Vers la page
d'accueil d'OPIE-Insectes
Miscellanées
Les
insectes d'avant
LETTRE SUR LE GRIBOURI
INSECTE DESTRUCTEUR DE LA VIGNE ET DU RAISIN
À M. le maire de St-Lazare (Dordogne).
Bordeaux le 26 août 1844.
Monsieur, vous m'avez entretenu d'un insecte qui fait de grands ravages
dans les vignes de votre commune; vous avez joint à cette communication
des feuilles de vignes et des grappes de raisins extrêmement
maltraitées; enfin, vous m'avez fait parvenir des échantillons de cet
insecte.
Après avoir examiné tout cela avec attention, je peux vous dire que cet
insecte dévastateur n'est autre que le gribouri de la vigne (eumolpus vitis),
que l'on nomme aussi, suivant les localités, pique-brocs, vendangeur,
coupe-bourgeon, lisette, écrivain, etc. Il a, dit le Manuel du
vigneron, huit millimètres de longueur sur dix de largeur; ses antennes
sont noires et jaunes à leur base; la tête et le corselet, le dessous
du corps et les six pattes de couleur noire, légèrement velus; les
élytres, d'un rouge châtain, sont pointillés et pubescens.
Voici comment M. Vallot, de Dijon, dans un mémoire spécial sur les
insectes qui attaquent la vigne, décrit les ravages des gribouris. Vous
allez voir que ce sont bien là effectivement ceux qu'attestent les
détails que vous m'avez transmis et les feuilles et raisins que vous
m'avez envoyés:
« Cet insecte. dit-il, dont les larves ne sont pas connues est fort
redouté de nos vignerons dans son état parfait (tel que vous me l'avez
envoyé). Il se tient sur les feuilles de la vigne et s'y nourrit en la
rongeant par places, et laissant des traces linéaires dans tous les
sens, comparées aux pleins d'écriture tracés par les commençans, ce
qui, dit-on, a fait donner à cet insecte le nom d'écrivain, que je
crois plutôt être le résultat d'une homonymie. L'écrivain ne se borne
pas à sillonner les feuilles, il trace aussi des lignes sur le grain
vert des raisins. On peut remarquer sur quelques grappes des grains qui
laissent paraitre le pépin à leur surface: cette disposition est le
résultat de l'érosion pratiquée au mois de juillet, par l'eumolpe de la
vigne, sur la surface du grain encore vert. »
Dans son judicieux ouvrage sur la vigne, M. le comte Odart parle ainsi
du gribouri « Sa tête se cache sous le corselet et il feint d'être mort
quand on le touche ou qu'on l'approche. Cet insecte est petit, couvert
d'élytres, marron et très agile; il saute plus qu'il ne vole ; d'abord
en larve ovale, obscure, à six pattes, il ronge les feuilles de la
vigne à leur naissance. La grappe étant en verjus, il commence à
attaquer les grains, en les crevassant et les gerçant. Vers la fin de
l'été, l'insecte descend aux racines et s'en nourrit, dit-on, pendant
l'hiver; aussi une façon en novembre est-elle indiquée comme moyen de
le détruire mais on a eu recours, a dit M. Morelot, a beaucoup de
moyens pour s'en délivrer, et aucun n'a réussi. On a observé qu'il
séjournait trois ans dans le même canton de vigne, puis, qu'il
disparaissait entièrement. »
Parmi les moyens auxquels on a cru devoir recourir pour la destruction
du gribouri, en voici un que cite l’auteur de la Statistique du
département de l'Aisne, M. Brayer. Dans le département de l'Aisne,
l'eumolpe de la vigne est appelé pointrelle ou pointraille. L'usage en
plusieurs lieux est de planter dans la vigne quelques fèves, dont ces
insectes paraissent rechercher la verdure. Si, dans le cours de la
journée, l'on gratte légèrement la terre autour de la plante on y
trouve le gribouri, qui y repose. »
Vous voyez, monsieur le maire, par les détails qui précèdent et que
j'aurais pu étendre beaucoup plus, que l'insecte dont vous m'avez
entretenu est parfaitement connu. J'aurais pu vous dire encore
qu'indépendamment du nom d'eumolpus vitis, que lui donne l'entomologiste Latreille, il est encore nommé, par Fabricius, chryptoceplealus vitis; par Chevrolat, bromius vitis,
etc. Vous voyez également que les moyens de le détruire sont
extrêmement problématiques, et qu'il en est à cet égard comme de la
pyrale, dont Dieu vous préserve.
Cependant, parmi ces moyens, il en est un qui assurerait
infailliblement le succès, mais qu'il ne dépend pas malheureusement de
l'homme d'employer, ou mieux de laisser agir immédiatement car c'est
lui qui a suspendu cette action; c'est lui qui, sur ce point comme sur
tant d'autres est venu déranger l'admirable harmonie de la nature,
changer les vues bienfaisantes de la providence. Ce moyen, c'est la
multiplication convenable, la libre circulation des oiseaux
insectivores. Notre agriculture porte aujourd'hui la peine de
l'acharnement avec lequel on s'est voué à la destruction des oiseaux
depuis la révolution depuis que la chasse est rentrée dans le droit
commun. Puissions-nous ne pas avoir à redouter des dangers plus graves
encore que celui, déjà bien grand cependant, que vous me signalez;
puissions-nous devoir bientôt à la nouvelle loi sur la chasse le
rétablissement d'une harmonie qu'on ne troublera jamais en vain; car,
reconnaissons-le avec le bon sens, la sagesse du vulgaire :
Dieu n'a rien fait d’inutile !
Je suis, etc. Aug. Petit-Lafitte, prof. d’agr. à Bordeaux.
Annales agricoles et littéraires de la Dordogne : journal de la ferme
modèle et des comices agricoles du département / rédacteur-éditeur Aug.
Dupont 1844
Eumolpe, Bromius obscurus, Col. Chrysomélidé
Les insectes d'avant
Vers la page d'accueil d'OPIE-Insectes