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Les insectes de la Belle
Époque
UNE INVASION DE PAPILLONS
Pendant les journées des 10 et 11 juillet, la surface de la mer
entre les îles Chausey et Granville, a été
littéralement envahie par d'immenses nuées de papillons.
Ce fait curieux m'a été rapporté par des
témoins, entre autres le capitaine du bateau des Ponts et
Chaussées qui m'en a fait la description suivante : « Les
papillons blottis paraissaient aussi nombreux que des flocons de neige
et l'on aurait pu se croire au milieu de bourrasques, car parfois ils
se trouvaient en nuées plus compactes produisant l'aspect de
l'arrivée d'un « grain ». Ces deux jours-là,
la traversée des Chausey à Granville s'est
effectuée entièrement dans ces conditions, - cette
distance est de 17 km environ. Au delà des Chausey on
rencontrait des bandes très clairsemées. Beaucoup de ces
insectes tombaient à la mer, la masse cherchant à se
relever toujours, et les vents qui souillaient de l'Est,
c'est-à-dire de la terre, les entraînant au large. »
Invasion de papillons en mar (d'après un dessin fait au large)
Je n'ai pu avoir d'autres détails sur ce phénomène
qu’il m'a été donné d'observer très
indirectement. J'avais remarqué, en effet, l'apparence que
présentait la mer, dans la journée du 10 : elle semblait
presque entièrement couverte par de grandes surfaces blanches,
découpées bizarrement. Sur l'instant mon impression avait
été qu'il s'agissait de brouillards en formation, mais
après le récit précédent, nul doute
qu’il faille attribuer cet aspect à celui de la colossale
armée de papillons.
Il serait curieux de savoir si ce passage de lépidoptères
- des Piérides sans aucun doute, d’après la
description - s'est manifesté ailleurs. Nous n'avons noté
sur terre, du moins à Donville, aucun fait pareil. Le lendemain
12, après une nuit orageuse, et les vents portant à terre
celle fois, j'ai examiné les relais de la mer, mais aucun
cadavre d'insecte n'a été rejeté. Ils ne sont donc
pas venus se noyer à proximité du bord ; et malgré
la saute de vent le nombre des piérides dans la campagne
n’a pas augmenté sensiblement. Il serait
intéressant de savoir d'où provenait celle invasion et
ce, qu'elle est devenue.
Lucien Rudaux La Nature, 2e semestre 1904, p. 133.
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