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Les insectes de la Belle Époque

Les plumiers comptent parmi les objets qui séduisent le plus les écoliers. Ils sont si commodes pour mettre crayons et porte-plume et... on trouve si facilement l'occasion de les détourner de leurs fonctions, c'est-à-dire d'y glisser quelques jouets à l'insu de ses parents et du maître ! Si l'on voulait faire l'inventaire de tout ce qu'ils renferment dans une même classe, on y trouverait certainement tout un bazar, depuis les soldats de plomb et les billes jusqu'à des aimants, des timbres-poste, quand, même, ils ne recèlent pas dans leurs flancs toute une nichée de vers à soie ni un ménage d'infortunés hannetons. Pour ma part - je puis l'avouer aujourd'hui où je ne crains plus les pensums, - je me souviens y avoir élevé toutes sortes d'animaux, depuis un gigantesque lucane cerf-volant et une « biche » aux antennes démesurées, qui - l'ingrate - en rongea la paroi, jusqu'à un gentil petit lézard gris qu'il m'en a-t-il donné du mal ce lézard ! - voulait toujours se sauver quand je désirais prendre un crayon - son frère de lait. Quelle ménagerie cela faisait ! J'avais même transformé le petit espace réservé aux plumes en cage à mouches ! Je faisais là, sans m'en douter, mon apprentissage de naturaliste et j'apprenais ainsi à mon insu nombre de faits intéressants sur l'histoire naturelle. Mais, hélas ! le malheur voulut qu'un jour je vins à enfermer dans mon plumier à côté d'un bout de fleuret (!) que j'aperçois encore d'ici — trois pétillants grillons qu'un ami complaisant avait rapportés de la campagne et que je me faisais une joie d'élever pendant de nombreux jours, lorsqu'au beau milieu de la leçon du professeur, on entendit un retentissant : cri-cri-cri-cri, qui n'en finissait plus et qui même augmentait d'intensité. C'était mes hôtes qui égrenaient leur gaie chanson ! Pour les faire taire, je secouais le plumier d'un air innocent. Peine perdue ! Les maudits insectes continuaient à chanter de plus belle... Je n'ai pas besoin de vous dire ce qui se passa. Les chanteurs furent vite découverts par le maître et leur père adoptif mis en deux temps et trois mouvements à la porte. Le soir je fus tancé d'importance par mes parents et privé de plumier jusqu'à la fin de l'année. Inutile de dire que mon exemple n'est pas à suivre...

Par Henri Coupin. Histoire d'une tache d'encre : étude pittoresque des objets servant aux études des écoliers et des écolières. R. Roger et F. Chernoviz (Paris), 1913.

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