un appareil stridulatoire voisin où la structure de la rape est
formée non de dents, mais de lamelles couchées.
A gauche : la râpe du Grillon des champs s'étend
transversalement sur la face interne de l'élytre dont on voit ici
le quart supérieur.
A droite : la structure en lamelles est reconnaissable sur cette structure
arrondie. Les segments I, en blanc sur les deux photos, représentent
environ 3 mm de taille réelle.
La râpe d' Oecanthus (fig. de gauche) occupe la même
position que celle du Grillon des champs, mais ses lamelles couchées
sont plus espacées (fig. de droite). Chez les Gryllidés, chaque
contact du grattoir avec une lamelle engendre une oscillation sonore. La
succession de ces oscillations simples donne naissance à un son presque
pur. Les segments en blanc, sur les deux photos, représentent environ
20 mm de taille réelle.
Seule la râpe de l'élytre droit est utilisée. La harpe, région plus ou moins triangulaire adjacente à la râpe, joue un rôle important dans l'amplification du signal sonore. C'est le contact du plectrum avec l'alignement des lamelles de la râpe lors du mouvement de fermeture des élytres qui engendre le phénomène sonore.
Dotés d'une râpe semblable à celle des Sauterelles et des Grillons, les Coléoptères produisent du son de manière différente. Les élytres des Coléoptères demeurent toujours immobiles, soit ouverts durant le vol, soit refermés pendant la marche ou le repos. La stridulation se fait lorsqu'ils sont refermés. Une protubérance de l'abdomen sert de grattoir. Un rapide mouvement de l'abdomen provoque la friction des deux parties. L'enregistrement du Charançon de la tige du colza (Coléoptères, Curculionidés) montre avec quelle ardeur ces insecte l'utilisent.
Les pattes
Chez les Orthoptères Acridiens, la râpe est présente sur l'une des trois paires de pattes. Contrairement aux Sauterelles et aux Grillons, qui n'utilisent les pattes que pour la marche, les Acridiens s'en servent aussi pour chanter. Le fémur présente un alignement de tubercules microscopiques qui viennent frotter sur l'élytre lorsque, serrée contre son corps, la patte pivote alternativement d'avant en arrière. Les fémurs des pattes postérieures étant pourvus de cette denticulation, les Acridiens possèdent un double dispositif de stridulation qu'ils peuvent utiliser de manière subtile pour varier la structure des signaux en déphasant le mouvement de leurs pattes.
Les Géotrupes (Coléoptères Geotrupidés) utilisent
également leurs pattes dans la stridulation.
Géotrupe
Les Corises (Hétéroptères, Corixidés), famille de petites punaises aquatiques, utilisent pour striduler leur première paire de pattes dont le fémur est garni, sur sa face interne, d'une brosse de soies courtes qui viennent gratter le côté de la tête. L'insecte renferme une bulle d'air pour la respiration en plongée qui joue un rôle de résonateur amplifiant les sons produits.
Corise
Le thorax
Chez les Coléoptères, il est possible de trouver plusieurs exemples de râpe sur le thorax. Les Capricornes (Coléoptères, Cérambycidés), en particulier, possèdent un appareil très caractéristique formé d'une plage très finement striée de la partie dorsale du second segment thoracique sur laquelle frotte le bord arrière du pronotum.
L'appareil stridulatoire des Capricornes (Coléoptères
Cérambycidés) est situé sur la face dorsale du thorax.
Le deuxième segment thoracique très finement strié constitue
la râpe (r) sur laquelle vient frotter le bord postérieur
du premier segment ou pronotum (p). On voit ici l'ensemble
dece dispositif sur le Capricorne des charpentes (fig. de
gauche).
Pour faire apparaître le râpe, le pronotum a été
basculé vers l'avant. C'est ce même mouvement, suivi d'un mouvement
inverse, qui produit la stridulation. La photographie de droite montre
sous un fort grossissement, la structure de la râpe du Grand Capricorne.Les
segments I, en blanc sur les deux photos, représentent environ 5 mm
de taille réelle.
La tête et le pronotum se relèvent rapidement.
Capricorne
L'abdomen
On trouve, chez les Coléoptères, des exemples d'appareils
stridulatoires formés d'une râpe sur l'abdomen, grattée
par le bord postérieur des élytres refermés.
Chez les Criocères (Coléoptères, Chrysomélidés),
la râpe est faite d'une double page striée sur le dernier segment
abdominal.
Criocère
Chez les Nécrophores (Coléoptères, Silphidés),
elle prend la forme de deux côtes, également striées,
en position plus antérieure sur l'abdomen.
Chez les Nécrophores (Coléoptères Silphidés),
la râpe est constituée par deux côtés striées
sur le dessous du cinquième segment abdominal (fig. de gauche). Un
mouvement téléscopique de l'abdomen permet la friction de cette
double râpe contre le bord postérieur des élytres. La
vue de droite montre le détail d'une râpe. Les segments
représentent une longueur réelle d'environ 1 mm.
De nombreuses Fourmis (Hyménoptères, Formicidés) sont dotées d'un grattoir et d'une râpe sur deux segments contigus de l' abdomen.
Quelle que soit la diversité de leur structure ou de leur localisation,
les appareils à friction ont tous en commun d'être, en quelque
sorte, ajoutés à des appendices ou à des régions
(pattes, élytres, abdomen, etc.) qui n'ont acquis que secondairement
- et chez les seules espèces stridulantes - cette fonction
supplémentaire. Un appareil à friction est, d'autre part, toujours
placé en surface et ne comporte ainsi aucune partie profonde directement
liée à la génération du son.
Le tableau est tout différent avec les systèmes sonores qui
reposent sur la déformation d'une structure rigide dont les Cigales
(Homoptères, Cicadidés) offrent l'exemple le plus achevé.
Il s'agit là de véritables organes auxquels sont associées
des structures annexes capables de jouer sur les paramètres physiques
de l'émission.
L'organe sonore des cigales, qui n'existe que chez le mâle, occupe
la plus grande partie de l'abdomen. Le générateur de sons
proprement dit est constitué par une paire de timbales situées
en position dorso-latérale de part et d'autre du premier segment
abdominal. Une timbale se présente comme une plaque
bombée, plus ou moins arrondie, parcourue de plis épais.
Les deux timbales des Cigales sont placées symétriquement
de chaque côté du corps sur le premier segment abdominal. La
timbale gauche est immédiatement apparente lorsque les ailes
sont coupées. Les côtes longitudinales qui parcourent la timbale
sont bien visibles.
Sous l'effet de la contraction puis du relâchement du muscle qui l'actionne
de l'intérieur, chaque timbale produit un "click" sonore ou une salve
de clicks si les côtes se déforment successivement.
Chez certaines espèces, la timbale peut être dissimulée par une expansion du deuxième segment abdominal. Par l'intermédiaire d'un court tendon, la face interne de chaque timbale est reliée à un muscle puissant dont l'autre extrémité s'attache à une saillie interne de la paroi ventrale. Les deux muscles dessinent ainsi un V bien visible.
Une section d'un abdomen de Cigale en arrière des timbales
laisse voir les muscles écartés en forme de V. Par leur
extrémité supérieure tronquée et évasée,
chacun d'eux s'insère à la face interne d'une timbale au moyen
d'un court tendon. Les muscles sont réunis à leur base sur
une pièce prismatique qui fait saillie dans la cavité ventrale.
Cette cavité apparaît complètement vide. Les deux grandes
membranes brillantes (accidentellement déchirées) tendues sous
les muscles sont des tympans auditifs appelés miroirs.Ils ne sont
directement visibles lorsque l'on observe un insecte par dessous.
Il existe aussi un petit muscle tenseur capable de modifier la convexité
de la timbale.
Le reste de l'abdomen s'est considérablement modifié puisque
l'essentiel de son volume est occupé par une vaste poche d'air qui
a un rôle de résonateur, l'appareil reproducteur se trouvant
refoulé dans les deux derniers segments.
Il n'y a probablement pas d'autres animaux si profondément modifiés
pour une seule fonction.
Pour plus d'informations sur les Cigales on pourra consulter l' article
d'E. Duret "La Cigale et l'homme : de la biologie au symbole" dans
le Courrier
de l'environnement n°39.
La production de sons par passage d'air au travers d'un orifice est une
méthode tout à fait exceptionnelle chez les insectes dont le
Sphinx tête de mort (Lépidoptères, Sphingidés)
donne un des rares exemples. Le son produit présente des analogies
avec celui d'un instrument à vent, comme la trompette.
Sphinx tête de mort
Comme on le remarque à l'écoute, le cri est formé de
deux séquences rapidement alternées, l'une un peu grinçante,
l'autre plus aiguë, toutes deux résultant d'un passage d'air
dans la trompe. A l'inspiration, l'air fait battre rapidement une sorte de
clapet placé à l'endroit ou la trompe débouche dans
la cavité pharyngienne produisant ainsi le grincement. Lorsque, le
clapet étant maintenu relevé, l'air est expulsé, la
trompe fonctionne comme un sifflet donnant la note aiguë.
Ce double mécanisme se révèle dans
l'analyse oscillographique : les
tracés de forte et de faible amplitude s'intercalent., les premiers
correspondant à la salve de percussions du clapet pharyngien, les
seconds, au sifflement. Les ralentissements permettent aussi d'individualiser
ces deux composantes du cri.
La circulation d'air qui est à l'origine de cette émission
que l'on peut qualifier de vocale n'a bien entendu aucun rapport avec la
respiration.
Avec ce mécanisme, nous abandonnons le domaine des dispositifs complexes
et morphologiquement adaptés à l'émission sonore puisque
son fonctionnement suppose simplement que deux régions du corps se
heurtent bruyamment ou qu'une partie dure vienne frapper sur le substrat.
C'est au fond ce que nous faisons en applaudissant ou en tambourinant sur
une table. Si cette méthode est néanmoins à
considérer, c'est que les bruits auxquels son utilisation donne naissance
ne sont pas la simple conséquence d'une autre activité, mais
qu'ils ont, au même titre que ceux produits par des appareils
spécialisés, une signification pour les autres individus de
l'espèce.
Il en est ainsi chez les Termites (Isoptères, Rhinotermitidés)
Termite
Ce sont les soldats qui, lorsque la termitière est menacée,
réagissent en frappant rapidement la paroi des galeries avec leur
tête. Chez certaines espèces tropicales, le bruit produit
simultanément par des milliers d'individus est audible à plusieurs
mètres.
Le bourdonnement des insectes est la simple conséquence acoustique du mouvement plus ou moins rapide des ailes durant le vol et les sons ainsi produits n'ont le plus souvent aucun rôle de communication. Les moustiques (Diptères, Culicidés), cependant, offrent un des très rares exemples où le bruit de vol a valeur de signal.
Moustique
Il s'agit en l'occurrence du chant d'appel sexuel des femelles. Les ailes
ne montrent aucune structure particulière et, comme pour n'importe
quel autre insecte volant, la fréquence fondamentale correspond au
nombre de battements par seconde.
L'originalité biologique n'est donc pas ici dans la présence
d'un appareil spécialisé et complexe, mais dans l'utilisation
d'un bruit, sans signification chez les autres espèces, comme signal
déclencheur de comportement.
Quelques liens proposés par Antoine Griboval en complément de l'article "Recherche sur le terrain et identification sonore des Orthoptères", Insectes n°137, 2e trimestre 2005. Contact : antoine.griboval@free.fr
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