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Les insectes de la Belle Époque
LA DESTRUCTION DES FOURMIS
La
question des fourmis est toujours à l’ordre du jour. Si par les soins qu’elles
donnent à leurs jeunes, par leurs combats, par leurs mœurs pastorales, par les
habitudes d’esclavage de certaines d’entre elles, elles font depuis bien
longtemps l’admiration des observateurs, elles sont d’autre part la terreur des
ménagères, et les cultivateurs les considèrent, trop souvent, disons-le de
suite, comme un véritable fléau.
On les détruit partout et par tous les moyens possibles, et selon nous presque
toujours à tort, surtout si l’on s’en tient à nos espèces indigènes.
A part quelques petites espèces qui s’introduisant dans nos maisons y sont en
vérité parfois bien incommodes, et d’autres qui fréquentant les pucerons les
excitent à une plus grande absorption de la sève des plantes, les fourmis sont
essentiellement carnivores et par conséquent utiles. Michelet avait raison
quand après avoir énuméré les défauts qu’in leur reproche il terminait en
disant : « Leurs vertus, c’est de détruire tout ce qui nuirait à
l’homme comme insecte ou chose insalubre. ». On les rencontre partout
transportant à leur demeure des insectes, morts ou vivants. Leur présence dans
les forêts n’est nullement nuisible, et il est avéré que celles qui établissent
leur domicile dans les arbres, choisissent le bois mort pour y creuser leurs
nids, et que les arbres qu’elles habitent sont spécialement préservés de
l’atteinte des scolytes. Pourtant nous accorderons volontiers qu’il faille les
détruire là où elles sont gênantes, nuisibles mêmes. Les moyens connus pour
atteindre ce but sont aussi nombreux que généralement insuffisants. Leur emploi
judicieux peut néanmoins donner de bons résultats, mais avant de les indiquer,
quelques mots sur le développement des fourmis ne seront certainement pas
inutiles.
Les fourmis appartiennent à l’ordre des « Hyménoptères », ce sont des
mouches à quatre ailes. Celles que nous voyons courir partout en sont
dépourvues, mais il faut voir en elles des individus femelles modifiés, dont
toute l’organisation s’est adaptée aux fonctions d’ouvrières qu’elles sont appelées à remplir concurremment avec
celles de « nourrices ». A certains moments la fourmilière contient
en grand nombre des individus normaux, mâles et femelles pourvus de leurs
quatre ailes, qui par un beau jour prennent leur envol en masse, « essaiment »,
et sont chargé eux de la conservation de l’espèce.
C’est le vol nuptial après lequel les mâles meurent misérablement ou sont tués
par les ouvrières comme devenus inutiles. Quant aux femelles quelques-unes sont
recueillies par ces même ouvrières qui leur arrachent les ailes, désormais sans
usage, si elles ne se les sont pas arrachées déjà, et les ramènent à la
fourmilière où leur ponte va renforcer la colonie. Les autres, se réfugiant
dans quelque trou, commencent à pondre un paquet d’œufs, s’enfoncent en terre à
l’arrivée de la mauvaise saison, s’engourdissent jusqu’au printemps, et
soignent alors leur progéniture.
De l’œuf est sorti une larve qui deviendra nymphe puis insecte parfait. Les
premiers œufs produisent des ouvrières, les premières écloses suppléeront la
mère dans les soins de la famille ; celle-ci, nourrie par ses enfants, se
consacrera désormais uniquement à la ponte, et la fourmilière se développera
rapidement. Le nid sera agrandi au fur et à mesure des besoins, il diffère
suivant chaque espèce ; tantôt formé de chambres et de galeries creusées
dans la terre, tantôt abrité dans un creux d’arbre, un trou de mur, sous une
pierre ou une racine. Chez certaines espèces il est surmonté d’un monticule de
terre ou de brindilles, etc.
Nous ne pouvons entrer ici dans le détail des mœurs des fourmis, mais retenons,
d’après ce qui précède, qu’elles se présentent à nous sous diverses formes et
qu’à certains moment on trouve dans la fourmilière : 1° des mâles et des
femelles ailées, qu’on peut parfois détruire en masse par le flambage quand
l’essaim s’abat quelque part : une poignée de paille ou un journal
enflammé suffit alors ; 2° des femelles pondeuses qui ne quittent guère la
fourmilière, et des ouvrières en nombre toujours considérable et que l’on rencontre
partout au dehors : elles présentent parfois deux formes
différentes ; 3° des œufs, des larves et des nymphes.
L’organisation interne des fourmis rappelle celle des abeilles, et autres
insectes voisins, la figure 1 en donne une idée suffisante. Elles peuvent être
en quelque sorte considérées comme nuisibles en raison de leur piqûre, portant,
comme les guêpes et les abeilles, un aiguillon à l’extrémité de l’abdomen (pas
les mâles, bien entendu). Au moment de leur piqûre, elles déversent dans la
plaie le venin de deux glandes qui alimentent cet aiguillon et dont l’action
est parfois très énergique, comme chez la Myrmica rubra, par exemple. Chez certaines
espèces, Formica rufa entre autres,
l’aiguillon a subi des modifications anatomiques ; elles ne piquent pas,
mais le venin peut être projeté à une distance capable d’atteindre jusqu’à 30 centimètres. Aussi
n’approchez des grandes fourmilières qu’avec précaution et prenez garde à vos
yeux. Ces quelques notions nous suffiront pour raisonner un peu les moyens de
défense que l’on doit employer envers les fourmis.
Tout d’abord se présente la destruction en bloc de toute la fourmilière quand
elle n’est pas établie dans un mur, un parquet, ou tout autre endroit
inaccessible. Pour les nids dans le sol, on emploie fréquemment l’échaudage, moyen généralement
insuffisant, l’eau se refroidissant avant d’atteindre le fond du nid. Mieux
vaut l’enlèvement à la bêche : les matériaux recueillis dans un sac sont
ensuite vidés dans l’eau bouillante ou enterrés et fortement tassés, on peut y
joindre à ce moment un insecticide quelconque. Mais si l’on ne veut pas nuire
aux plantes dont on pourrait couper les racines, il sera bon bien souvent de
n’enlever que le dessus du nid et de recommencer à plusieurs reprises.
Il suffit parfois de tasser fortement le nid au moyen d’une lourde poutre qui
écrase tout, contenant et contenu. On conseille aussi d’en boucher les issues
avec de la chaux imprégnée d’une décoction de coloquinte, ou d’arroser avec des
substances vénéneuses : sublimé, sulfure de carbone, etc. Tous ces moyens
sont bons, mais à condition d’être renouvelés.
Le labourage détruit les nids et rend le sol incommode à une nouvelle
installation des fourmis qui n’y trouent pas un abri confortable.
Les larves et les nymphes sont l’objet d’une destruction plus spéciale ;
sous le nom impropre d’œufs de fourmis
elles sont indispensables pour l’élevage des faisans et de divers autres
gibiers, et leur récolte est d’ailleurs facile. Parmi les procédés employés il
en est un qui ne manque pas d’élégance. Près des grandes fourmilières on
prépare sur le sol une aire circulaire bien nette, sans herbes ni pierres. Tout
autour on dispose des pots à fleurs renversés et légèrement soulevés par un
petit caillou ; à défaut de pots on dispose simplement sur le sol de
larges feuilles. Avec une pelle on remplit un grand sac du contenu des
fourmilières et on vide le tout au milieu de l’aire préparée. Immédiatement les
fourmis, uniquement préoccupées de sauver leurs jeunes, les transpostent sous
les pots ou sous les feuilles, là il est facile de les recueillir avant qu’ils
n’aient eu le temps d’être transportés en lieu plus sûr. Il suffit souvent de
renverser sous la fourmilière des pots à fleurs vides pour qu’à certaines
heures de la journée tous les jeunes (larves et nymphes) y soient rassemblés
par les fourmis.
Ce sont là des moyens de destruction partielle, ils répondent bien au but
poursuivi ; mais c’est surtout hors de la fourmilière qu’on a à combattre les fourmis, principalement celles des
maisons. Là, tantôt on cherche à les attirer pour les mieux détruire, tantôt on
cherche à les éloigner par un moyen quelconque.
Une plante dans un pot, couverte de pucerons, les fait venir en grand nombre,
de même qu’un pot à fleurs plein de terre sur laquelle n dépose un appât sucré,
et que l’on recouvre d’une tuile ou d’une assiette ; le trou inférieur
doit rester libre. Du papier enduit de miel, des éponges sucrées avec un
mélange de sucre et de miel en attirent beaucoup, et de temps en temps on peut
s’offrir le plaisir d’une immersion générale dans l’eau bouillante.
Mais c’est le plus souvent, de guerre lasse, vers l’éloignement des fourmis que
les efforts sont portés. Chaque inventeur est convaincu de l’efficacité de son
procédé, mais il est nécessaire de convenir que jusqu’à présent aucun n’est
infaillible. La liste en est bien longue, en voici quelques-uns : répandre
sur le passage des fourmis, et dans les endroits qu’elles fréquentent :
poudre de pyrèthre ; cendres de bois ; borax en poudre mélangé de
sucre ; charbon de bois, braise ; craie en poudre, blanc d’Espagne,
plâtre fin ; sciure de bois ; poudre de cacao, marc de café ;
sel marin, soufre en poudre. L’action de certaines de ces substances, dont la
plupart ne peuvent guère agir que par leur pulvérulence, serait difficile à
expliquer.
D’autres agissent certainement par leur odeur, par exemple : l’acide
phénique, la benzine ; le goudron, le pétrole ; un mélange d’acide
phénique et de mélasse ; l’huile de cade, de genièvre, de poisson ;
l’éther de térébenthine ; le tabac à priser trempé dans l’eau ; un os
de jambon fumé ; un citron pourri ; des cadavres de fourmis
écrasés ; de l’eau dans laquelle on a fait cuire des écrevisses ;
l’eau vinaigrée.
Un grand nombre de plantes : cerfeuil, persil, basilic, feuilles
d’absinthe, lavande, anis (en feuille), fenouil, pyrèthre, muguet, thym (trempé
dans l’eau vinaigrée), etc. éloignent, dit-on, les fourmis. Pour préserver les
arbres on conseille l’anneau de glu et aussi un large anneau fait simplement à
la craie appliquée sur le tronc à 1 mètre au-dessus du sol. Sur les semis,
répandre de la sciure de bois phéniquée. Et enfin, nous terminons par les
grands moyens : une trainée de poudre qu’on enflamme et qui fait sauter
toute la bande des fourmis. Du rhum dans lequel on a délayé du sucre en poudre
versé sur leur passage auquel on met le feu au bon moment. Puis la mèche
soufrée.
La plupart de ces moyens ont, croyons-nous, du bon, mais ce que nous
recommanderons surtout c’est la persévérance. Devant cet infiniment petit
« la fourmi », que parfois rien ne semble lasser, une patience à
toute épreuve sera souvent nécessaire, nous la souhaitons de tout cœur à nos
lecteurs, convaincu que là seulement est le secret du succès. Ne voit-on pas
d’ingénieuses fourmis apporter grain à grain de la terre qu’elles déposent sur
la glu ou le goudron, qu’elles traversent ensuite, ou bien, pour franchir une
rigole remplie d’eau pour leur barrer le passage, s’accrocher les unes aux autres,
formant un pont vivant sur lequel elles passent sans se préoccuper de celles du
dessous qui se noient par centaines ?
A.-L. Clément, La Nature, 2e sem. 1902, 2e semestre, p. 155-157.
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