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NB : ceci est le texte introductif à l'ouvrage.
L'homme préhistorique a-t-il gravé avec ses doigts dans la glaise ou le sable une représentation d'un papillon ? Les sculpteurs, peintres, dessinateurs de ces époques nous ont laissé les portraits des animaux qui peuplaient leur paysage : grands herbivores et félins, avec, moins souvent des animaux plus petits et des chasseurs, à côté de tracés à la signification douteuse, de signes. D'insectes... point, sauf exception. Trop petits, trop divers, pas dangereux, faciles à trouver et à ramasser - pour les manger, pas pour les collectionner -, sans pouvoir magique... bref, insigni-fiants. Les Egyptiens anciens ont représenté, gravés dans la pierre, des criquets, in-sectes fort importants à leurs yeux, calamité réapparaissant périodiquement. Chez eux, le Scarabée avait acquis un statut particulier dans leur panthéon et fut reproduit en bijoux et amulettes. Déjà les insectes faisaient l'objet de représentations que l'on peut appeler utilitaires : pour les nommer, les signaler - en tant que dépréda-teurs et phénomène extraordinaire. D'autre part, on les exploitait à des fins divinatoires, magiques, symboliques, artistiques ou, plus prosaïquement décoratives.
Depuis lors, les insectes, auxquels on doit associer les araignées et les crustacés, ont été une source d'inspiration constante, par leurs formes et leurs couleurs, pour des créations tantôt de l'ordre du plaisant (les papillons et leurs couleurs chatoyantes, nacrées...), tantôt de l'ordre du monstrueux. L'insecte (l'arthropode) est à la base de la plupart des personnages de contes modernes que sont les androïdes et les robots des films d'anticipation et des jeux vidéo, à qui il fournit sa carapace invulnérable, ses pattes articulées pour affronter les mondes hostiles, ses antennes pour capter les messages lointains, ses mandibules... jusqu'à ses couleurs métalliques, sans oublier sa structure métamérisée et sa symétrie bilatérale parfaite. Tous ces caractères, on le reverra plus loin, on le sentira en feuilletant les pages de ce recueil de représentations d'insectes, participent à la beauté d'un dessin d'insecte, une beauté sévère et mêlée d'un peu de crainte.
Certains papillons, en compagnie d'oiseaux d'ailleurs, ont payé un lourd tribut à l'art vestimentaire et somptuaire : leurs ailes ont décoré des costumes en Amérique à l'époque précolombienne, tandis que, tradition perpétuée jusqu'à nos jours, de gros coléoptères au dos orné de pierres fines encastrées et retenus par une chaîne d'or, agonisent longuement, véritables bijoux vivants sur les robes des belles. A l'opposé des insectes, plus ou moins fortement stylisés, sont devenus des signes, des symboles : l'abeille incarne le labeur organisé, la coccinelle la préservation de l'environnement, la fourmi l'épargne...
C'est à la représentation utilitaire des insectes que s'attache le présent album : le dessin, la photo montrent l'animal, pour l'inscrire dans la liste des espèces con-nues, pour le désigner, pour le reconnaître, dans le cadre essentiellement de l'entomologie appliquée à la protection des cultures, des forêts, des denrées. L'image vient en complément d'un discours (explicite ou pas) naturaliste, zoologiste. Ce type de représentation n'a pris son essor qu'à partir du XVIe siècle et n'a guère varié, la photographie, comme on le verra, se développera à côté du dessin, jusqu'à très récemment.
Dessiner les insectes, dessiner les animaux, dessiner les fleurs... sont liés mais l'ento-mologie fut toujours une source d'inspiration bien moindre que le monde des fleurs (des arbres, des fruits, etc.) et la libellule ne fut jamais, et de loin, un sujet aussi valo-risant que le lion ou le cheval ! Pourtant, l'art de représenter les insectes nous est connu depuis la fin du Moyen Age. La longue liste de ceux qui le portèrent à la perfection est donnée et commentée dans le chapitre Entomologie et illustrateurs, es-sai historique.
L'individu qui se consacre à représenter des insectes est crédité de courage, d'abnégation et, disons, d'originalité... en plus de talent. Quelques uns d'entre eux seront évo-qués, dessinateurs venus à l'entomologie et, espèce plus rare, entomologistes capables de dessiner comme les meilleurs. La plupart des dessins qui font la matière de ce livre ont été faits dans le cadre des activités d'inventaire et de recherche d'un organisme à vocation agronomique, l'Institut national de la recherche agronomique (INRA, selon sa dernière dénomination). Plusieurs dessinateurs y ont été recrutés et y ont oeuvré, sous l'oeil vigilant du responsable à l'époque de la Faunistique, J. d'Aguilar. Le dernier de ces dessinateurs - il n'a pas été remplacé - aura été René Préchac, particulièrement honoré dans ces pages, en compagnie de son ancien, Fernand Pétré.
Le dessin d'un insecte passe pour une entreprise compliquée et le chapitre Dessin des insectes en dévoile les arcanes, et guide les pas de l'amateur, exemple détaillé à l'appui ; sa photographie l'est aussi, en dépit des apparences. Remi Coutin donne son avis, autorisé par une longue et fructueuse pratique, et donne même ses " trucs ". Toutes ces techniques, qui doivent s'effacer le plus possible der-rière le résultat, méritent d'être connues et appréciées.
Avec ses crayons, plumes, pinceaux, aidé de sa loupe, le dessinateur donne d'un insecte - qu'il possède mort et parfois en pièces ou très abîmé - une image " parfaite ", correspondant exactement aux desiderata de l'utilisateur (le taxinomiste, l'auteur de l'ouvrage sur les insectes de tel ou tel milieu, de telle ou telle plante...) et conforme à une norme très stricte, qui veut que, sauf exception, l'insecte soit représenté vu de dessus, l'axe du corps vertical, la tête en haut, les pattes bien rangées, les ailes des papillons étalées. Cette norme reprend bien des aspects de celle qui régit la disposition du spécimen dans la boîte vitrée de la collection. Elle s'impose à la fin du XVIIIe siècle et ne variera pas.
Le lecteur qui utilise le dessin comme source d'information, à force d'habitude, ne voit plus la contrainte de ces règles et décode parfaitement les artifices qui rendent le modelé, la texture, la transparence des différentes pièces de l'insecte. Une contrainte, une limite de plus : le rendu des cou-leurs manque la plupart du temps (elles sont nommées, avec plus ou moins de bonheur, dans le texte) car, longtemps, il aura été très difficile de multiplier des épreuves en couleurs et, même de nos jours, l'opération reste relativement coûteuse.
L'oeil du non-spécialiste se laisse également captiver par de tels dessins - c'est le pari de ce livre -, par leur diversité à l'intérieur du cadre imposé, par la cons-truction découlant de la symétrie bilatérale du sujet - l'agencement de ses appendices étant perturbée parfois par un caprice de la nature -, par la richesse des rendus de texture, par les chagrinés, les ponctués, les pavages d'écailles, les soies, les facettes... Un dessin d'insecte, détaché de l'article scientifique, mis au mur, regardé comme un tableau, « marche », alors que l'auteur avait un tout autre souci, celui d'être précis, fidèle...
On ne peut vraiment pas en dire autant d'un cliché noir et blanc d'un spécimen vu de dessus, qui ne possède, au mieux, qu'un intérêt documentaire. Nous voilà arrivés à la photographie, qu'on oppose au dessin, qui a remplacé le dessin et a chassé le dessin des livres. Si l'on excepte les prises de vues au microscope à balayage, qui apportent un point de vue réellement nouveau - et souvent très beau -, cette photographie, c'est la photo en couleurs, la « diapo ». Elle dispose d'atouts intrinsèques : la couleur, main-tenant de règle et moins coûteuse que le noir et blanc au niveau de la prise de vues, la saisie sur le vif de l'animal dans son milieu, parmi ses congénères, dans une attitude naturelle - donc un réalisme certain, qui n'est pas gage de fidélité... -, la possibilité de prendre des vues très nombreuses puis de choisir parmi elles, la restitution très flat-teuse des diapositives devant un auditoire ; autres atouts : un apprentissage et une mise en oeuvre réputés aisés. Les progrès de la photocopie et, surtout de la photogravure et de l'imprimerie, permettent d'éditer facilement des ouvrages " richement illustrés, en couleurs ", chers à produire mais attractifs et donc supposés pouvoir être vendus en grand nombre. La photographie d'un animal rare, discret, très rapide, est un exploit, un haut fait, et l'on évoque la chasse photographique avec l'affût, le bon réflexe, la chance : rien à voir avec la désuète patience du dessinateur l'oeil vissé à sa loupe, regardant un insecte épinglé.
Les éditeurs ne se risqueraient plus à proposer un livre ni un logiciel (nouveau média, diffusé de plus en plus sur CD-ROM), sur les insectes des ruisseaux ou sur les déprédateurs des cultures ornementales, qui ne comporte force " diapos " et dessins (diagrammes, schémas...) en couleurs. Les éditions bon-marché, les livres hyper-techniques, les polycopiés, les logiciels sur disquettes offrent, quant à eux, par obligation plus que par choix, des illustrations en noir et blanc, sous forme bien souvent de dessins réduits aux traits.
Les photographies sont restées longtemps des documents bruts, tout au plus reca-drés, vivants mais rarement capables de mettre en scène, à l'instar des dessins et compositions de dessins, un phénomène biologique à expliquer, une subtile différence entre deux espèces. Le photographe, dont le rôle se limite à prendre la photo, ne peut abstraire les éléments parasites, reconstituer les parties cachées, créer l'insecte ou l'organe modèles, pas parfaitement reproduits comme ils se présentent sur le spéci-men, mais bien plus efficaces sur le plan didactique.
Dessin et photo ont eu jusqu'à présent plus ou moins chacun leur domaine. Un hybride apparaît.
En effet, les techniques modernes de traitement d'images numérisées par des or-dinateurs permettent à des entomo-infographistes (le genre est à créer) de modifier, d'assembler, de présenter les images, par ailleurs stockées pour l'éternité (ou presque) dans le silicium, selon des procédures qui restent à développer. Le dessinateur (qui aura conservé l'usage des vaccinostyles et de la carte à gratter pour notre plaisir) réalisera à la souris, au clavier, à la tablette graphique, des illustrations plus efficaces. Son savoir entomologique, son talent de plasticien, sa patience devront cependant pouvoir s'exprimer sur des machines autrement plus puissantes que celles dont on dispose couramment, bonnes à restituer convenablement les " diapos " mais exposant sur leurs écrans des dessins fatalement assez grossiers et, les effets spectaculaires de colorisation et de transparences devenus banals, finalement peu satisfaisants pour qui se régale (et s'instruit) des dessins à l'ancienne. Mais les progrès matériels sont très rapides, aux info-entomo-graphistes de jouer et de convaincre.
Les images qui suivent sont encore couchées sur papier... Elles ont été choisies sans aucun souci proprement entomologique : les espèces retenues n'illustrent pas la " classification ", elles ne sont pas typiques d'un milieu ni d'un sujet de recherche. Aux oeuvres de R. Préchac et à celles de F. Pétré, nous avons associé d'autres travaux, en petit nombre, typiques de formes d'expression ou de dessinateurs particuliers. La collection est ponctuée de représentations en couleurs, venant en contrepoint, choisies à la fois pour leur valeur esthétique et pour illustrer le champ d'application de cette technique.
Alain Fraval
[R] Jacques d'Aguilar, Remi Coutin, Alain Fraval, Robert Guilbot, Claire Villemant, 1996. Les illustrations entomologiques. INRA Éditions, Versailles, 153 pp.