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Miscellanées
Les
insectes d'avant
LES INSECTES CHASSEURS
Beaucoup d'Insectes ne vivent que de chasses, et les procédés qu'ils
emploient dans celles-ci suffiraient pour les classer en catégories
distinctes.
Quelques-uns poursuivent à pied leur proie à travers monts et
broussailles, et l'attaquent avec le courage du Lion. Les Carabes, à la
robe resplendissante d'or et d'azur, et les agiles Cicindèles sont dans
ce cas. Et cependant, ni leur beauté, ni leurs services méconnus
par l'homme, ne trouvent grâce devant lui au lieu de protéger ces
utiles auxiliaires de l'agriculture, qui chaque jour anéantissent tant
d'espèces dévorantes, il les tue impitoyablement.
Cicindèle champêtre. Carabe pourpré. Cicindèle de la Chine.
D'autres, non moins ardents à la curée, mais beaucoup plus ingénieux,
tendent des filets ou construisent des pièges insidieux, dans lesquels
leurs victimes s'engouffrent inévitablement.
La vie des Insectes présente des anomalies dont on n'observe pas
d'exemples chez les autres animaux ce sont des mœurs absolument
différentes chez des espèces presque physiquement identiques.
Ainsi, nous avons vu que les nymphes de nos magnifiques Libellules
vivent dans la fange des marais; au contraire, une larve d'un autre
genre, qui leur ressemble de fond en comble, ne se plaît que dans
le sable et aux ardents rayons du soleil ; c'est celle d'un Névroptère
fameux, le Fourmilion, ainsi appelé à cause de l'affreux carnage qu'il
fait des Fourmis.
Fourmilion adulte.
Cette insidieuse larve, la plus ingénieuse peut-être que l'on
connaisse, construit son piège dans le sable le plus sec et le plus fin
qu'elle peut rencontrer. Il consiste en un entonnoir parfaitement
régulier, creusé au-dessous du niveau du sol. L'Insecte n'emploie
que sa tête pour en opérer le déblayement. Placé au centre de son
travail, il la charge de parcelles de sable, qu'il lance ensuite
au loin à l'aide d'un mouvement brusque d'élévation et ce mouvement se
répète avec une telle fréquence que ces parcelles forment un jet
presque continu. Quand l'entonnoir a ses glacis assez inclinés et assez
réguliers pour qu'on ne puisse les gravir, la larve s'enfouit elle-même
dans le fond, où l'on n'en aperçoit plus que les menaçantes
mandibules, qui restent béantes attendant l'occasion de s'exercer.
Lorsqu'une Fourmi vient étourdiment à franchir le bord de
l'embûche, elle se trouve infailliblement entraînée par le plan
incliné de l'entonnoir infernal. En vain tente-t-elle de remonter, le
sable roule sous ses pieds, et elle est fatalement portée au fond, où
aussitôt les terribles mâchoires du Fourmilion la saisissent et
la tuent.
Entonnoir du Fourmilion.
Parfois aussi, c'est un Insecte beaucoup plus gros qui tombe dans cette
embûche de mort. Il résiste et fait de vigoureux efforts pour
remonter la pente. Pendant ce temps, l'insidieux Fourmilion reste à son
poste, mais, se doutant de la taille de l'individu fourvoyé, par le
volume des débris qui roulent sur sa tête, alors il prend une
part directe à sa perdition et, pour troubler ses efforts, jette, coup
sur coup, sur sa victime des masses de sable qui en activent la chute
au fond du gouffre. Arrivée là celle-ci est indubitablement perdue. Le
Névroptère altéré de sang ne fait aucune grâce. Mais si le Fourmilion
gardait près de lui les débris de sa nourriture, le piège se
transformerait bientôt en charnier inhabitable il faut donc à tout prix
s'en débarrasser. A cet effet, chaque fois que la larve a sucé un
insecte, elle en place le cadavre sur sa tête, puis, à l'aide d'un
effort suprême, le lance en l'air, et même parfois fort loin des abords
de son trou, afin d'éviter le soupçon que pourraient faire naître les
cadavres de ses victimes, aux imprudents qui s'acheminent vers le
fatal refuge. Durant quelques observations que je faisais sur les
Fourmilions, je les ai vus lancer ainsi des mouches ou de grosses
fourmis, à trois pouces de leur demeure.
D'autres Chasseurs, moins ingénieux mais plus braves, procèdent comme
de véritables oiseaux de proie. Ce sont des rapaces qui, dans leur vol
agile et puissant, semblables au Faucon, fondent sur leur victime et la
saisissent au milieu de l'air. Tels sont ces beaux insectes aux
ailes transparentes et irisées, qui volent près de nos mares et que
l'on désigne vulgairement sous le nom de Demoiselles.
Si la jalousie de Minerve brisa le métier d'Arachné, quoique
réduite à elle-même, l'obscure rivale de la déesse n'en accomplit pas
moins de merveilleux travaux. Là, ceux-ci se font remarquer par la
perfection de leur tissage ailleurs, leur disposition révèle la plus
astucieuse intelligence. Dans la première catégorie se trouvent les
filets régulièrement circulaires, que les Araignées des jardins tendent
d'une branche à l'autre dans la seconde, les toiles des espèces qui
envahissent nos habitations. Confectionnées ordinairement dans
les angles des murailles, ces dernières offrent une nappe
horizontale, souillée de poussière, qui n'est en quelque sorte que le
plancher de service de l'Insecte carnassier, car c'est dans les fils
irrégulièrement entre-croisés au-dessus, que sa proie s'embarrasse et
se perd.
Mais ce que présente de plus ingénieux cet engin destructeur, c'est le
gîte dans lequel le chasseur se tient à l'affût. C'est un véritable
tunnel circulaire à double issue et à double usage. L'entrée
donne sur la toile et est horizontale la sortie aboutit
au-dessous et est perpendiculaire. C'est de la première que l'Araignée
s'élance sur sa proie l'autre remplit l'office d'oubliettes.
L'Araignée prend le plus grand soin de ne jamais laisser sur sa
toile les carcasses dont elle a sucé le sang ce charnier
épouvanterait de loin sa pâture vivante. Chaque fois qu'une Mouche a
été immolée, l'Insecte la prend, l'entraîne dans son canal et la
précipite par l'ouverture inférieure. Aussi, lorsque vos regards
s'abaissent vers le parquet situé au-dessous, vous êtes surpris du
nombre des victimes de la sanguinaire Arachnide. Parfois cette issue
dérobée lui sert aussi pour s'évader, quand un grand danger la menace.
Mais c'est un cas fort rare : son usage spécial, son unique destination
est de recevoir les débris des repas et je crois que ce fait n'a encore
été signalé par aucun observateur.
Le dégoût qu'inspire l'Araignée n'est nullement légitime. Aucun Insecte
n'a ni plus d'intelligence, ni une plus admirable structure ; la
laideur de l'ingénieuse Arachné s'efface aussitôt qu'on l'observe sans
prévention. La crainte dont elle glace certaines personnes est
elle-même infiniment exagérée. Il est des Araignées, il est vrai, dont
la morsure est aussi redoutable que celles de nos Vipères, mais elles
n'habitent que les contrées tropicales.
Nos espèces françaises sont presque inoffensives. L'Araignée des caves
est la seule que l'on puisse considérer comme offrant quelque danger.
Une vive douleur, un peu de gonflement et d'inflammation, tel est le
cortège d'accidents qui suit sa morsure. Cependant on rapporte des cas
dans lesquels celle ci a été mortelle.
La trop célèbre Tarentule, elle-même, étudiée de plus près, a vu
s'évanouir son bizarre prestige. Sa morsure a cessé d'engendrer cette
dansomanie furieuse dont on a tant parlé, même dans les livres de
médecine.
Araignée aviculaire égorgeant un Oiseau-mouche, d'après Sibylle de Merian
L'appareil toxique des Araignées est absolument analogue à celui des
Serpents seulement il n'a que des proportions microscopiques. Ce sont
aussi des dents mobiles, des crochets creux, qui distillent le poison
dans la plaie et celui-ci est sécrété par une glande particulière
située à l'intérieur des palpes-mâchoires qui opèrent la morsure. Chez
les grosses espèces tropicales, ce fluide léthifère a une telle
activité qu'il tue en un moment, des animaux dont le volume les
surpasse de beaucoup; et souvent il est employé contre les Oiseaux
qu'elles saisissent sur les arbres. Sur l'une de ses magnifiques
planches, Sibylle de Mérian, si célèbre par son savoir et ses belles
peintures d'histoire naturelle, a représenté cette émouvante scène.
C'est une Araignée aviculaire qui égorge un Oiseau-mouche
près de son nid.
Certaines Arachnides bien connues et qui ont presque la grosseur du
poing, se jettent même sur les poulets et les pigeons, les prennent à
la gorge et les tuent presque instantanément, en s'abreuvant de leur
sang ; aussi, à la Colombie, où ces hôtes désagréables sont assez
communs, leur donne-t-on le nom d'Araignées aux poulets.
Araignée aux poulets, de grandeur naturelle.
In F.-A. Pouchet, L'univers : les infiniment grands et les infiniment petits. Hachette, Paris, 1868
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