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Miscellanées
Les
insectes d'avant
La domestication des blattes
On rencontre dans les insectes des faits de
nutrition absolument analogues à ceux que nous offrent les vertébrés
supérieurs. S'ils sont beaucoup moins connus du public, c'est
uniquement en raison de la faible taille de ces animaux, qui atteignent
souvent les limites microscopiques et ne sollicitent pas l'attention
des observateurs superficiels, rencontrant même parfois un dédain
immérité. Il y a chez les insectes tous les types possibles
d'alimentation. À côté d'espèces qui ne vivent que des sucs des fleurs,
se rencontrent des carnassiers, plus féroces même que les plus
puissants félins, et d'autres espèces que leur voracité extrême a
rendues véritablement omnivores, à la façon des porcs et des rats de
l'espèce du surmulot. Les gros mangeurs de la création entomologique
sont représentés par les Orthoptères, dont l'appareil digestif offre
des renflements multiples et successifs, dans lesquels se déversent les
liquides de glandes diverses, auxiliaires d'une digestion qui s'opère
sur les substances les plus variées. Ce sont les insectes qui nous sont
surtout connus par les types des courtilières, des grillons, des
criquets, et qui offrent des pièces buccales puissamment organisées
pour broyer. Leurs ailes supérieures sont des étuis à demi cornés,
tandis que les inférieures, organes presque exclusifs du vol, sont
grandes et larges, obligées de se replier en éventail lorsqu'elles
rentrent au repos sous les supérieures qui les abritent. Les
Orthoptères constituent l'ordre le moins nombreux en espèces, mais
cette infériorité est rachetée par la quantité considérable des
individus de certaines d'entre elles, douées de la plus funeste
fécondité. Aussi les criquets, appelés vulgairement et à tort
sauterelles, méritent à juste titre le nom de fléau que leur donnent
les livres saints, puisque la famine et la peste sont souvent la
conséquence de leurs migrations désolantes, qui font disparaître toute
la végétation des pays où s'abattent leurs essaims faméliques.
Les Blattes, quoique ne produisant pas d'aussi graves dangers, prennent
rang après ces funestes dévastateurs. Ce sont des Orthoptères qui,
poussés par une voracité insatiable, font leur proie avec indifférence
des substances d'origine animale ou végétale, semblant rechercher
surtout celles qui servent à l'alimentation de l'homme ou à ses usages
domestiques pour la confection de ses vêtements et l'ornement de ses
demeures. Ces insectes n'attaquent pas, ou peut-être tout à fait
exceptionnellement, les insectes vivants, recherchant avant tout une
nourriture azotée, qu'ils puissent dépecer sans résistance.
Presque toutes les Blattes (en prenant ce mot dans un sens général)
sont des insectes nocturnes, à couleur brune ou fauve, parfois
grisâtre, parfois d'un jaune pâle, ne présentant pas cette livrée
brillante des insectes qui recherchent les rayons du soleil. Elles ont
un corselet large, sous lequel se cache la tête, de longues antennes
ténues, des pattes grêles, mais fortes. Aussi les Blattes sont
très-agiles, et on les voit fuir de toutes parts avec rapidité lorsque,
dans nos maisons, on vient à éclairer brusquement les endroits où elles
exercent leurs déprédations dans l'obscurité de la nuit. Elles sont
remarquables par leur corps aplati, ce qui leur permet de se loger sous
les pierres adhérentes au sol, dans toutes les fissures de la terre ou
des murs, et de passer à travers les fentes des caisses lorsque leur
odorat leur indique à l'intérieur des substances d'origine organique.
Aussi, dans les voyages au long cours, on est obligé de protéger contre
leur voracité les provisions alimentaires, les tissus, les papiers, en
enfermant les caisses dans des boîtes extérieures de fer-blanc, soudées
à l'étain. En général les Blattes répandent une odeur forte et
désagréable sur tous les objets sur lesquels elles ont passé.
Comme tous les Orthoptères, les Blattes n'ont que des métamorphoses
incomplètes, ce qui augmente l'intensité de leurs ravages. En effet,
depuis le minuscule insecte qui sort de l'œuf jusqu'à l'adulte apte à
la reproduction, il n'y a pas de phase d'immobilité et d'abstinence de
nourriture, et le régime de l'insecte, continuellement vorace, est le
même dans toutes les périodes de son existence. On voit seulement, et
sans passages brusques, apparaître les ailes des deux paires par petits
moignons qui grandissent peu à peu. Les femelles d'un certain nombre
d'espèces ne prennent jamais les ailes propres au vol, et même les
pseudélytres peuvent demeurer raccourcies et ne pas recouvrir
complètement l'abdomen. Il résulte de là qu'il est souvent fort
difficile de savoir si on a affaire à des Blattes adultes ou à des
larves, quand il s'agit d'espèces qui restent aptères à tous; les
états, comme il s'en présente dans certains genres; on n'a plus alors
d'autre indice de l'état définitif que des téguments plus durs et plus
résistants. S'il est question de Blattes à pseudélytres et à ailes bien
développées à l'état parfait, on voit une articulation en forme
d'incision de l'organe du vol au thorax, lorsque la Blatte est adulte,
tandis que le moignon alaire est en prolongement continu avec le
segment dorsal d'attache si l'insecte est à la phase de nymphe. Ce
caractère permet de reconnaître un adulte à organes du vol oblitérés.
On trouve chez les Blattes, comme dans une partie des Orthoptères, des
filets de longueur variable terminant l'abdomen, les cerques, existant
dans les deux sexes, formant une paire d'appendices poilus et
multi-articulés, et les styles, propres aux mâles seuls et pouvant
aider à les reconnaître, en forme de deux épines fines et mobiles. Ils
sont très-longs chez les Kakerlacs, courts chez d'autres genres de
Blattes, nuls dans la Blatte laponne, etc. L'avortement du style droit
se manifeste fréquemment chez le mâle adulte.
Les tarses ou terminaisons des pattes constituent, comme on sait, un
caractère important de la classification des insectes. Chez les Blattes
ils sont normalement de cinq articles aux trois paires de pattes
(pentamérie), les quatre premiers de ces articles étant comprimés. Il
n'est pas rare qu'un article fasse défaut par avortement, soit à un
tarse, soit à plusieurs; ce n'est jamais le premier ni le dernier qui
disparaît, mais un intermédiaire. M. L. Brisout de Barneville (Ann. Soc. entom. de France,
2° série, 1848, VI, Bull., p. xx) cite dix espèces de quatre genres
différents, sur lesquelles il a observé quatre articles à un ou à
quelques-uns des tarses. M. Brunner de Wattenwyl (Nouveau système des Blattaires,
Vienne, 1865, en français) dit qu'on peut joindre beaucoup d'autres
espèces à celles déjà indiquées, et que, le plus souvent, l'avortement
porte sur le dernier tarse gauche. On trouve quelquefois des Blattes
hétéromères, à la façon d'un grand groupe des Coléoptères, c'est-à-dire
présentant cinq articles aux tarses des paires antérieure et
intermédiaire de pattes, et quatre seulement aux tarses postérieurs.
Ainsi s'explique l'erreur de Geoffroy, le vieil historien des insectes
des environs de Paris, qui donnait ce rare caractère comme propre aux
Blattes, d'après l'observation d'un sujet accidentel du Kakerlac
oriental ou Blatte des cuisines.
Le cinquième article des tarses est essentiellement différent de forme
des quatre qui le précèdent. Au lieu d'être comprimé, il est étroit à
la base et s'élargit vers la pointe, qui porte toujours deux crochets
mobiles. Entre ces crochets se trouve placée une pelote arrondie, en
forme de peau veloutée, circulaire ou ovalaire. C'est un organe de
tact, peu visible dans les genres dont certaines espèces habitent les
maisons (Periplaneta, Blatta, Ectobia).
Les Blattes sont des insectes terrestres et complètement muets,
appartenant aux Orthoptères coureurs, dont les pattes postérieures ne
sont pas conformées pour le saut, apanage des grillons, des sauterelles
et des criquets. Si quelques espèces vivent au jour sur les végétaux,
la plupart sont lucifuges se tenant cachées à l'état de liberté sous
les feuilles mortes et sous les pierres, et quelques-unes dans le bois
pourri. L'accouplement des Blattes se fait sur la même ligne, les corps
opposés.
Les femelles des Blattes sont très-fécondes et pondent leurs œufs, non
pas un à un, mais renfermés dans une oothèque ou capsule cornée, en
forme de haricot ou de fève. Elle est sécrétée à l'intérieur de
l'oviducte de la femelle, et divisée, à partir d'une ligne médiane, en
deux séries régulières de compartiments, contenant les œufs, chacun
dans une logette. La mère traîne l'oothèque derrière elle, pendant
quelques jours, jusqu'à ce qu'elle soit devenue consistante et que les
œufs aient atteint leur complète maturité. On dit qu'alors la femelle
abandonnant sa coque aide parfois les jeunes larves à la fendre et à
sortir des œufs.
L'extrême voracité de certaines espèces de Blattes de divers genres les
a amenées à une véritable domestication dans les demeures de l'homme,
où; elles trouvent en abondance des provisions toujours prêtes. En
outre la chaleur de nos foyers, de nos cuisines et de diverses
industries, semble convenir beaucoup aux Blattes, et aider à leur
rapide développement; car les espèces de nos maisons pondent toute
l'année dans les locaux où la température demeure toujours élevée,
comme les serres, les fournils des boulangers, les cuisines des
restaurants, les cages des machines à vapeur, etc. J'ai souvent cité
l'exemple des Blattes à ces esprits obstinés qui nient l'influence de
l'homme sur les espèces animales, et la stérilité nécessaire de nos
tentatives pour, les changer de milieux, avec reproduction facile; en
un mot les acclimater. Les Blattes s'acclimatent malgré nous, et sont
devenues véritablement cosmopolites pour certaines espèces transportées
partout par les navires. Au reste le Phylloxéra de la vigne nous offre
encore un récent et terrible exemple.
Nous allons rapidement indiquer les principales espèces qui suivent l'homme dans ses habitations.
Les régions chaudes de l'Amérique nourrissent des Blattes de grande
taille, que les colons et les marins ont nommé kakerlacs ou cancrelats.
Elles ont des ailes et des pseudélytres complètes. L'une d'elles est la
Blatte américaine, la grande Blatte de Geoffroy (Periplaneta americana,
Linné) (fig. ,1). Elle est longue de 28 à 32 millimètres, d'un roux
ferrugineux plus ou moins clair, à longues et robustes antennes, avec
deux impressions latérales ferrugineuses sur le disque du pronotum plus
pâle, les pseudélytres et les ailes dépassant d’un tiers l’abdomen dans
les deux sexes. Les plaques terminales de l’abdomen sont longues,
membraneuses, incisées au milieu, très-visibles, les cerques
très-longs, et de même les styles du mâle. Les larves ont une couleur
plus claire.
Fig. 1. – La Blatte américaine, larve et adultes
Cette grande Blatte est très-abondante à la Havane et devient un
véritable fléau des maisons. C'est à elle que se rapporte cette
anecdote, récemment insérée dans notre journal la Chronique,
que l'on conserve avec soin les crapauds dans les maisons, et que les
dames les tolèrent, même sous leurs robes, en raison de leurs
continuels services, car ils se promènent sans cesse à la recherche des
Kakerlacs. Il y a aussi des Hyménoptères fouisseurs, les Chlorions, à
corps d'un beau vert métallique, qui engourdissent ces grandes Blattes
d'un coup d'aiguillon, les réservant pour nourriture à leurs larves.
Ils les traînent jusqu'aux trous qu'ils ont creusés, et les y font
entrer en les comprimant. C'est principalement cette Blatte qui infeste
les vaisseaux et court la nuit sur les passagers endormis. On la trouve
en France, en Belgique, en Angleterre, etc., dans les docks, les
raffineries de sucre colonial, les magasins où sont entassées les
peaux, les serres chaudes, etc. Elle ne s'est pas introduite
heureusement chez nous dans les maisons particulières, où sa présence
serait un objet de dégoût continuel et même d'effroi. Les navires et
les denrées tropicales l'ont répandue dans le monde entier.
Il y a quelques espèces du même genre qui ont les organes du vol plus ou moins atrophiés (sous-genre : Stylopyga,
Fischer de Waldheim), et qui ont dès lors une station exclusivement
terrestre. Parmi elles se trouve un insecte cosmopolite, la Blatte,
orientale (Periplaneta orientalis,
Linn.), la Blatte des cuisines de Geoffroy, appelée vulgairement
cafard, ravet, bâte noire. Cet insecte, beaucoup trop connu, est en
entier d’un brun noirâtre, long de 20 à 23 millimètres dans deux sexes
(fig. 2). Les pseudélytres du mâle sont tronquées et n'atteignent pas
le bout de l'abdomen, et les ailes sont plus courtes, d'un jaune sale;
il ne paraît pas en faire usage. La femelle n'a que des pseudélytres
latérales et en forme de lobes, sans ailes au-dessous, de 4 millimètres
de long, montrant encore bien toutefois leur principale nervure, dite
la strie arquée et plusieurs autres ; elle traîne derrière elle,
pendant sept à huit jours, une oothèque cylindrique, arrondie aux deux
bouts et d'un brun marron. Le développement complet de l'espèce dure,
dit-on, cinq ans.
Cette espèce n'a jamais été observée chez nous en rase campagne, mais
toujours dans les maisons, où elle se reproduit s'il y a une chaleur
suffisante, comme celle des fournils, des forges, des cuisines toujours
en activité. L'insecte cause beaucoup de dégâts en dévorant les
provisions, notamment la farine, le riz, les fruits secs. Les deux
sexes se cachent pendant le jour derrière les fentes des murs et des
planchers, les gonds des portes, etc., mais sortent de leur retraite
pendant la nuit, exhalant une odeur répugnante, qui rappelle celle de
la souris. On est effrayé de la multitude de ces insectes, si on
pénètre la nuit, avec une lumière dans une cuisine de restaurant, où on
les voit occupés à dévorer les débris qui couvrent le plancher, ou même
courant sur les restes de victuailles, si on n'a pas eu soin de les
enfermer dans des garde-manger bien clos. L'année dernière j'eus
l'occasion d'assister à des expériences sur la poudre insecticide de
pyrèthre de M. Vicat. Dans la cave d'un des principaux restaurants de
la rive gauche se trouvait un soupirail d'aération débouchant dans la
cuisine placée au-dessus. C'est là que pendant le jour se cachaient
Fig. 2. — La Blatte orientale, mâle.
endormies les Blattes orientales. D'impalpables nuages de poudre
insecticide furent lancés dans le soupirail au moyen d'un soufflet.
Pendant plusieurs minutes une véritable grêle de Blattes tomba sur le
sol de la cave, où ces insectes couraient à faible distance, bientôt
engourdis par les approches de la mort, qui arrive au bout de quelques
heures. On a vu parfois leur propagation rendre des maisons
inhabitables. La cour impériale de Bordeaux fut appelée, le 17 janvier
1869, à rendre un arrêt sur une contestation entre propriétaire et
locataire, au sujet d'un hôtel garni de Périgueux devenu d'une
exploitation impossible par la multitude des Blattes orientales qui
l'infestaient. Les matériaux de construction de la maison rendant
très-aisé l'établissement des trous de refuge, et aussi la profonde
incurie des locataires, étaient la cause de cette propagation effrénée.
En quatre heures de nuit, et en opérant avec 2 kilogrammes de poudre
insecticide, les experts avaient ramassé 2244 Blattes.
C'est surtout en Asie et en Europe qu'habite la Blatte Orientale, qu'on
croit originaire de l'Asie Mineure. On la rencontre dans toute l'Europe
centrale et méridionale et en Algérie ; ce n'est que depuis deux cents
ans qu'elle s'est propagée abondamment dans l'Europe occidentale, avec
l'extension du commerce. Elle manque dans la partie septentrionale de
l'Europe, ainsi qu'en Laponie. Elle est très-commune en Asie Mineure et
dans les Indes orientales. Les colons européens l'ont importée dans les
États-Unis, au Chili, à Buénos-Ayres et en Australie.
Les bois de nos environs de Paris et de toute la France présentent, à
l'état libre et sauvage, plusieurs espèces de Blattes, de petite taille
comparativement aux précédentes, et médiocrement communes, parce
qu'elles ne trouvent pas toujours une nourriture surabondante, et
surtout parce que de nombreux insectes carnassiers viennent à en
limiter le nombre. Comme les espèces du genre précédent, ces Blattes
sylvestres appartiennent au groupe des Blattiens à cuisses épineuses.
Elles se tiennent surtout sous les feuilles sèches; au commencement de
l'été, les adultes aiment à grimper au soleil sur les grandes herbes et
volent fréquemment à petite distance, passant alors sur les buissons,
les orties, les genévriers, les pins. En septembre et en octobre, on ne
rencontre plus que des larves sans ailes, sous les feuilles sèches, à
la lisière des bois et dans les clairières, et elles hivernent, cachées
et engourdies, pour subir les dernières mues au printemps.
Deux de ces espèces sauvages ont été poussées par leur voracité à
devenir domestiques des maisons, dans les pays où le climat leur
rendait la vie libre trop rude et où, d'autre part, il s'opposait à la
propagation de la Blatte orientale, même dans les maisons, car cette
espèce, plus robuste, chasse des maisons les Blattes de plus faible
taille. La plus grande des Blattes sylvestres ainsi acclimatées dans
les maisons est la Blatte germanique, du genre Blatta, Linn., ou Phyllodromia,
Audinet-Serville, longue de 13 millimètres chez le mâle et 11 seulement
chez la femelle, existant en liberté dans toute l'Europe tempérée et
méridionale, ne paraissant pas remonter à cet état jusqu'à l'extrême
nord de la France, ni en Belgique, se trouvant en Sicile, en Algérie, à
la fin d'avril, dans les bois, sous les feuilles humides (H. Lucas).
Le genre auquel appartient cette espèce présente le corps des mâles
allongé, tandis qu'il est dilaté chez les femelles. Les antennes sont
sétacées, beaucoup plus longues que le corps, et la tète à peu près
cachée sous un petit prothorax suborbiculaire. Il n'y a pas d'écusson
entre les pseudélytres, qui sont coriacées, dépassent l'abdomen et sont
marquées de stries longitudinales. Les ailes bien développées, de la
longueur des pseudélytres, ont le bord antérieur coriace et foncé,
ordinairement d'autre couleur que le reste de l'aile. Les pattes sont
allongées, minces, épineuses, les cerques sont très-longs et les mâles
ont souvent des styles.
La Blatte germanique est d'un fauve jaunâtre, et le dessus du prothorax
a deux raies noirâtres parallèles, avec un espace jaune plus large
entre elles. Les caractères de nervation des pseudélytres et des ailes
amènent des différences entre cette espèce et celles du genre Ectobia,
qui vivent avec elle dans nos bois. Les cerques sont très-longs et
poilus, avec douze articles distincts, et la plaque sous-génitale du
mâle ne porte ordinairement qu'un seul style. Chez les larves, les deux
bandes brunes du dessus du prothorax s'étendent sur le reste du thorax
et sur l'abdomen. L'oothèque est rousse, longue de 7 millimètres sur 2
millimètres de haut, à suture finement crénelée; les deux côtés, peu
convexes, portent vingt côtes perpendiculaires à la suture.
La femelle de la Blatte germanique paraît traîner son oothèque
très-longtemps, quinze à vingt jours. Puis elle la prend entre ses
pattes de devant, la tâte et la retourne en tous sens et lui fait une
ouverture longitudinale d'un bout à l'autre. À mesure que cette fente
s'élargit, sortent de la coque des petites larves blanches, roulées,
attachées deux à deux, une trentaine par oothèque. La mère les aide à
sortir et à se développer, en les touchant avec ses palpes maxillaires
et les frappant doucement de ses antennes. Les larves remuent leurs
pattes, et leurs antennes se détachent les unes des autres et marchent
au bout de quelques secondes. L'oothèque vide montre des cellules
blanches et lisses, séparées par des cloisons, dont le nombre
correspond à celui des raies de l'extérieur, autant qu'il y avait
d'œufs, puis de larves. La femelle ne s'occupe plus des jeunes larves
une fois celles-ci sorties de la capsule ovigère. Blanches et
translucides, avec des yeux noirs et une marque foncée sur l'abdomen,
indiquant le tube digestif par transparence du tégument, elles ne
tardent pas à devenir noirâtres, avec nuances de gris jaunâtre, et
courent ça et là, au bout de vingt minutes, cherchant à manger et
s'attachant aux débris organiques à leur portée.
Pour opérer une mue, la larve s'accroche à quelque objet, et l'insecte
sort de la vieille peau fendue le long du dos, la nymphe avec fourreaux
alaires à l'avant-dernière mue, l'adulte, à ailes bien développées, à
la dernière. La Blatte, après chaque mue, reste quelques instants d'un
blanc de neige, avec les yeux noirs, se colorant ensuite à vue d'œil
d'abord par les antennes et les pattes. Les mues sont d'un nombre
difficile à préciser, car parfois les larves et les nymphes mangent les
anciennes peaux et la matière des oothèques. Si, dans une mue, une
larve casse ou endommage un de ses appendices, ainsi une antenne, il
est réparé, mais incomplet et bien plus court qu'à l'état normal. Cette
repullulation des parties, à la façon des Crustacés, est un caractère
d'infériorité pour un insecte.
La Blatte germanique se reproduit en domesticité dans les maisons de la
Prusse et de l'Allemagne du Nord. Elle abonde dans le nord de la
Russie, très-commune dans les cuisines de Saint-Pétersbourg, mangeant à
peu près de tout, mais préférant le pain et même le pain blanc au pain
bis, ne recherchant la farine et la viande qu'à défaut d'autre aliment,
se trouvant par milliers dans les flacons débouchés qui ont contenu de
l'huile, aimant beaucoup le cirage des bottes et le rongeant jusqu'au
cuir. Illiger assure qu'elle se repaît volontiers de citrons, de divers
acides végétaux et même d'encre. Les Russes disent que cette espèce
leur a été apportée de Prusse par leur armée, au retour d'Allemagne
après la guerre de Sept ans, et qu'auparavant elle n'était pas connue à
Saint-Pétersbourg. Elle ne paraît pas exister libre en Belgique, mais
s'y trouve en certaines villes dans les maisons, très-commune par
places près de Liège, de Bruxelles, etc.
Un fait curieux et non signalé encore, c'est qu'elle peut exister aussi
domestique à Paris. Elle vient d'être trouvée dans un restaurant placé
dans une maison qui donne sur les rues de Rambuteau et Pirouette, et où
se trouve un dépôt de salaisons du Nord, qui a sans doute causé
l'importation de la Blatte. Ce restaurant n'a pas de Blattes
orientales, contre l'ordinaire, et leur introduction serait
probablement le meilleur moyen d'expulser la Blatte germanique.
Celle-ci, beaucoup plus importune que la Blatte orientale, qui se
contente de courir sur les planchers, vole partout et se soustrait
ainsi aisément à l'action de la poudre de pyrèthre, qui a été essayée
en vain et sans doute sans une attention suffisante. On a remarqué dans
ce restaurant les femelles traînant leur sac à œufs. Le conseil a été
donné de faire pénétrer le plus possible dans les fentes des substances
insecticides, puis de boucher ces fentes avec du mastic. Deux autres
restaurants, l'un de la rue Saint-Martin, l'autre situé sur le
boulevard de Sébastopol, tous deux non loin des Halles, et dans un
quartier qui reçoit beaucoup de denrées du nord de l'Europe, présentent
aussi cette Blatte germanique, d'après ce que m'a rapporté M. Gilnicki,
mon collègue à la Société entomologique de France. Elle m'a encore été
indiquée dans des restaurants de Paris, d'autres quartiers, ainsi sur
la rive gauche, dans un restaurant de la rue Mouffetard, et dans un
autre de la rue Racine.
La Blatte germanique pullule dans les vaisseaux, où on la surprend
surtout dans les barils de blé et de riz. Le transport par les navires
l'a rendue cosmopolite, car on la trouve au nord de l'Afrique et en
Algérie (H. Lucas), en Guinée, dans l'Amérique du Nord, au Mexique, aux
Antilles, au Chili, dans l'île de Ceylan et en Australie.
Nos bois parisiens recèlent, à l'état de liberté, une autre Blatte, plus petite et plus faible, la Blatte laponne (Ectobia lapponica,
Linn.). Elle appartient à celles des espèces du genre Ectobie qui ont
le corps noir chez le mâle, d'un jaune pâle en grande partie chez la
femelle : c'est une des Blattes jaunes de Geoffroy. Le mâle est long de
8 à 11 millimètres, la femelle de. 8 à 9 seulement. La coloration
très-différente des deux sexes de cette espèce les a souvent fait
prendre pour des espèces distinctes. Les Ectobies sont des Blattiens
dont les pseudélytres, à nervules pectinées, laissent entre elles un
écusson, et dont les ailes sont d'ordinaire bien développées. Les
cuisses sont faiblement épineuses, et les mâles n'ont pas de styles. Le
corps des mâles est grêle et étroit, élargi chez les femelles. Les deux
sexes de la Blatte ou Ectobie laponne ont les antennes brunes ou
noires, bien plus longues que le corps chez les mâles, le disque du
dessus du prothorax noirâtre, celui-ci bien plus large chez la femelle.
Les pseudélytres du mâle, jaunâtres et remplies de teintes noires ou
brunes, allongées, pointues, dépassent beaucoup l'abdomen, et
recouvrent des ailes amples et enfumées. Chez les femelles les
pseudélytres ne recouvrent que les deux tiers de l'abdomen et les ailes
sont plus courtes, pouvant même devenir rudimentaires dans la variété
hemiptera, Fabr. Les pattes et l'abdomen du mâle sont noirs, avec
cerques noirs et très-longs, de huit à dix articles; chez la femelle,
les pattes sont jaunâtres, ainsi que le dessous de l'abdomen, dont le
dos reste noir. Les larves ont les trois segments du thorax foncés au
milieu, avec les bords largement transparents. L'oothèque, de couleur
de poix, a cinq millimètres de long, avec vingt-quatre crénelures à la
suture, et, sur les côtés, une gaufrure formée de dix-huit carènes
parallèles à la suture.
La Blatte laponne se trouve dans toute l'Europe. Elle remonte dans les
Alpes de la Scandinavie et de la Suisse jusqu'à la limite des buissons.
Elle ne dépasse pas au sud la Toscane, la Dalmatie et la Sicile, et a,
dit-on, été importée accidentellement au Brésil. Les grandes Blattes de
ces chaudes régions lui interdiront à coup sûr l'accès des maisons
(malheureusement, c'est un remède pire que le mal), car sa gloutonnerie
la pousse à devenir domestique. C'est ce qui lui est arrivé dans le
nord de l'Europe, où la Blatte germanique l'expulse des demeures de
l'homme. Elle n'a trouvé de refuge que dans les huttes enfumées des
pauvres Lapons, où Linné, dans son excursion en Laponie, l'a découverte
dévorant les poissons séchés pour la provision de l'hiver. Il y a
quelque chose de curieux à voir la plus faible des Blattes, éloignée
des festins succulents par des Blattes plus robustes, et ne trouvant à
vivre que chez ces populations chétives de nains, que les anciens
conquérants ont chassées des contrées habitables, ne leur laissant que
les glaces et les neiges d'un long hiver, suivies des brouillards et
des pluies des marécages de l'été. Aux anciennes époques, l'homme
lui-même obéissait uniquement aux lois de la propagation des animaux,
qui sera à jamais assujettie à cette règle implacable, la force et rien
que la force.
Par Maurice Girard. Bulletin de la Société d'acclimatation, 1877 (SER3,T4) p. 296-309
Les gravures de cette note sont tirées des Métamorphoses des
Insectes, de M. Emile Blanchard, Paris, Germer Baillière, et des
Métamorphoses des Insectes de M. M. Girard, Ie édit., Paris, Hachette
et C'e; —Nous remercions MM. les Éditeurs de leur complaisance pour
notre Société. M. G.
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