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Le
Nouveau Monde a ses merveilles & ses prodiges, aussi bien que
l'ancien Monde : la nature est par tout bien-faisante , & fait par
tout montre de la Majesté de son divin Auteur. Il y a dans l'Isle , que
l'on nommoit d'abord Hispaniola, ce qu'on appelle aujourd'hui Saint
Domingue, une Mouche grosse comme un Hanneton, et qui est tellement
lumineuse de nuit , que l'on s'en sert comme de flambeaux pour se
conduire, lorsque les ténèbres couvrent cet Hémisphère de ses ombres
les plus épaisses. On a donné dans le pays à cet Insecte le nom de
Cuccujos. Sa lumière est à la tête, où elle a deux gros yeux flamboyans
comme deux grosses bougies. Elle luit aussi par les côtez au-dessous de
ses aîles : mais cette splendeur ne se voit que quand elle déploye ses
aîles , & qu'elle vole : car lorsqu'elle est arrêtée , les feux qui
sont à ses côtez, sont cachez sous ses aîles. Trois ou quatre de ces
Mouches suffisent dans une chambre pour y voir à minuit, lire, écrire,
& travailler comme durant le plus beau jour. Quand les Américains
voyagent de nuit, ils ont quatre ou cinq de ces Mouches comme un
collier autour de leur cou , & se conduisent plus sûrement au
milieu des bois & des forêts, qu'ils ne feroient avec un gros
flambeau de cire & de poix résine , parce qu'ils ne craignent point
que ni le vent, ni la pluye éteignent ces petits flambeaux naturels. Au
lieu de lampe , les Indiens dans leur domestique employent Ces Mouches
luisantes pour éclairer la maison pendant qu'ils soupent, & qu'ils
vaquent à leurs travaux de nuit.
Simon Maïole, Evêque de
Volturara, considérant ce que la nature a fait en faveur de ces
Régions-là, dit avec admiration: L'économie est bien facile à pratiquer
chez les Indiens. Toute une famille loge amplement sous un toît, &
toute cette famille travaille la nuit à la seule lumiere de quelques
Mouches luisantes .... *
Gerard-Jean Vossius dit qu'un seul Cucujos
donne plus de lumiere qu'une lanterne; qu'on croiroit que celui qui
porte une de ces Mouches porte effectivement une lanterne; qu'on ne
s'embarasse point de faire un chemin de quatre mille durant la plus
obscure nuit avec deux ou trois de ces Insectes , & qu'au reste on
peut mieux compter sur leur lumiere , que sur celle des flambeaux , qui
peut finir , ou s'éteindre par le vent & par la pluye.
Blaise de
Vigenere en parle comme d'une chose tout-à-fait merveilleuse. « Je n'ai
rien lû , dit-il , de plus admirable & étrange que ce que Gonçalo
de Oviedo , liv. 1 Ç. chap. 8. de son Histoire naturelle des Indes,
allegue de certain petit animal volant, de la grandeur d'un Hanneton ,
fort fréquent en l'Isle Espagnole , & ès autres d'alentour, ayant
deux aîles au-dessus fermes & dures, & dessous icelles deux
autres plus déliées. Le Bestion , dit Cocuio, a les yeux resplendissans
, ainsi que des chandelles allumées ; de sorte que par tout où il
passe, il illumine l'air , & y rend une telle clarté, qu'on le peut
voir de fort loin : & en une chambre, pour obscure qu'elle pût être
, voir en plein minuit, on pourroit lire & écrire à la lumiere qui
en sort. Que si l'on 'en mettoit trois ou quatre ensemble, cela
pourroit plus éclairer qu'une lanterne , ou flambeau à la campagne ,
& par les bois en une nuit des plus obscures , se faisant voir de
plus d'unes lieuë. Cette clarté ne consiste pas seulement en ses yeux ,
mais ès flancs aussi, quand il ouvre les aîles. Ils ont même accoûtumé
de s'en servir , comme nous ferions d'une lampe , ou autre lumiere pour
souper de nuit , & faire les affaires de la maison : mais selon
qu'il vient à s'affaiblir, & mourir, cette lumiere s'éteint aussi.
Les Indiens avoient de coûtume d'en faire une pâte, qui mettoit frayeur
à les regarder à l'obscurité, parce qu'il sembloit qu'ils eussent le
visage, qui en étoit frotté, tout en feu.
On voit par cette
pâte composée de Mouches luifantes , que les Indiens avoient déjà
inventé des manieres de Phosphores fort ingenieux ; & que ces
Cucujos fournirent même après qu'on les a tués, une matiere qu'un
habile Artiste pourroit employer heureusement à satisfaire la vive
curiosité où l'on est aujourd'hui d'avoir des Phosphores. C'est ce que
Vossius n'a pas oublié d'observer. On tire, dit-il , de ces Insectes
une liqueur qui jette des rayons de lumiere; mais cette lumiere ne dure
pas long-tems, parce que la force ignée s'éteint bien-tôt, à cause du
peu de matiere lumineuse qu se trouve dans la substance de ces Mouches.
Rochefort
dans fon Histoire naturelle des Isles Antilles, parle fort au long de
ces Mouches lumineuses , « que les Sauvages , dit-il , nomment
Cucuyos.... Les Indiens font bien aises d'en avoir en leurs maisons,
pour les éclairer au lieu de lampes.... Le fameux Auteur de Moyse sauvé
en parle ainsi dans la description qu'il nous donne d'une nuit :
«
Mais quelque lumineux que puissent être les Insectes luisfans de cet
ancien Monde , toujours ces petits Astres ne font-ils que comme une
petite étincelle au prix du grand feu que jettent ces flambeaux volans
de l'Amerique ; car non seulement on peut à la faveur de leur clarté
voir son chemin pendant la nuit ; mais à l'aide de cette lumiere on
écrit facilement, & on lit sans peine le plus menu caractere.... On
dit aussi que les Indiens expriment la liqueur lumineuse que ces
Mouches ont en leurs yeux & sous les aîles , & qu'ils s'en
frottent le visage & la poitrine en leurs réjoùissances nocturnes ;
ce qui les fait paroître au milieu des tenèbres, comme s'ils étoient
couverts de flâmes , & comme des spectres affreux, aux yeux de ceux
qui les regardent.... Ne trouvez pas mauvais que je m'arrête si
longtems à l'histoire d'une Mouche, puisque du Bartas lui a autrefois
donné place entre les Oiseaux au cinquiéme jour de la premiere semaine
, & en a parlé magnifiquement en ces termes :
Si
l'on avoit un vase de fin cristal ; & que l'on mit cinq ou six de
ces belles Mouches dedans il n'y a point de doute que la clarté
qu'elles rendroient, pourrait produire tous les admirables effets , qui
sont ici décrits par cet excellent Poëte , & fournirait un flambeau
vivant, & incomparable.
Il ne faut pas négliger ici ce que
le P. du Tertre Dominicain a publié de ces Mouches merveilleuses dans
son Histoire naturelle des Antilles, posterieurement à Rochefort, qu'il
redresse quelquefois. On trouve touiours quelques singuliers agrémens ,
dans les diverses Relations du même Païs. Un Voyageur est quelque fois
frappé d'une singularité , qui n'a point interessé un autre. Je n'ai
rien vu dans toute l'Amerique , dit le Pere du Tertre , digne à mon
jugement d'être admiré comme les Mouches luisantes : ce sont comme de
petits astres animés, qui dans les nuits les plus obscures remplissent
l'air de belles lumieres, qui éclairent & brillent avec plus
d’éclat que les Astres, qui sont attachés au Firmament. De jour elles
rendent hommage à ce bel Astre, duquel toutes choses lumineuses
empruntent tout ce qu'elles ont de splendeur et d'éclat; car elles
sçavent si bien cacher leur lumiere, que ceux qui ne les connoissent
pas, les prendroient pour de vils Escarbots : elles se retirent dans
les bois pourris , jusqu'à ce que le Soleil soit couché , & alors
elles prennent le vol qui deçà , qui delà , & il semble que ce
soient autant de chandelles allumées, portées par des mains invisibles,
le long des forêts & des habitations. Je ne sçai si c'est l’amour,
ou l’envie qui les fait courir avec tant d'ardeur après les
chofes qui brillent, ou éclatent tant soit peu ; mais il ne faut que
poser une chandelle, un tison de feu , ou une mèche allumée, pour les
faire approcher , & faire tant de tours aux environs de ces
lumieres étrangeres, que bien souvent elles y éteignent la leur, en s'y
brûlant , comme les Papillons à la chandelle. Ces petites chandelles
vivantes suppléent souvent à la pauvreté de nos Peres, auxquels la
chandelle & l'huile manquent la plûpart de l'année. Quand ils sont
dans cette nécessité, chacun se saisit d'une de ces Mouches , & ne
laisse pas de dire Matines, aussi facilement que s'ils avoient de la
chandelle. Si ces Mouches étoient incorruptibles, que leur lumiere les
survéquît, il est certain que les Diamans & les Escarboucles
perdroient leur prix ; mais cette lumiere est tellement attachée à la
difposition de l'Animal, que lorsqu'elles sont en pleine fanté, elles
font feu de toutes parts ; & quand elles sont malades, cette
lumiere s'affoiblit , & elle se perd entiérement lorsqu'elles
meurent. Cela se remarque aisément par ceux qui en veulent
conserver en vie ; car elles ne vivent que quinze jours, ou trois
semaines au plus, étant ainfi prises. Ce que le sieur de Rochefort
rapporte des Sauvages, qu'ils se frottent le corps de cette
liqueur luisante qui fort de cette Mouche, est un conte fait à plaisir
, & ce qu’il assûre, qu'elles ne vivent que de fleurs , est
pareillement faux, puisque j'en ai nourri de bois pourri ; & celles
que nous avons dans la Guadeloup , semblent ne vivre d'autre chose.
J'en ai vû une autre espece toute differente dans la Martinique ,
lesquelles ne sont pas plus grosses que les Mouches communes. Celles-ci
font briller en un moment dans l’air dix ou douze petits éclairs d'un
feu doré , le plus agréable du monde; puis elles s'arrêtent, & puis
cachent leur feu tout-à-coup , & à un moment de-là elles
recommencent , & vont ainsi en voltigeant toute la nuit, faisant
paroître à chaque démarche un petit échantillon de leur gloire. Cette
clarté est attachée à une certaine matiere blanche , de laquelle elles
sont toutes remplies , & elles la font paroître par les incisions
de leur peau, quand il leur plaît.
Le Journal des Sçavans
parlant de cette Histoire générale des Antilles , composée par le Pere
du Tertre Jacobin, dit : « Il confirme ce que d'autres Auteurs ont
dit des Mouches luisantes, qui se trouvent dans ce Païs, elles sont de
couleur brune , & pendant le jour qu'elles cachent leur lumiere, on
les prendroit pour des Mouches communes. Mais lorsque la nuit est
venue, elles jettent tant de lumiere, qu'il semble que ce soient de
petites Etoiles qui courent par la campagne. Les habitans les prennent
pour éclairer dans leurs maisons pendant la nuit ; & cet Auteur
assûre que les Ecclésiastiques s'en servent pour dire leur Breviaire ,
& qu'avec une de ces Mouches, ils le disent aussi facilement
qu'avec une chandelle. Pour les prendre il ne faut que mettre le soir à
la fenêtre une chandelle , ou un tison allumé ; mais étant prises,
elles ne vivent que quinze jours , ou trois semaines au plus. Leur
lumiere s'affoiblit, lorsqu'elles sont malades , & elle s'éteint
entierement lorsqu'elles meurent. »
M. Richard Wallrus de
la Societé Royale d'Angleterre , a fait des Observations fur la Mouche
luisante, qu'il a trouvée plusieurs fois dans le Comté d'Hertford. Il
n'en fait qu'une espece avec le Ver luisant, disant que cet Insecte est
d'abord Chenille, & qu'il prend enfuite des aîles ; que d'Insecte
rampant il devient Insecte volant, & qu'il ne paroît que durant les
plus véhémentes chaleurs de l'Eté.
Cardan n'a pas oublié le
Cucujos, il en parle fort bien dans son IX. Livre de Subtilitate. Le
Cucujos , dit-il, est un plus grand miracle que le Ver luisant. Le
nouveau Monde produit cette Mouche qui est grosse comme un Escarbot.
Elle vole , & luit de nuit comme la Cicendula. Son corps a de la
splendeur, & ses deux gros yeux brillent comme deux chandelles.
Quand les Indiens se donnent de grands repas, on affecte de les
éclairer par ces flambeaux vivans , & qui sont si magnifiques , que
la nature n'a rien fait en ce genre de plus merveilleux. Leur lumiere
s'éteint à mesure que leur vie finit; en sorte que quand ces grosses
Mouches sont mortes , elles ne luisent plus du tout. Cependant il reste
dans leurs corps cette liqueur qui brilloit par leurs yeux & par
leurs côtés , & elle retient si bien quelque peu de lumiere, que
ceux qui s'en frottent le visage, ont la peau toute rouge & toute
lumineuse.
Comme on a reproché au P. Kircher d'avoir trop
compté sur la parole de Cardan , & sur-tout en ce cas ci, Joseph
Petruci, qui est l'Apologiste de ce docte Jesuite, remarque sagement
que lorsque Kircher a rapporté & expliqué des faits comme celui-là,
il a toujours ajoûté ces mots, supposé que ce qu'on nous a raconté ,
soit vrai. Le Livre de cet Apologiste de l'impression d'Amsterdam,
n'est pas indigne de l'attention des Curieux.
Voici un autre
fait historique, ou plutôt fabuleux , où il se trouve un merveilleux
des plus surprenans. C'est Elien, qui nous le rapporte d'après Ctesias
Cnidien. Il y a, dit-il, dans le Fleuve Inde un Ver, long de sept
coudées, & si gros, qu'à peine un homme peut l'embrasser. Si on le
suspend en l'air, il en découle durant trente jours une huile épaisse ,
de laquelle le bois frotté s'allume aussi-tôt, & rien ne peut en
éteindre la flâme. C'est pourquoi les Rois de Perse s’en fervent à la
guerre, et sur-tout dans les siéges des Villes , où ce feu fait plus de
désordre que n'en peuvent faire aujourd'hui nos canons & nos
bombes. Sur quoi Gerard-Jean Vossius ajoûte : Il ne faut pas attendre
plus de vérité de Ctesias, qu'on en exige des Poètes.
Après tout les Mouches luisantes ont couru un grand danger. Il y a près de 200 ans qu'un Medecin conspira contre cet innocent Insecte , & voulut sçavoir si on ne pourroit pas l'employer dans la Medecine. Ce Medecin , qui s'appelloit Alexander Mangiolus, en écrivit très-sérieusement à Joannes-BaptistaTheodosius, Medecin de Bologne ; & celui-ci après avoir parlé de la Mouche luisante dans les termes de Pline, il ajoûte : Je n'ai point trouvé que cet Insecte soit d'aucun usage dans la Medecine, si ce n'est chez Nicole Florentin & Rafis. Ils disent que les Cigales, les Cantarides , & les Mouches luisantes sont bonnes contre la Pierre. Je ne me souviens point d'avoir lû qu'ils ayent d'autre vertu. Il y en a qui prétendent que par la Chymie on en peut tirer une eau qui brilleroit comme du feu, & qu'on en pourroit écrire des lettres, qui sembleroient des lettres d'or dans l'obscurité de la nuit. Bien en a pris à ces pauvres Insectes de n'avoir que le mérite de la lumiere, & de n'être propres à rien pour la Medecine , on leur auroit fait la chasse, & on les auroit fait avaler aux malades.
Jacques Ozanam. Recreations
matematiques et physiques : ou l'on traite des phosphores naturels
& artificiels, & des lampes perpetuelles, dissertation physique
et chimique, avec l'explication des tours de gibeciere, de gobelets ... : tome quatrieme. Livre Premier : Des Phosphores Naturels. Chapitre X.
chez Charles-Antoine Jambert, 1741 - 450 pages