Parmi tant de faits qui signalent le phénomène de leur métamorphose, en voici un curieux : pendant plusieurs années, une espèce parmi mes chenilles ne formait jamais de chrysalides et mourait, lorsque je m’aperçus que plusieurs de ces chenilles ne mangeaient plus et rôdaient autour de leur compartiment ; je les pris et les déposai dans la campagne près d’un mur à la base duquel il y avait des herbes ; elles cherchèrent entre ces herbes jusqu’à ce qu’elles eussent trouvé ce qu’il leur fallait. Je ne les perdais pas de vue ; peu d’instants après, elles avaient coupé les tiges d’une plante qui porte des épis (1) ; elles fixèrent toutes les petites feuilles de l’épi sur leur corps et unirent le bout de la tige à l’extrémité de leur corps ; on ne distinguait pas l’épi qui contenait la chenille des autres épis tant il était bien imité. Les chenilles employèrent moins d’une heure à cette opération ; une heure après je pris un des épis par la tige ; il paraît que cela contraria la chenille car elle le secoua avec violence ; je ramassai les trois autres et les déposai dans leur compartiment qui était, comme tous les autres, numéroté ; j’y ajoutai la date. Trente-cinq jours après, un joli papillon sortit d’un épi, le jour suivant deux autres, le quatrième était mort dans l’épi.
Les papillons sortent très humides de leur chrysalide et leurs petites pattes tremblent sous le poids de leur corps ; leurs ailes sont pendantes, mais peu à peu ils se raffermissent sous leurs pattes ; leurs ailes se relèvent : une heure après, leur beauté apparait, ils ne grandissent pas après leur naissance. Trois heures après leur sortie de le chrysalide, je fixai leurs ailes sur deux morceaux de verre, l’un naturellement, l’autre à l’envers, et piquai leur corps sur du liège, puis leur passai sous le corps avec un pinceau de la liqueur dont je me servais pour embaumer des animaux ; cette liqueur les tuait immédiatement et les préservait des insectes rongeurs qui les attaquent et les font tomber en poussière ; on ne peut se faire une idée de la beauté, de la fraîcheur et des couleurs brillantes des papillons ainsi traités ; ceux qu’on prend avec des filets de gaze ou autres perdent quantité de leur duvet outre celui qu’ils ont déjà perdu en voltigeant dans les campagnes. …
Jeanne Villepreux-Power.
Observations et expériences physiques sur plusieurs animaux marins et terrestres - Ch. de Mourgues Imp., Paris, 1860
(Extrait : Chenilles et papillons)
(1) Cette plante appartient à la famille
des graminées. Sa tige a à peu près