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LES BESTIOLES QUI SE FONT PORTER
Bien qu'ignorant les beautés du taximètre, certaines bestioles ont trouvé le moyen de se faire voiturer sans fatigue jusqu'au lieu précis où elles doivent aller, et cela sans donner la moindre adresse à leur cocher, lequel est en même temps leur cheval. Quelques exemples vont mieux faire comprendre ce dont il s'agit, que cette donnée succincte qui n'a rien de fantaisiste, comme on pourrait le croire. Il y a, d'ailleurs, plusieurs cas à considérer.
Dans le premier, celui qui se fait porter n'a que des rapports momentanés avec celui qui le porte et l'abandonne lorsqu'il est arrivé à destination. Ainsi font beaucoup d'Acariens qui sont la lenteur personnifiée. Quand le milieu dans lequel ils vivent est épuisé, lorsqu'ils voient approcher le moment où ils n'auront plus rien à manger, ils se cramponnent à un animal qui passe, les poils d'un insecte, la toison d'un petit mammifère, le plumage d'un oiseau, voire même nos propres vêtements, et attendent de rencontrer un milieu favorable. À ce montent, ils se laissent tomber et recommencent leur vie de bombance. C'est ce qui explique ce fait maintes fois constaté que l'on rencontre des Acariens ayant l'air de vivre en parasites sur les animaux ou sur nous-mêmes, alors que, le plus souvent, ils vivent simplement de matières en décomposition. Ce sont en réalité de faux parasites qui ne demandent à leur hôte que de les transporter. Parmi les espèces qui pratiquent le plus volontiers ce genre de locomotion, il convient de citer les Gamases qui, à l'état de nymphes, se cramponnent aux corps des coléoptères et que tout collectionneur a rencontrés en abondance sur les Nécrophores et les Géotrupes ; l'Holostaspis femelle qui, pour disséminer ses oeufs, a conscience de ne se faire enlever que lorsqu'elle est fécondée ; les Uropodes, dont les nymphes se fixent par une mucosité anale, se durcissant en forme de pédoncule; les Tyroglyphes, qui, à l'état de nymphe, se cramponnent très aisément à n'importe quel animal grâce à une ventouse spéciale qu'ils possèdent sous le ventre.
Géotrupes (Geotrupes mulator) portant des gamases, dont l'un d'eux est figuré en cartouche.
Dans la même catégorie rentrent des pseudo-scorpionides qui se suspendent aux pattes des mouches; le Leptinus testaceus, coléoptère qui se loge dans le pelage des petits mammifères fouisseurs, tels que les taupes et les mulots, pour se faire transporter dans les nids de Bourdons, et le Limosina sacra, mouche algérienne, qui, d'après MM. Lesne et Chobant, se fait voiturer par des Scarabées sacrés arrivant au vol sur les excréments que ces coléoptères emploient pour former une pelote stercoraire.
Scarabées (Ateuchus laticollis = Scarabaeus puncticollis), roulant leur boule et portant des Limosina sacra, dont l'une d'elles est figurée, grosssie, en cartouche.
Le deuxième cas à considérer est celui où l'insecte porté a pour objectif d'arriver au nid du porteur et d'y causer des ravages, ce qui est une singulière manière de donner un pourboire à son cocher....
Le meilleur exemple que l'on en puisse citer est celui des Méloés. Sous ce vocable, qui paraît cependant s'appliquer à un insecte gracieux ou tout au moins " faisant des manières ", se cachent des coléoptères extrêmement répugnants. Ce sont de gros insectes qui se traînent à terre, ne possèdent que des élytres insignifiants, presque racornis et exhibent un abdomen volumineux, gros, pesant, qui provoque le dégoût même des plus enragés entomologistes. Pour augmenter peut-être encore leur laideur, quand on les capture, ils laissent suinter un abondant liquide rouge, qui n'est autre que leur sang, et qui tache les doigts. La démarche des Méloés est d'une lenteur inimaginable, non seulement parce qu'ils ont à trainer le poids lourd de leur abdomen, mais aussi parce qu'ils sont paresseux de nature : pour remuer une patte, il leur faut je ne sais combien de minutes et tout effort parait les épuiser.
Si j'en parle dans cet article, ce n'est pas que ces Méloés aient trouvé le moyen de se faire véhiculer : ils n'en ont ni les moyens ni les goûts. Mais ils rêvent - eux qui sont presque des culs-de-jatte - de longues chevauchées pour leurs petits. Et voici comment ceux-ci arrivent à combler les désirs de leur mère.
Les oeufs sont déposés en plusieurs petits paquets dans quelque trou creusé dans le sol, à la base d'une plante, puis recouverts d'un peu de terre. C'est là toute la peine prise par la femelle pour la conservation de son espèce, nais il faut lui rendre cette justice qu'elle fait " bonne mesure ", car le naturaliste Newport a calculé que le Meloe proscarabaeus était susceptible de pondre 4 318 ufs !
Méloé (Meloe proscarabaeus).Sur les fleurs, ses jeunes larves ou triongulins. En cartel, une larve grossie.
L'éclosion a lieu en mai ou en juin. De chaque oeuf sort une sorte de petit pou que, peu de temps après, un retrouve installé dans la toison des abeilles ! Autrefois, pour cette raison, on l'appelait le " pou des abeilles " et on était à cent lieues de penser qu'il avait le moindre rapport avec les mastocs méloés. Mais les observations de Newport et de Fabre ont levé tous les doutes. Au moment de l'éclosion, les larves, très agiles, grimpent sur tous les brins d'herbes et sur les fleurs, où, parfois, elles pullulent. Les voilà, par exemple, sur un capitule de camomille, " Ils sont là, dix, quinze ou davantage, à demi plongés dans la gorge des fleurons d'un même capitule ou dans leurs interstices; aussi faut-il une certaine attention pour les apercevoir, leur cachette étant d'autant plus efficace que la couleur ambrée de leur corps se confond avec la teinte jaune des fleurons. Si rien d'extraordinaire ne se passe sur la fleur, si un ébranlement subit n'annonce l'arrivée d'un hôte étranger, les méloés, totalement immobiles, ne donnent pas signe de vie ! À les voir plongés verticalement, la tête en bas, dans la gorge des fleurons, on pourrait croire qu'ils sont à la recherche de quelque humeur sucrée, leur nourriture; mais alors ils devraient passer plus fréquemment d'un fleuron à l'autre, ce qu'ils ne font pas, si ce n'est lorsque, après une alerte sans résultat, ils regagnent leurs cachettes et choisissent le point qui leur paraît le plus favorable. Leur immobilité est, disons-nous, complète ; mais rien n'est plus facile que d'éveiller leur activité en suspens. Avec un brin de paille, ébranlons légèrement une fleur de camomille : à l'instant les méloés quittent leurs cachettes, s'avancent en rayonnant de tous côtés sur les pétales blancs de la circonférence, et les parcourent d'un bout à l'autre avec toute la rapidité que permet l'exiguïté de leur taille. Arrivés au bout extrême des pétales, ils s'y fixent soit avec leurs appendices caudaux, soit peut-être avec une viscosité spéciale; et, le corps pendant en dehors, les six pattes libres, ils se livrent à des flexions en tous sens, ils s'étendent autant qu'ils le peuvent, comme s'ils s'efforçaient d'atteindre un but trop éloigné. Si rien ne se présente qu'ils puissent saisir, ils, regagnent le centre de la fleur après quelques vaines tentatives et reprennent bientôt leur immobilité. " (J.-H. Fabre.)
Mais si la place est visitée par un insecte, les larves se jettent sur lui et se cramponnent à sa toison. C'est ainsi que l'on peut en récolter sur un grand nombre d'espèces d'insectes, où elles restent attachées dans l'immobilité la plus complète. Beaucoup de ces larves sont vouées à une mort certaine, et c'est ce qui explique la richesse de la ponte. Les seules qui arrivent à bon port, et peuvent se développer ultérieurement, sont celles que le hasard - car leur instinct n'estl pas parfait - a amenées à se cramponner aux abeilles du genre Anthophore, lesquelles creusent dans le sol des godets souterrains remplis de miel et contenant un oeuf flottant. Lorsque l'Anthophore arrive à son nid, la larve de la Méloé - on l'appelle le Triongulin - quitte rapidement son hôte ou plutôt se glisse sur l'oeuf au moment même ont il sort du corps de la mère. Voilà le Triongulin enfin arrivé à destination ! Il s'empresse de dévorer l'oeuf qui lui sert de radeau: puis s'attaque au miel et,finalement, par une suite compliquée de métamorphoses, se transforme en un Méloé adulte.
Les Méloés ne sont pas les seuls insectes qui se font ainsi transporter avec les plus noirs desseins. On peut encore citer comme entrant dans la même catégorie les Anterophagus, coléoptères, qui, à l'état adulte, s'accrochent par leurs mandibules aux pattes, aux antennes ou à la trompe des bourdons dans le nid desquels se développent leurs larves, ainsi que les nymphes de certains acariens, du groupe des Sarcoptides, qui s'attachent aux poils d'hyménoptères nidifiants pour arriver jusque dans leur nid.
Le Troisième cas à noter est celui où le partage a pour résultat d'éviter au porté d'avoir à suivre son hôte dans ses pérégrinations. M. Charles Janet y fait rentrer celui des fourmis qui se portent mutuellement avec leurs mandibules lorsqu'elles quittent leur domicile pour gagner une autre fourmilière et en prenant des positions particulières, bien définies pour chaque espèce.
Les Cloportes, qui habitent les fourmilières, se cramponnent aussi aux fourmis au moment d'un grand déménagement et arrivent ainsi sans peine au nouveau domicile. Lund, par exemple, a observé des Fourmis, du genre Myrmica, qui marchaient en colonne et avaient une démarche singulière. Cela était dû à ce que les Fourmis portaient chacune, sous leur abdomen, un Cloporte qui s'y tenait attaché avec ses pattes. Le Cloporte étant plus large que la Fourmi, cette dernière était obligée, en marchant, d'écarter fortement ses pattes, et cela lui donnait une démarche bizarre.
Fourmis rousses (Formica rufa) se portant, grossies. En cartel, les mêmes, grandeur naturelle.
II y a enfin à parler des cas de portage " indirect " et dont celui-ci, décrit par M. Ch. Janet, est un bon exemple : Il a fait un jour une récolte de Fourmis fusca dans laquelle de nombreux Acariens (Uropoda anticeps) s'étaient fixés sur les cocons dont ils tenaient un repli serré par leurs pattes antenniformes. Ainsi installés, ils étaient transportés chaque fois que les Fourmis passaient d'une pierre à une autre mieux exposée.
Henri Coupin
La Nature, 1905, trente-troisième année, premier semestre : n°1651 - pp. 145-147.
Cet article traite de la phorésie.
Holostaspis : Acarien Mésostigmate Macrochélidé.
Leptinus testaceus : Col. Leptinidé.
Limosina sacra : in Lesne P., 1896 : Moeurs du Limosina sacra, Meig. (famille Muscidae, tribu Borborinae), Phénomènes de transport mutuel chez les Animaux articulés.Origine du parasitisme chez les Insectes diptères. 4 pp.
Anterophagus : Col. Cryptophagidé.
Uropoda anticeps : ?
Les insectes de la Belle Époque
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