Nous
allons voir qu'elle dépend principalement de l'action de la vie ou du jeu de
l'organisme.
Il
faut distinguer de cette phosphorescence l'électricité développée quelquefois
spontanément chez les individus qui ont fait beaucoup d'exercice, et dont les
poils secs ou les cheveux lancent des étincelles par le frottement. Tout le
monde connaît ce phénomène sur les chats, surtout en hiver, lorsqu'on les
frictionne ; beaucoup d'observations analogues faites sur des hommes n'étaient
pas inconnues des anciens, car on peut y rapporter cet éclat de la chevelure
d'Achille en fureur, selon Homère, et cette flamme légère qui semblait voltiger
autour de la tête d'Ascagne, comme dit Virgile : lambere flamma comas et
circùm tempora pasci. Les palefreniers connaissent les feux follets sortant
de la crinière des chevaux, parfois, lorsqu'on les étrille. Des auteurs ont
remarqué des signes d'électricité aussi sur le plumage de quelques perroquets,
etc.
Peut-être
doit-on attribuer à ce développement d'électricité résineuse, les combustions
spontanées de plusieurs individus très-gras, et habitués aux liqueurs
spiritueuses, tels que des femmes exhalant des gaz hydrogénés et inflammables,
etc. Ce sujet a été traité soit par Pierre-Aimé Lair, soit par Jean-Henri Kopp,
avec un développement suffisant pour établir de fortes présomptions sur la
réalité de ces combustions spontanées.
II
est un autre mode de lucidité qui paraît dépendre plus immédiatement de
l'action nerveuse, c'est celle des yeux des chats, des loups, des hiboux et
d'autres animaux nocturnes. Leur pupille se dilate beaucoup dans l'obscurité et
la rétine dont l'éclat est brillant, renvoie une lumière manifeste. Nous avons
eu l'occasion d'observer cet effet sur un renard blessé à mort, et qui, au
moment où il se vit saisi dans la retraite obscure où il se réfugiait, ouvrit
des pupilles extraordinaires et montra des yeux flamboyans. Il paraît que le
même effet se produit dans ces regards de colère qui paraissent enflammés ; il
en est ainsi des yeux d'un chat plongé dans l'eau ; la vive frayeur dilate la
pupille, et la rétine renvoie beaucoup de rayons lumineux, comme un miroir au
soleil. Nous ne rappellerons pas l'opinion des anciens philosophes, tels que
Platon, épicure, etc., qui
supposaient que la lumière était lancée par l'œil, et agissait sur d'autres
individus dans l'amour, l'envie, la colère, et qu'on pouvait ainsi fasciner les
personnes, comme le regard du chien arrête la perdrix :
Nescio
quis teneros oculus mihi fascinat agnos.
Parmi
les reptiles, on prétend que les crocodiles, et des lézards nocturnes, tels que
les geckos et les anolis, jettent des regards étincclans dans la nuit ;
peut-être doit-on rapporter à la même raison la frayeur causée par des serpens,
d'où les anciens ont imaginé que le basilic tuait par son seul regard, comme on
a prétendu que la vue subite d'un loup causait une extinction de voix ou la
raucité.
Les
vraies phosphorescences animales se remarquent d'abord dans la classe
des insectes, et surtout parmi les coléoptères. On distingue, dans cet ordre,
les genres elater, lampyris et paussus.
Eelater
noctilucus, le cucujo des
Américains ou la mouche à feu, a la faculté, selon Patrike Browne (Hist.
Jamaïc), de suspendre à
volonté sa lumière, et de la faire paraître, tout comme on le ferait avec une
lanterne sourde. Ses organes phosphorescens sont situés au corselet de chaque
côté ; il les fait rentrer par la frayeur. Il y a dans son corselet beaucoup de
matière lumineuse jaunâtre, demi-transparente et gélatineuse. Cet insecte, qui
se cache de jour, voltige la nuit et se jette sur la lumière, des flambeaux. Sa
lumière est si vive, qu'on peut lire de nuit avec huit ou dix de ces taupins,
comme avec une chandelle, ou travailler à la lumière. Les indiens en portent
dans leurs voyages en place de lanternes, et les femmes en ornent leur tête
comme d'étoiles brillantes.
On
connaît encore deux autres taupins phosphoriques : elater phosphoreus,
de Géer, et elater ignitus, Fabricius, de l'Amérique méridionale, et des îles
Antilles.
Les
lampyris, connus sous le nom de vers luisans, portent leur
matière phosphorique à l'extrémité postérieure de leur abdomen, aux deux ou
trois derniers anneaux; ils peuvent de même, que les taupins, faire rentrer à
volonté cette substance lumineuse. Lorsqu'elle brille le plus vivement, elle
répand un éclat bleuâtre ou verdâtre comme l'émeraude : en s'affaiblissant,
elle n'offre plus qu'une lueur orangée pâle. Le mouvement de ces insectes
excite leur lumière : cette substance lumineuse jaunâtre peut être enlevée à
l'animal, et elle reste phosphorescente tant qu'elle est molle, soit à
l'air libre, soit sous le vide de la machine pneumatique. Elle perd cette
lumière en se desséchant ; mais on peut la lui rendre, en la ramollissant avec
de l'eau tiède. L'eau froide éteint les vers luisans, mais ils brillent dans
de l'eau chaude. Ces insectes vivent longtemps dans le vide et sous divers gaz
non respirables ; toutefois ils périssent dans le sulfureux, le nitreux et l’hydrochlorique.
On a cru reconnaître que leur séjour dans le gaz hydrogène rendait parfois
celui-ci détonnant. Au reste, chez ces insectes nocturnes, les sexes se
rencontrent l'un l'autre, au moyen de cette lueur ; les femelles sont les plus
brillantes pour attirer les mâles ; car elles ne développent pas souvent des ailes
; aussi l'on voit de leurs nymphes déjà lumineuses selon de Géer. Ils sont
très-communs dans les pays chauds, et leur voltigement semblable à celui des
étincelles parmi les bosquets et les fleurs, produit un effet agréable dans les
soirées d'été. Carradori et Lichtenberg ont remarqué que la lueur devient plus
vive dans ces insectes plongés sous du gaz oxigène. Il y a beaucoup d'espèces
de lampyres lumineuses ; les lampyris noctiluca et splendidula sont
nos vers luisans ; Yitalica est la luciole des Italiens ; on connaît
encore les lamp. ignita, phosphorea, nitidula, lucida, Japonica,
Pensylvanica, etc. Gueneau de Montbéliard a fait l'observation, qu'après
leur accouplement ces insectes perdaient toute leur phosphorescence, comme
s'ils éteignaient ainsi les flambeaux de leur amour, par l'hyménée.
Afzélius
a remarqué un autre coléoptère, dont l'illumination est fort singulière. Ses
deux antennes sont renflées à leur extrémité en petits globes, et ces globes
sont deux lanternes phosphorescentes, dont il s'éclaire dans la nuit. Cet
insecte paussus spherocerus est décrit dans les Linnœan Transact.,
tom. iv.
Parmi
les insectes hémiptères, des fulgores présentent à un degré marquant le
phénomène de la phosphorescence. Mademoiselle Mérian a décrit la grande
porte-lanterne, fulgora lanternaria, L. de Surinam et d'Amérique
méridionale : Son front est développé en une énorme vésicule arrondie toute pleine
d'une matière lumineuse, si vive qu'on peut lire de nuit par son moyen, les
caractères les plus fins, il paraît que cette lucidité n'a pas lieu pendant
tout le temps de la vie de l'insecte, mais sans doute à l'époque de ses amours,
comme chez les lampyres et les taupins. Plusieurs autres fulgores sont
également lumineuses ; les fulgora candeluria et F. pyrorhyncus,
en Asie. Des cigales sont aussi phosphoriques, selon Olivier.
Patrike
Browne a remarqué pareillement une espèce de papillon nocturne, pyralis
minor, présentant sous son abdomen une lueur faible et vacillante, devenant
obscure par intervalle. Il est probable que plusieurs phalènes et teignes, dont
les mâles viennent si souvent se brûler aux flambeaux, ne reconnaissent leurs
femelles, pendant la nuit, qu’à des lueurs faibles, dont nos yeux ne nous
avertissent pas ; car tous les insectes nocturnes qui viennent se jeter ainsi à
la lumière, au lieu de la fuir, montrent bien, comme les lampyres et les
taupins qui font de même, qu'ils se cherchent entre eux au moyen de lueurs.
Enfin,
en quelques circonstances, on a vu des scolopendres briller d'un éclat, soit
électrique, soit phosphorique, selon de Géer et d'autres observateurs : telle
est la scolopendra electrica d'Europe, et la scol. phosphorea observée
en Asie par Ekeberg. Ces insectes venimeux fuient aussi le grand jour.
Ou
peut donc établir que la phosphorescence chez les insectes, est due à une
organisation propre à beaucoup d'espèces nocturnes, pour se reconnaître entre
eux à l'époque de leurs amours, et que la matière gélatineuse ne jouit de cette
lucidité que dans le temps de la grande vigueur de ces animaux; car elle
s'éteint même avant leur mort, lorsqu'ils ont engendré. Quoique l'analyse
chimique n'en ait point été faite, mais seulement des expériences sur cette
lumière en divers gaz par Grotthuss, Carradori, Spallanzani, etc., on ne peut
pas conclure que cette lucidité dépende du phosphore. On rencontre toutefois
des phosphates de chaux et de magnésie dans les analyses de plusieurs insectes.
Les
vers de terre ou lombrics, en certaines circonstances, et lorsqu'ils sortent
pour s'accoupler, ont paru quelquefois phosphorescens (Voyez Flaugergues, sur
le phosphorisme des vers de terre. ; Journal de Physique, tom. xvi, p. 311 ; et J.-G. Bruguière,
Journal d’Histoire naturelle, tom. II, p. 267). On ignore la cause de ce
phénomène, qui, néanmoins se retrouve principalement dans les amours des
animaux.
Journal de pharmacie et des sciences accessoires, vol. 5, 1819