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LE MINOTAURE TYPHÉE
Ce n'est pas du monstre de la légende qu'il s'agit, mais d'un humble insecte, auquel le public ne fait guère attention, bien qu'il soit d'une taille assez forte, mais que connaissent bien les collectionneurs de Coléoptères. II est intéressant, en effet, en ce que le mâle est pourvu en avant d'un trident, une sorte de fourche à trois branches, tandis que la femelle n'en possède pas. On le trouve dans les lieux découverts et sablonneux, surtout ceux ou pâturent les moutons. À l'automne notamment, il s'y creuse de vastes terriers, faciles à reconnaître à la taupinée qui en garnit l'entrée. En les bouleversant, on peut se rendre compte qu'ils sont formés d'un puits vertical, du calibre du doigt ; à l'intérieur il y a un Minotaure, - tantôt un mâle, tantôt une femelle, - et, au-dessus du reclus, une colonne de crottin de mouton pouvant il peu près remplir le creux de la main. Ce sont là des victuailles dont le Coléoptère se régale ; il les a amenées là en les faisant rouler sur le sol - les déjections des moutons se prêtent à ce charroi - et en les faisant. tomber dans son puits.
Mais ce sont là demeures et provisions provisoires ; le peu de largeur du puits l'atteste. Bientôt les Minotaures vont s'atteler à un travail autrement pénible. Aux approches de décembre, ils se creusent des demeures ayant plus d'un mètre de profondeur et dont les parois sont capitonnées de crottin de mouton émietté, matelas éminemment bien disposé pour protéger du froid extérieur. C'est la, en effet, que le Minotaure passe l'hiver, à demi engourdi ou, de temps à autre, grignotant ses provisions.
Figure 1. Minotaures mâles récoltant des crottes de mouton
Au printemps, les choses changent. L'activité est revenue. Les femelles sortent d'abord de leur torpeur et commencent à forer un puits destiné à leur progéniture, puits, où, d'ailleurs, les mâles ne tardent pas à les rejoindre pour coopérer avec elles au bien-être de leur future famille. Ce sont des ménages accomplis ; dans chaque trou, il y a une femelle et un mâle qui demeurent unis pendant toute leur existence - d'ailleurs courte ; Le travail qu'ils arrivent à faire est vraiment gigantesque, car ils creusent dans la terre des puits de mine de 1 m à 1 m 50 de profondeur, dont tout le fond est garni d'une énorme saucisse faite avec du crottin de mouton réduit en miettes. C'est tout au fond, au-dessous des vivres, dans le sable même, que se trouve l'œuf, d'où naîtra la larve. Celle-ci trouvera ainsi, - grâce à la profondeur du trou, - une réserve de vivres pas trop desséchée du soleil. " Les exploiteurs de crottin, dit J.-H. Fabre , auquel nous devons l'histoire du Minotaure, s'adressent tous à des matériaux récents, doués ou pleins de leurs vertus sapides et plastiques. À ce système de boulangerie, le Minotaure fait une étrange exception : il lui faut du vieux, du sec, de l'aride. Jamais on ne le voit cueillir des pilules d'émission toute récente. II les veut boucanées par une longue exposition aux rayons du soleil. Mais, pour convenir au ver, le mets raccorni doit longtemps se mijoter, se bonifier dans un milieu saturé d'humidité. Au grossier pain de foin succède ainsi la brioche. Comme laboratoire du manger des fils s'impose donc une officine très profonde, ou la sécheresse de l'été jamais ne pénètre, si longtemps qu'elle se prolonge. La s'assouplissent, là prennent saveur des aridités qu'aucun autre membre de la corporation stercoraire ne s'avise d'utiliser, faute d'un atelier de ramollissement. Le Minotaure en a le monopole, et, pour bien s'acquitter de sa mission, il a l'instinct des sondages énormes. La nature des victuailles a fait du bouvier à trident un puisatier hors ligne ; un dur croûton a décidé de ses talents. "
Quelle part revient au père et à la mère dans le travail du forage et dans celui d'approvisionnement ? Pour le savoir, J.-H. Fabre a obligé des Minotaures à travailler dans un long tube de verre ou, de place en place, des lucarnes permettaient de voir ce qui se passait à l'intérieur. On constate de la sorte que la mère est toujours en avant, à la place d'honneur, dans la cuvette d'attaque. Seule, de son chaperon, elle laboure; seule, de la herse de ses bras dentés, elle gratte et fouit, non relayée par son compagnon. Le père est toujours en arrière, fort occupé, lui aussi, mais d'une autre besogne. Sa fonction est de véhiculer au dehors les terres abattues et de faire place nette à mesure que la pionnière approfondit. Son travail de manœuvre n'est pas petite affaire. On peut en juger par la taupinière qu'il élève dans les champs. C'est un volumineux monceau de bouchons de terre, de cylindres mesurant la plupart un pouce de longueur. La confection de ces agglomérés de terreau est curieuse. La mère fouille. Le père, à quelque distance, attend que le monceau de gravats commence à gêner la travailleuse. II s'approche alors. Par petites brassées, il attire devers lui et se fait glisser sous le ventre les terres remuées qui, plastiques, s'agglomèrent en pelote sous le foulage des pattes d'arrière. L'insecte, maintenant, se retourne au-dessous de la charge. Le trident - dont le rôle ainsi s'explique - enfonce dans le paquet, ainsi qu'une fourche dans la botte de foin que l'on met en grenier, les pattes antérieures, à larges bras dentelés, retenant le fardeau, l'empêchent de s'émietter, il pousse de toute son énergie. Parvenu à quelque distance de l'orifice, il laisse là sa motte, qui, moulée dans le canal, reste en place, immobile. II revient au fond, non en se laissant précipiter d'une chute brutale, mais, peu à peu, de façon prudente, à l'aide des échelons qui lui ont servi pour monter. Une seconde pelote est hissée, qui s'adjoint à la première et fait corps avec elle. Une troisième suit. Enfin, d'un dernier effort, il expulse le tout en un bouchon qui va rejoindre les autres sur les flancs de la taupinée.
Un mois se passe environ à ce travail de terrassier. Puis, le mâle change de métier : il se fait approvisionneur de vivres, tandis que la femelle demeure au fond du trou. II se rend dans la campagne et recherche une boulette déjà desséchée. Il s'achemine vers l'embouchure du nid, soit à reculons en l'entraînant avec les pattes antérieures, soit de façon directe en la faisant rouler à légers coups de chaperon. Arrive au bord de l'orifice, il entre, enlaçant des pattes la pilule, qu'il a soin d'introduire par un bout, car elle est ovale. Parvenu à une certaine distance du fond, il lui suffit d'obliquer légèrement la pièce pour que celle-ci, en raison de l'excès d'ampleur de son grand axe, trouve appui par ses deux extrémités contre la paroi du canal. Ainsi s'obtient une sorte de plancher temporaire apte à recevoir la charge de deux à trois pilules. Le tout est l'atelier où va travailler le père, sans dérangement pour la mère, occupée elle-même en dessous. C'est le moulin d'où va descendre la semoule destinée à la confection des gâteaux.
Figure 2. Minotaures creusant leur puits
En bas, la femelle ; au milieu, le mâle.
La femelle, en effet, n'emmagasine pas les vivres tels quels. C'est une boulangère qui cueille les débris autour d'elle, les subdivise, les affine. Virant d'ici, virant de là, elle tapote la matière avec le battoir de ses bras aplatis ; elle la dispose par couches, comprimées après l'aide d'un piétinement sur place. Rendue ferme et compacte, la masse deviendra de meilleure conservation : elle est énorme, car elle comprend les éléments de près de 500 boulettes !
Finalement, le mâle, épuisé d'efforts, quitte le logis et va mourir à l'écart, en plein air. De son côté, la mère ne se laisse pas détourner de son ménage. Sa vie durant, elle ne sort de chez elle, pétrissant ses pains cylindriques, les peuplant d'un œuf, les surveillant jusqu'à l'exode - fait extrêmement rare chez les Coléoptères. Lorsque viennent les liesses de l'automne, elle remonte enfin à la surface, accompagnée des jeunes, qui se dispersent à leur guise pour festoyer aux lieux fréquentés par des moutons. Alors, n'ayant plus rien à faire, la dévouée périt. E finita la comedia!
Henri Coupin, La Nature, 1907, n°1803 - pp. 17-18.
Le minotaure : Typhaeus typhoeus (Coleoptère Géotrupidé)
Les insectes de la Belle Époque
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