Vers la page d'accueil d'OPIE-Insectes
par Alain Fraval
Comment extraire de la Toile l'information qu'elle renferme sur un sujet donné et ce en un temps fini, voire même en ayant une idée de la valeur de cette information ? Internet est réputé riche d'informations introuvables tout autant que douteuses et offertes en anglais, une image qui rebute les internautes potentiels ou débutants. Prenons un sujet délimité, l'entomologie et expérimentons. Des « moteurs de recherche » offrent d'afficher la liste de tous les sites ou de toutes les pages qui renferment tel mot-clé. Sur le Web mondial, il y aurait 90 800 occurrences d'« entomology » et 117 610 d'« insect » mais seulement 2 000 d'« entomologie » et 679 d'« insecte ». Ces chiffres sont un indicateur assez grossier mais net du partage linguistique : on trouve bien plus d'informations en entomologie rédigées en anglais et, de fait, les sujets traités sont plus nombreux, les sites sont plus copieux, les liens (de site à site) sont plus riches, les niveaux et les approches sont plus divers. On trouvera aussi beaucoup plus de sites farfelus, naïfs, puérils et illuminés en anglais. Et l'anglophonie n'est pas un bloc ; elle livre en effet beaucoup d'informations sur les insectes états-uniens, canadiens, australiens, finlandais, anglais et... belges mais fort peu sur les insectes indiens. De même la petite francophonie voit les Québécois publier autant que les Français (5 fois plus nombreux) - les pays africains étant absents.
La langue est une difficulté importante et si les chercheurs font leur affaire de pages en anglais dans leur domaine précis et arrivent à rédiger des messages électroniques, voire des textes, bien des internautes ordinaires risquent d'être lassés, voire rebutés. Ils risquent de plus de se sentir frustrés des magnifiques sites que plusieurs universités (notamment états-uniennes) entretiennent et enrichissent, dopées par leur rivalité, et de projets encyclopédiques mettant les contributeurs en réseau (comme Tree of Life), passionnants. Aux amateurs de faire comme les scientifiques : se perfectionner en anglais, user des bons glossaires, lire et relire. Mais aux entomologistes de publier dans leur langue (avec, si le sujet est important et transnational, une version anglaise) et de livrer des traductions des pages publiées en étranger, si elles le méritent. Et aux linguistes de nous concocter des traducteurs en ligne (l'entomologie, qui use d'un vocabulaire précis, vaste mais limité, s'y prête mais n'est pas un gros marché...). Et à chacun de veiller à maintenir l'excellente habitude universelle du nom scientifique (latinisé), sans cesser de faire vivre les noms vernaculaires.
Explorons la cyber-entomologie française (égale à tous points de vue à son homologue canadienne), au moyen des listes de sites et des moteurs de recherche du style « recherche dans le Web francophone ». Quelques-uns de ces outils annoncent 2, 4, 10 sites (ceux qui s'enrichissent par déclaration des tenanciers de sites). Ceux qui explorent le contenu des pages nous ont trouvé des listes, diversement ordonnées et au contenu assez dissemblable, de quelques centaines de pages. Première impression : une grande activité de création, peu de pages orphelines, peu de bizarreries, mais une « couverture » très lacunaire du sujet et une grande disparité d'ambition entre les sites.
Les auteurs des sites les plus copieux sont des organismes publics (l'Institut national agronomique, qui bâtit progressivement une encyclopédie dans le cadre de projets confiés aux étudiants en spécialité et encadrés par une équipe d'enseignants, l'INRA avec son Catalogue des Lépidoptères des Antilles françaises et avec l'encyclopédie des ravageurs HYPPZ + HYP3, extraite d'un cédérom). Les autres créateurs de pages Web entomologiques sont des associations (nationales comme l'OPIE et régionales : la Ligue de protection des grillons du métro parisien : Limousin, Oyonnax, Fontainebleau), des musées (le musée éducatif d'entomologie de Levins, Sciences pour tous à Caussols, ainsi que le musée d'Angers, tandis que l'OCIM donne la liste complète des musées naturalistes de France - n'oublions pas la Bibliothèque nationale qui nous offre les enluminures - du XVe siècle - de Barthélémy l'Anglais), des classes d'école (Châteauroux-les-Alpes, Embrun), des particuliers (amateurs de coléoptères, d'apiculture, de photographie animalière, de timbres, etc., amateurs d'un lieu comme un marais, une forêt, amateur de « paresse au jardin » également...). La presse est présente notamment au travers de quelques dépêches de l'AFP. Les universités présentent leurs enseignements spécialisés et le Muséum ses programmes. Le département Sciences de la vie du CNRS publie des articles scientifiques de très bonne vulgarisation, en particulier sur les plantes transgéniques et sur la protection des plantes, et notamment écrits par des chercheurs de l'INRA. Du même CNRS, le Laboratoire de neurobiologie dresse un album de coupures de presse. Depuis Pipangaï (La Réunion), nous est expliquée la genèse d'un cédérom sur la nature dans l'île autour du cas du papillon Phorbanta alors qu'un film pédagogique sur le criquet nous est proposé depuis un labo de Pau. Depuis Sérignan, nous sommes invités à visiter l'Harmas de Fabre tandis que le Salon de l'insecte affiche une page-annonce dans Foires et salons à Paris.
Les sites para-entomologiques ne manquent pas. Citons celui de l'institut Bruno-Comby (« mangez des insectes »), un autre dédié à La cuisine aux insectes, le détail de La guerre des coprophages (avec les agents Mulder et Scully), des images de synthèse, un extrait des Paysans de Balzac, des insectes dans l'ambre au rayon « Pouvoir des pierres », les paroles d'une chanson coquine La Puce.
Et la lutte contre les insectes ? Le Sénat traite du « Problème des termites en France : une réalité souvent mal connue », quelques questions-réponses, plutôt à l'échelle du jardinet, s'accumulent dans Terre-net. Point de catalogue de fournitures, ni d'ouvrages, un seul manuel d'apprentissage (celui de l'Agro), pas de clés de détermination (sauf celles très générales et malheureusement sans illustrations de ce site), fort peu de bibliographie, pas de livres anciens, pas de dictionnaire, pas de faune par milieu, de très rares textes législatifs, pas de listes d'entomologistes, pas de séquences animées, une unique stridulation (à ne pas manquer, celle du grillon du métro).
Le risque est souvent pointé que la matière soit traitée sans sérieux sur Internet. Nous n'avons pas trouvé plus d'âneries ni d'imprécisions que dans la presse ou les publications de niveau équivalent.
Par rapport à la moindre bibliothèque, Internet apporte peu, mais il l'apporte à domicile, à peu près gratuitement, où qu'on soit. Internet possède des propriétés et des fonctions qui lui donnent un certain avantage par rapport aux médias classiques (pas de dépenses de multiplication, images en couleurs pour un coût très faible, échanges possibles en ligne de textes, images et sons, accès à des bases de données, organisation globale d'éléments disparates, etc.). Ceci reste à peine exploité et la plupart des pages sont des transpositions directes de documents imprimés. Point n'est besoin de progrès techniques majeurs pour faire évoluer la Toile entomologique vers un ensemble vraiment utile, efficace et plaisant : le comblement des lacunes actuelles en termes de contenu, la poursuite des efforts pour entretenir des sites qui guident les pas de l'entomonaute (comme les index et « kiosques » de Naturam cognosco, Yahoo, OPIE-Insectes). On peut craindre que de nombreux sujets ou taxons restent « orphelins », délaissés par tous. Comme en édition papier, des rédacteurs en chef d'encyclopédies ou d'ouvrages de référence s'en occuperont. Les institutions étatiques ou régionales ont beaucoup de travail à accomplir : elles disposent de données (textes, images et sons) en quantité et qualité, qui ne sont pas des secrets et qui possèdent une valeur commerciale insignifiante. Les associations ne pourront pas se passer de leur infoservice, média relativement peu coûteux et propice au travail en commun de leurs membres et aux relations extérieures. On verra aussi des particuliers, amateurs chevronnés, réaliser des sites passionnants. Quant aux éditeurs, ils ne nous priveront pas de sitôt des lourds traités et recueils incontournables ni des beaux livres (films et cédéroms) qui nous régalent et trouveront le moyen de faire payer (subventions, visiteurs, publicité) ce qu'ils mettront en ligne, comme les revues, les albums, les encyclopédies, les guides ou les actes de colloques.
Aujourd'hui complément marginal des supports classiques de l'entomologie sous tous ses aspects et pour tous ses public, les pages Web véhiculeront une part de plus en plus grande des données publiées ou échangées dans cette discipline. Internet pourra même devenir le support unique de réalisations particulières de diverses tailles impliquant de multiples auteurs dispersés (professionnels et amateurs associés, éventuellement), qui seront aussi lecteurs et utilisateurs : pensons à des faunes, à des clés illustrées), à des inventaires pour évaluer la biodiversité ou suivre les effets d'aménagements ou de pollutions, à des surveillances de migrations, d'attaques de ravageurs, à des mesures du polymorphisme au sein des espèces...
C'était, sur le cas spécial mais concret de l'entomologie, une mise à l'épreuve d'Internet, qui reçoit la mention « travail désordonné mais méritoire ; doit faire des efforts en anglais sans oublier le latin, rattraper son retard par rapport à ses camarades européens et américains du Nord, combler ses lacunes thématiques et taxinomiques ; un travail coopératif amènera l'examiné à un niveau satisfaisant ».
A.F.
PS : le texte ci-dessus n'a pas été entrelardé des adresses « URL » des sites évoqués. Au Kiosque, on trouvera (en principe) tous les liens nécesaires pour visiter de fond en comble la cyberentomologie. Merci d'avance pour toute remarque.
[R] L'entomologie est la science des Insectes (animaux articulés à squelette externe possédant 3 paires de pattes). C'est une discipline indispensable en agronomie (insectes ravageurs des cultures, des denrées, des forêts et insectes auxiliaires), en médecine humaine et vétérinaire (insectes piqueurs et vecteurs de maladies), en halieutique et en ornithologie (insectes nourriture des poissons et des oiseaux), en biologie et en génétique (la drosophile, notamment, animal de laboratoire prodigieux), en écologie (insectes bio-indicateurs, insectes sentinelles...) et en gastronomie (le miel, avant tout). L'entomologie emploie (à temps plus ou moins plein) de nombreux chercheurs, techniciens, animateurs, éditeurs, enseignants, illustrateurs, etc. et passionne beaucoup d'amateurs (éleveurs, collectionneurs de spécimens, chasseurs d'images, bibliophiles) - dont certains en font leur métier. C'est une discipline bien identifiée - et de la même façon dans tous les pays -, aux usages et aux approches variés, réputée très difficile (on compte plus de 700 000 espèces décrites, appartenant à une trentaine d'ordres, de biologies très différentes). Les connaissances sont rangées et exposées dans des muséums (collections), des ouvrages et des revues de tous niveaux, ainsi que, plus récemment, dans des banques de données (informations textuelles, sons, images) et aussi des films documentaires et quelques disques compacts. N'oublions surtout pas Microcosmos, au succès public éclatant ; elles sont enseignées depuis les leçons de choses jusqu'au niveau de DEA spécifiques. [R]
Vers la page d'accueil d'OPIE-Insectes