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Miscellanées
Les
insectes d'avant
Admirable recette pour détruire
les insectes
non susceptibles d'être apprivoisés
La superbe harangue
du charlatan
produisit une sensation
inexprimable. Les acheteurs
se pressèrent
en foule
autour de
l'officine à quatre
roues, du
haut de
laquelle l’ami de l'humanité souffrante
leur distribuait
ses bienfaits
empaquetés, tandis que
la
Reine des îles Salmigondis
et recevait
le prix,
et que
l'orchestre continuait
son étourdissant
vacarme.
La vogue était
naturellement réservée à
ce fameux
Élixir,
qui rajeunissait
même les
centenaires ; qui guérissait
tout le mondes même les
boiteux, les bossus
et les
manchots. Tout; le monde
en voulut
donc, surtout les
femmes, jeunes et
vieilles, celles-ci pour
recouvrer leur jeunesse,
celles-là, pour la
conserver.
II restait cependant
quelques fioles du
merveilleux liquide, car
le nombre,
des fioles
préparées avait dépassé d'une
vingtaine celui des
dupes. Le
Marquis
n'aimait point à
perdre une
partie de
sa main-d’œuvre.
Il prit
une seconde
fois la
parole pour
réchauffer l'enthousiasme.
En général,
au barreau
et à
la tribune
comme sur
les tréteaux,
un orateur
doit toujours
parler
deux fois
au moins
sur le
même sujet.
« A mon reste ! s'écria-t-il,
à mon
reste ! C'est une
occasion unique ! Je
ne donne
mon Mathusalem
à ce
prix que
pour cause
de cessation
de commerce.
Dès demain,
j'abdique en effet
la glorieuse
mission de
faire le
bonheur de
mes semblables;
dès demain, satisfait
et content
des immenses
richesses que m'a
values mon
philanthropique désintéressement,
je retourne
à la
vie privée,
je me
retire dans
mes terres,
pour y
goûter les
charmes de
l'étude et
de la
retraite, pour y voir se
lever l'aurore
et cultiver des
pommes dé
terre, avec
une conscience
pure et tranquille,
deux cent mille
livres de
rentes et
le doux
souvenir du bien
que j'ai
pu faire.
La vie,
pour moi,
ne sera
désormais que le
soir d'un
beau jour.
Je le
répète, Messieurs
et Dames,
profitez de la circonstance !
« Je ne vous
ai pas
dit, d'ailleurs,
tous les
effets de
mon incomparable
Ëlixir. J'ai
passé les
meilleurs sous silence,
car je
n'ai jamais
oublié que
la modestie doit
être l'apanage
du vrai
mérite, Mais
puisque vous
m'y forcez,
je vais
enfin vous
les révéler tous.
« Non-seulement, Messieurs et
Dames, mon
Élixir enlève les taches
de rousseur
sur le
visage, mais
encore il
nettoie parfaitement
les vieux
habits.
« Non-seulement il
engraisse les personnes
maigres,
mais encore
il maigrit
les personnes
grasses.
« Non-seulement il
rend la
fraîcheur, la force,
la santé,
la vie
aux hommes,
mais encore
il donne
la mort
aux mouches, aux
cousins, aux puces,
aux cris-cris,
aux punaises,
à tous
ces insectes
incorrigibles
dont la
nature s'est
plu à
orner nos
domiciles,
afin de nous
faire, admirer
l'infinie variété de ses créations, et
dont, comme
l'a dit
un poète,
je ne
sais plus
lequel, un
nommé Malherbe,
je crois
:
« Le tourlourou qui
veille àùx
barrières du Louvre
Ne défend
pas nos
rois. »
« Aussi, Messieurs
et Dames,
presque toutes
les têtes couronnées
de l'Europe
m'ont accordé
depuis longtemps
l'entreprise générale de
leur extermination. Je
parle des
insectes qui peuplent
les palais.
« Voici comment
il faut s'y
prendre pour
triompher de ces nuisibles hôtes
qu'une femme
de beaucoup
d'esprit, la célèbre
madame de
Staël, appelait
des ennemis
intimes.
« Occupons-nous, par exemple,
de la
punaise ; car, qui
dit la
punaise, dit la puce, le
cousin, la
mouche, etc. ;
le procédé
est le
même.
« En général,
on est
injuste envers
la punaise.
C'est un animal
extrêmement curieux à
voir au
microscope.
Mais je
n'ai pas
mission de
réformer tous les
préjugés.
« Or, une bande
de cinq
mille punaises,
je le suppose, a
fixé son
domicile politique dans
votre alcôve.
« Que faites-vous
en présence
d'un si
formidable danger ? Rien
de plus
simple. Vous
commencez par acheter
de mon
Élixir, et
vous n'en
frottez ni
votre «
lit, ni
vos tentures,
ni vos
rideaux, ni les parois de
vos murailles.
Et d'un.
« Quand vous n'avez
pas fait
cela, vous
passez sans
dormir quinze
ou vingt
nuits, s'il
le faut,
à côté
de votre
lit, la
chandelle à la main, observant
les mœurs
de ce
curieux animal,
étudiant les nuances
délicates de son caractère, explorant
ses habitudes,
ses goûts,
ses caprices
même et ses gracieuses, fantaisies.
Et, de deux.
« Cela fait, quand
l'heure de
la vengeance
vous semble
enfin venue,
vous- vous
mettez en
embuscade,
le cœur
ému, comme
le jour
d'une bataille,
l’œil attentif,
la poitrine
oppressée, à la porte du
repaire qu’habite
votre implacable
ennemie; et là, lorsqu'elle; vient
à sortir
de son
antre, vous vous précipitez
courageusement sur elle, vous
la saisissez
d'une main
ferme mais
délicate, vous la
placez à
la renverse
sur le
carreau, vous vous
baissez, vous lui
posez le
genou sur
la poitrine,
vous lui
reprochez sa conduite,
en termes
amers, et
enfin vous
vous écriez
avec toute
l'exaltation qu'inspire la
victoire : « —
Misérable! reconnais ton
vainqueur !... Et de trois.
Le tour est
fait; ce
n'est pas
plus malin
que ça.
Vous pouvez ensuite lâcher votre adversaire si votre genou ne l'a pas trop incommodée. Il n'y a pas de danger qu'elle ose y revenir : l'animal est un peu trop humilié pour cela. Donc, pour peu que vous recommenciez le même manège avec les autres, vous êtes à peu près certain d'être débarrassé de la bande, y compris celles qui auront eu le temps d'éclore dans l'intervalle.
« Et voilà
comment, Messieurs et
Dames, par l'effet de
mon Élixir,
on extermine
les insectes
réputés indomptables jusqu'à
ce moment.
« Qu'on se
le dise.
En avant la musique !
»
Ce supplément de
discours obtint, le
résultat qu'en attendait
l'orateur.
[…]
Les aventures de Jean-Paul Choppart. Louis
Desnoyers, ill. H. Giacomelli. J. Hetzel (Paris), 1875.
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