La famille des Pompilidae, divisée en trois sous-familles (Pepsinae, Pompilinae, Ceropalinae),
comprend des Hyménoptères dont la coloration est assez uniforme :
entièrement noire ou noire avec la base de l’abdomen rouge. Le bord
postérieur du pronotum n’atteint pas les tegulae tandis que les fémurs
postérieurs dépassent le milieu de l’abdomen. Les plus gros Pompiles (Cryptocheilus rubellus Eversman) de nos régions peuvent atteindre 32 mm et les plus petits 5 mm (Microphadnus pumillus Costa). On compte environ 150 espèces pour la région ouest-européenne.
Les Pompiles capturent des Araignées pour leur progéniture à raison d’une proie par larve. D’autres Hyménoptères Sphecidae (Sceliphron, Miscophus, Pison, Trypoxylon)
chassent également des Aranéides mais à raison de plusieurs proies par
cellule. Depuis Fabre en passant par Ferton, Adlerz, Maneval, Grandi,
Soyer etc... les mœurs des Pompiles n’ont cessé de fasciner ceux qui
ont étudié ces insectes.
À armes égales
Le Pompile
possède un aiguillon et l’Araignée, des chélicères, dans ces conditions
on pourrait s’attendre à un duel épique entre les deux antagonistes. Or
il n’en est rien. L’Araignée est comme inhibée devant son ennemi
qu’elle ne cherche pas à capturer. Toute son action est tendue vers la
fuite, son seul salut. Si Ferton, Soyer et moi-même avons observé des
Araignées résister et parfois contre-attaquer par des coups de pattes
ou en se jetant sur leur ennemi, cela n’est d’aucune conséquence pour
le Pompile.
Sur les méthodes de chasse qui vont suivre je résumerai l’ensemble de ce que l’on connaît de chacune d’entre elles.
Les Araignées errantes (Thomisidae, Lycosidae, Salticidae...)
payent le plus lourd tribut comparé aux autres groupes. La guêpe
parcourt par un déplacement saccadé le biotope ou sa proie évolue et, à
moins d’avoir capturé celle-ci dès qu’il l’a repérée, le Pompile est
très souvent obligé d’effectuer des recherches pour la retrouver,
d’autant qu’elle s’enfuit bien avant d’avoir été rejointe. Aidé sans
doute par son sens olfactif, l’Hyménoptère entreprend des
investigations au vol d’une façon saccadée. Il inspecte minutieusement
le dessous des pierres, des feuilles, grimpe le long des tiges des
plantes et sur les branches d’arbustes etc., bref tous les éléments qui
constituent le biotope de la proie au moment de l’action. La durée de
la poursuite est très variable mais dépasse rarement dix minutes, tout
au moins en ce qui concerne mes propres observations.
Cryptocheilus alternatus (Lepeletier) est l’un des plus grands Pompilides de France
(Cliché H. Guyot)
Finies les corvées de terrassement
Une fois, je fus témoin d’une scène peu banale. Une Pardose fut poursuivie, rattrapée et paralysée par deux Priocnemis en même temps. Une espèce fort rare, Agenioideus coronatus N et R, chasse des Aelurillus V. insignitus
Clerck, araignées sauteuses à la vue perçante. Le Pompile explore le
maquis, biotope qu’affectionne particulièrement sa proie. Celle-ci a
tôt fait de reconnaître à distance son ennemi dont elle suit tous les
mouvements. Lentement, méticuleusement, il inspecte le terrain et passe
parfois sans la voir à dix centimètres de sa proie immobile. Sur le
point d’être découverte, l’Araignée s’enfuit en faisant des bonds,
suivie ou non de son agresseur. Si le Pompile ne la laisse pas
s’échapper définitivement, l’Araignée est rejointe après deux ou trois
bonds et paralysée en pleine course. L’agilité extraordinaire que
déploie alors l’Agenioideus ne le cède en rien à celle d’un Tachysphex
(Hyménoptère Sphégide, prédateur d’Orthoptères) immobilisant son
criquet. La paralysie fort passagère, cinq minutes environ, l’une des
plus courte chez les Pompilidae, suffit néanmoins à cette
espèce pour pondre un œuf sur l’abdomen de sa victime qu’il n’enterre
pas à la différence de la majorité des autres Pompiles.
Dans les mailles du filet
Autant les Araignées errantes sont capturées par un grand nombre de Pompiles répartis sur plusieurs genres (Cryptocheilus, Priocnemis, Dipogon, Agenioideus, Araschnospila,...) autant celles qui tissent des toiles orbitèles (Épeires) ne sont la proie exclusive que de deux genres seulement (Episyron, Caliadurgus) et de deux autres espèces (Cryptocheilus egregius Lep. et Batozonellus lacerticida
Pall.). La toile découverte, le Pompile incite la propriétaire à fuir
en voletant à quelques centimètres de l’endroit ou elle se trouve. La
réaction est d’autant plus rapide que l’Épeire reconnaît le danger,
s’enfuit et grimpe au sommet des plantes que l’Episyron, en bon
voilier, ne manque pas d’explorer. Il décrit de la sorte d’amples
circonvolutions en partant des abords de la toile dont il s’éloigne de
plus en plus, mais pour y revenir de temps en temps contrôler que
l’Araignée n’est pas revenue.
Puisque nous en sommes aux Pompiles prédateurs d’Araignées tisseuses de toiles, restons avec l’un d’entre eux, Agenioideus ciliatus Lep., fort rare et dont la proie, Lithyphantes albomaculatus Deg., tisse, au niveau du sol, un piège fait d’un réseau de fils entrecroisés irrégulièrement.
Le
Pompile s’enfonce dans ce lacis de fils parmi lesquels il progresse
tant bien que mal vers sa proie. Celle-ci recule tout en faisant face à
l’Hyménoptère qui, sur le point de la rejoindre, préfère sortir de la
toile pour s’assurer que l’Araignée n’a pas fui. La Lithyphantes
à force de reculer, finit par être acculée au bord de la toile qu’elle
abandonne. Le Pompile est ainsi arrivé à ses fins et il ne lui reste
plus qu’à entreprendre des recherches afin de repérer puis de capturer
sa proie... quand il la retrouve. En effet, la fuite peut avoir lieu,
comme je l’ai constaté, alors que la guêpe se trouve au milieu de la
toile ; il lui faut plusieurs secondes pour s’extirper de celle-ci et
ce délai permet parfois à l’Araignée de se cacher à bonne distance.
Les Segestria, Tegenaria et autres Textris sont les proies des Agenioideus apicalis VDL et A. usurarius Tourn. tandis que les Coelotes ont la préférence de Priocnemis schioedtei HPT.
Pour tous ces Pompiles, la tactique de chasse reste la même, du fait
qu’elle s’adresse à des Araignées dont le type de toile présente des
affinités entre elles, à savoir : tubiformes ou nappidiformes.
Directement
ou après quelques hésitations, comme pour ne pas effaroucher
l’Aranéide, le Pompile déambule sur la toile avec aisance en direction
de l’entonnoir provoquant la fuite de la propriétaire. Une seule fois,
j’ai observé l’un d’entre eux, Cryptocheilus notatus Ross, parvenir à paralyser sa proie, Coelotes sp.,
au fond de son repaire. La capture se fait donc généralement à
l’extérieur après une poursuite plus ou moins longue, selon le degré de
vélocité de l’Araignée ! D’ailleurs cette tactique de chasse
s’apparente à celle décrite plus haut à propos des Araignées errantes
puisqu’en fin de compte toutes les péripéties de l’action, basées
surtout sur la course, ont lieu en dehors de la toile.
Paralysie à domicile
Plusieurs
espèces de Pompiles sont prédateurs d’Araignées terricoles, lesquelles
peuvent être réparties en deux groupes. L’un comprend les araignées
vivant dans un terrier muni d’un opercule de soie mêlée de terre, posé
sur l’ouverture (Nemesia mandersjernae Auss., N. badia Auss.,...).
Le second regroupe des araignées dont le terrier est clos par un
opercule épais, biseauté, et si parfaitement appliqué sur l’ouverture
qu’il est pratiquement impossible de le repérer (Nemesia carminans Latr.).
Une
fois l’entrée du repaire de la Némésie découverte, le Pompile dégage le
bord de l’opercule ou le perce lorsque celui-ci est mince, avant de se
glisser à l’intérieur du conduit ou il va paralyser l’Araignée. Soyer
note de son côté que l’Hyménoptère parvient également à l’Araignée en
creusant un couloir qui débouche latéralement sur celui de la Némésie.
Le
terrier (selon l’espèce de Némésie et l’époque de l’année) comporte
parfois deux ouvertures, ce qui oblige le Pompile à user d’une méthode
différente qui a été si bien décrite par Ferton : la guêpe se présente
à l’une des entrées et fait mine de pénétrer ou bien introduit son
abdomen à l’intérieur pour en sortir aussitôt les ailes vibrantes, la
tête dirigée vers la seconde ouverture par où la Némésie pourrait
s’enfuir. En cas d’insuccès, la même manœuvre se répète, avec des
variantes, à l’une ou l’autre des entrées jusqu’à ce que l’Araignée
sorte. Si, à ce moment là, le Pompile est en bonne position, l’Araignée
est paralysée en pleine course à quelques centimètres du nid. Mais il
arrive que celle-ci parvienne aussi à s’échapper, tandis que son ennemi
fouille l’intérieur du terrier. Les Entomobora sont plus
spécialisés dans la capture des Némésies de la seconde catégorie. Ainsi
qu’il est mentionné plus haut, l’opercule clôturant le terrier est
épais et bisauté d’ou une méthode sensiblement différente. Le Pompile
déblaie le pourtour du tampon à l’aide des mandibules et introduit son
cIypeus, qui est particulièrement mince, entre l’opercule et le bord du
terrier en un point qui se trouve à l’opposé de la charnière. L’insecte
est alors disposé au-dessus du terrier et il ne lui reste plus qu’à
pousser en avant, prenant appui sur son abdomen distendu piqué dans le
sol. Les pattes postérieures peuvent participer à la manœuvre durant
cette opération. Celle-ci dure quinze minutes et peut aller jusqu’à une
heure. Dans ce dernier cas, il s’agit très souvent d’un terrier
abritant une mère et sa progéniture muni non pas d’un seul mais de deux
opercules. Les Pompiles du premier groupe se heurtent parfois à ce
genre d’obstacle qui peut les rebuter de façon définitive.
Les Ceropalinae
sont de véritables parasites. Redoublant d’attention lorsqu’un Pompile
vient de capturer sa proie, ils profitent généralement du moment où
celui-ci l’abandonne provisoirement, pour pondre un œuf dans l’orifice
respiratoire de l’Araignée paralysée. (Cliché E. Gros)
Les Pompiles coucous
Les Ceropalinae sont
des Pompiles qui se comportent comme des brigands de grand chemin. Ils
redoublent d’attention dès qu’un Pompile est sur la trace d’une
Araignée et suivent celui-ci à distance, leurs courtes antennes
dirigées en avant, surveillant toutes les péripéties de l’action.
Généralement, ils profitent de ce que la guêpe abandonne provisoirement
sa proie (reconnaissance du chemin à suivre, recherche de l’emplacement
du nid, etc.) pour venir pondre rapidement un œuf dans l’orifice
respiratoire de l’Araignée paralysée. Le Pompile tente bien de le
chasser, mais le Ceropales, resté dans les parages, n’abandonne pas
tant qu’il n’a pas réussi, sinon tenté son mauvais coup.
L’œuf du Ceropales éclôt plus rapidement de sorte que sa larve mange l’œuf du Pompile avant de dévorer l’Araignée.
Voilà,
passées en revue, différentes techniques de chasse et, sans doute, y en
a-t-il bien d’autres à découvrir tant il reste de Pompilidae
dont la biologie est inconnue. L’élevage en captivité se révélant
souvent impossible, tout doit se faire sur le terrain en contact direct
avec la nature, d’ou la difficulté d’observation. La découverte d’un
aspect de la biologie récompense cependant les longues heures
d’observation de celui qui se penche sur les divers aspects de
l’instinct si remarquable des Hyménoptères prédateurs.
Une tactique de chasse basée sur la ruse
Cette petite espèce, fort rare, Arachnospila conjungens Kohl, possède une méthode de chasse pour capturer sa proie que je ne connais chez aucun autre Pompilidae.
En effet, contrairement à la majorité des Pompiles prédateurs
d’araignées tisseuses de toiles tubiformes et nappidiformes dont la
capture se fait à l’extérieur, l’Arachnospila procède tout en finesse. La proie, Amaurobius erberi Keyserling,
vit sur une petite toile qui s’étale parmi les feuilles mortes autour
de la retraite en forme de tube. La soie, légèrement bleutée,
cribellée, est plus apte qu’aucune autre à retenir les insectes, d’où
peut-être la manière de procéder du Pompile.
L’Hyménoptère
s’approche doucement jusqu’à la lisière de la toile sans jamais
s’engager dessus et, saisissant quelques fils entre les mandibules, il
les tiraille par à-coups. L’Araignée, alertée par ce manège, sort
précipitamment de sa retraite et se dirige droit sur son ennemi qui, en
un instant, s’en saisit et la paralyse sur place. Parfois ce sont deux
femelles d’A. erberi qui effectuent cette manœuvre, chacune de
son côté. Quelquefois, l’Araignée, ayant deviné la supercherie, fait
mine de sortir avant de réintégrer ses pénates. Si la toile est
particulièrement petite, il peut arriver, ainsi que je l’ai observé une
fois, que l’Amaurobius se fasse saisir au moment où elle se
présente sur le seuil de son repaire, le Pompile n’étant alors qu’à 15
mm de sa proie. La rapidité de la proie est telle que parfois elle a le
temps de faire l’aller et retour sans que le Pompile ait pu réagir. De
toute façon, quelle que soit l’issue, l’Hyménoptère n’insiste pas plus
d’une trentaine de secondes car, passé ce laps de temps, sa méthode
basée sur l’effet de surprise n’aurait plus le résultat escompté. Il
répète plus loin le même manège tant les toiles d’Amaurobius abondent dans ces biotopes.
Arachnospila
conjungens Kohl est l’un des rares Pompilides à nidifier dans le bois
mort (chêne vert notamment). Ici on le voit traînant sa proie
paralysée, Amaurobius erberi Keys.
Cliché E. Gros
Quelques mots d’explication Cribellée : se dit de la soie de certaines Araignées (Cribelletes) qui ont un cribellum (plaque situé au niveau des filières antérieures). Cette soie est "peignée" par le calamis¬trum (petits crins courbes sur la face dorsale de la quatrième paire de pattes) au fur et à mesure de son émission. Errantes : Araignées qui capturent leurs proies, soit à la course (Lyeosidae, Saltiei¬dee), soit à l’affût (Thomisidae), sans l’aide d’aucun piège soyeux. Irrégulières: toiles formées de fils tissés en tous sens au niveau du sol ou dans la végétation (Theridiidae). Nappidiformes : toiles en forme de nappe plus ou moins étendue avec une retraite tubulaire (Agejenidae). Orbiteles : toiles géométriques des Epei¬res (Araneidae). Tubiformes : toiles faites d’un tube de soie qui s’évase plus ou moins en s’étalant à l’extérieur (Segestriidae). Terricoles : Araignées vivant dans un terrier creusé par elles (Ctenizidae). |