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Les insectes de la Belle Époque
UNE LARVE PARADOXALE
Tous les ouvrages d'histoire naturelle pittoresque ont un chapitre sur
les mœurs curieuses de la larve du fourmilion, qui, tapie dans son
entonnoir de sable, y fait rouler les petits insectes pour s'en
repaître à loisir. Or, le fourmilion n’est pas le seul représentant de
l'ordre des névroptères qui sache ainsi employer la ruse en vue de
satisfaire ses appétits sanguinaires. Ses proches parents les
Ascalaphes, est particulier, moins connus, mais peut-être aussi
intéressants, offrent sur ce rapport des particularités d'instinct
dignes d'attention. On croyait autrefois que ces insectes déposaient
leurs œufs dans le sable : mais il est à peu près certain aujourd'hui
qu'ils les pondent, au moins pour la plupart des espèces, sur les
végétaux. Les larves qui sortent de ces œufs ne savent pas creuser
d'entonnoir, mais elles sont habile: à se cacher sous de petites
branches ou d'autres débris, d’où elles saisissent les bestioles dont
elles se nourrissent. À l'état adulte, l'Ascalaphe est semblable à une
gracieuse libellule, avec quatre ailes de gaze et deux longues antennes
terminées chacune par un bouton ; à l’état de larve, c'est un petit
être difforme et laid, muni d'une grosse tête qui porte en avant deux
pinces robustes, dentées. Cette larve n’a pas de bouche, et son anus
est une filière ; ses mandibules sont percées à leur pointe d'un très
petit trou, et leur intérieur est creux. Pour se nourrir, elle saisit
sa proie dans sa redoutable tenaille, la perce, aspire les sucs qu'elle
contient par le double canal de ses pinces, et ne l'abandonne que
réduite à l'état de peau flasque et vide. Les aliments qu'elle absorbe
étant empruntés à des sucs organiques déjà tout élaborés, elle les
assimile entièrement, sans déchets. Elle compte par suite au nombre des
quelques insectes qui ne rejettent pas d'excréments. Son anus, privé de
sa fonction normale, lui sert à sécréter une substance visqueuse qui,
au contact de l'air, s'étire en fils à l'aide desquels elle se fabrique
un cocon pour y subir sa transformation en nymphe. Sous cette dernière
forme, elle possède de solides mandibules dentées, qui ne lui servent
pas à manger, puisqu’elle ne prend pas d'aliments, mais à percer son
cocon quand le moment est venu de prendre son essor. Pas de bouche, ni
d'anus, des mandibules en apparence inutiles : tout est paradoxal dans
la structure de cette bestiole.
Ascalaphus insimulans Walker, de Ceylan. - 1. Insecte adulte de grandeur naturelle ; 2. Larve du même ascalaphe, grossie.
Le cocon au sein duquel s'opère la nymphose est formé intérieurement
d'une sorte de pellicule soyeuse, et à l'extérieur de grains de sable
agglomérés, lesquels servent à la fois à le consolider et à le
dissimuler. La nymphe s'y tient enroulée ; elle n'y demeure pas
longtemps, et l'adulte en sort environ un mois après qu'il été filé.
Comme on peut en juger d'après ce que nous avons dit, la larve de
l'Ascalaphe capture ses proies à peu près comme l'araignée, en
les saisissant dans ses tenailles. L'analogie est encore
complétée par ce fait que les victimes sont très rapidement tuées,
comme il arrive pour celles que font les araignées : ce qui donne à
penser que les mandibules des larves de l'Ascalaphe inoculent, sous
l'épiderme qu'elles percent, une gouttelette de venin. Si elles ne sont
pas, ainsi que celles du fourmi-lion, habiles à creuser un piège en
entonnoir, ces larves savent du moins, comme leur redoutable parent,
observer la patiente immobilité qui doit donner confiance aux mouches
et les amener sous leurs pinces. Celles-ci restent ouvertes ; à peine
une bestiole les a-t-elle touchées qu'elles se referment brusquement,
et commencent leur fonction. Une fois pris entre les deux pointes, il
n'y a plus de salut pour le pauvre insecte : M. Green a vu des mouches
ainsi capturées périr en vingt secondes. Les mandibules entrent
profondément, faisant deux trous visibles au microscope quand la
victime est sucée. Particularité curieuse : ces larves si voraces n'ont
point de tendance au cannibalisme ; elles ne se dévorent pas entre
elles, sauf par méprise. Il y a en France plusieurs espèces
d'Ascalaphes. Nos figures en représentent la larve et l'adulte d'un
type exotique, d'après M. Westwood, qui a publié sur les mœurs de ces
insectes d'intéressantes notes.
Par A. Acloque. La Nature, n°1643, novembre 1904, pp. 400
Ascalaphus dicax, Neur. Myrmeleontidé.
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