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Les insectes de la Belle
Époque
BAROMÈTRES VIVANTS
La prévision du temps ayant toujours eu pour
l’homme une
importance de premier ordre, il n’a jamais manqué
de
s’attacher aux moindres faits qui semblaient de nature
à
lui fournir sur ce sujet quelque indication, et souvent de simples
coïncidences l’ont entraîné
à
ériger en principes les résultats
d’observations
mal interprétées.
Mais la légende s’en était
emparée et rien
n’est plus difficile à déraciner que
certaines
croyances populaires, quoique la science en ait depuis longtemps
démontré la fausseté, surtout quand
ces croyances
ont reçu l’appui d’esprits
supérieurs, comme
c’est le cas par exemple pour la « Rainette
», cette
charmante petite grenouille verte dont la vie presque toute
entière se passe dans le feuillage des parties
fraîches de
nos bois.
Duméril, alors professeur au muséum
d’histoire
naturelle, en 1863, n’a-t-il pas dit : Les grenouilles des
arbres, ou rainettes, annoncent la pluie par leur coassements, on peut
se faire un hygromètre ou un baromètre vivant en
mettant
un de ces animaux dans un vase où l’on a soin de
lui
donner de l’eau et des insectes pour sa nourriture. On
pourrait
ainsi le conserver jusqu’à sept années
consécutives. Muni dans leur prison de verre d’une
petite
échelle, leur ascension indique que le temps sera sec.
« Son prochain changement nous est bien souvent
annoncé
dans la Ménagerie par le bruyant coassement de ces animaux.
»
Et, antérieurement, le maréchal Vaillant,
à propos
de la discussion d’un projet
d’établissement de
nombreux postes d’observation
météorologiques sur
toute l’étendue de l’empire et de nos
possessions en
Afrique, en insistant sur la nécessité
d’observations de ce genre dans notre colonie, alors
même
‘qu’elles n’auraient pas une exactitude
scientifique
absolue », ne soutenait-il pas, lui aussi, la même
thèse en disant :
« La grenouille du Père Bugeaud, aussi bien que sa
casquette, égaye encore aujourd’hui les bivouacs
de nos
soldats en Afrique.
« Ce grand homme de guerre qui a tant fait pour notre
colonie,
ense et aratro, consultait sa rainette avant de mettre ses troupes en
marche pour une expédition. »
Et bien, malgré tout, il a été
prouvé
expérimentalement que la rainette ne peut fournir aucun
renseignement sérieux sur le temps à venir, et
reste
même inférieure en cela au plus modeste des
baromètres ordinaires.
Géotrupes stercoraires au vol
En sera-t-il de même pour de récentes observations
faites
par le célèbre observateur des insectes, M. J.-H.
Fabre,
sur des animaux bien différents, les «
Géotrupes
» ? Nous nous garderions bien de répondre, mais
nous
sommes certains d’intéresser nos lecteurs, en
empruntant
à l’auteur des ‘Souvenirs entomologiques
» le
texte même de ses observations. Il s’agit,
disons-le de
suite, du « Geotrupes stercorarius » et du
«
Geotrupes hypocrita ».
« Il est de croyance dans nos campagnes, nous dit M. Fabre,
que
les Géotrupes volant nombreux le soir, très
affairés et rasant la terre, sont signe de beau temps pour
le
lendemain. »
Il leur faut pour leur travail une atmosphère chaude et
tranquille. S’il pleut, ils ne bougent pas et non plus
s’il
fait froid et bise.
Et pour vérifier la valeur de cette croyance des campagnards
l’éminent entomologiste observe en
volière ses
Géotrupes et résume ainsi ce qu’il a vu
et
noté :
« Premier cas. Soirée superbe. Les
Géotrupes
s’agitent dans les cages, impatients d’accourir
à
leur corvée vespérale. Le lendemain temps
magnifique. Le
pronostic n’a rien que de très simple. Le beau
temps
d’aujourd’hui est la continuation du beau temps de
la
veille. Sil les Géotrupes n’en savent pas plus
long, ils
ne méritent guère leur réputation.
Mais
poursuivons l’épreuve avant de conclure.
Larve du géotrupe stercoraire
« Second cas. Belle soirée encore. Mon
expérience
croit reconnaître dans l’état du ciel
l’annonce d’un beau lendemain. Les
Géotrupes sont
d’un autre avis. Ils ne sortent pas. Qui des deux aura raison
?
L’homme ou le bousier ? C’est le bousier qui, par
la
subtilité de ses impressions, a pressenti, flairé
l’averse. Voici qu’en effet la pluie survient
pendant la
nuit et se prolonge une partie de la journée.
« Troisième cas. Le ciel est couvert. Le vent du
Midi,
amonceleur de nuages, nous amènerait-il de la pluie ? Je le
crois, tant les apparences semblent l’affirmer. Cependant les
Géotrupes volent et bourdonnent dans leurs cages. Leur
pronostic
dit juste et le soleil du lendemain se fait radieux.
« La tension électrique paraît surtout
les
influencer. Dans les soirées chaudes et lourdes, couvant
l’orage, je les vois s’agiter encore plus que de
coutume.
Le lendemain éclatent de violents coups des tonnerre.
»
Enfin, M. Fabre remarquait chez ses bousiers, les 12, 13 et 14 novembre
1894 une agitation extraordinaire, et il apprenait par les journaux que
le 12 une bourrasque d’une violence inouïe
éclatait
sur le Nord de la France, pour avoir ensuite un écho dans le
Midi.
Est-ce là, demande-t-il, une simple coïncidence ?
Attendons avec lui que de nouvelles observations apportent la
réponse et terminons par quelques lignes sur les moeurs des
Géotrupes que nous aurions peut-être dû
présenter plus tôt au lecteur.
Nos figures nous dispensent de les décrire.
Ils creusent sous les bouses mêmes, des clapiers cylindriques
verticaux, atteignant près de 20 centimètres en
été (en hiver ils peuvent atteindre
jusqu’à
un1 mètre). Le mâle et la femelle creusent
ensemble ce
terrier, c’est une exception chez les insectes où,
généralement, le mâle ne fait rien. Le
mâle
se tient en bas et tasse les matériaux, empruntés
à la bouse, que lui passe la femelle.
Les provisions amassées là atteignent
près de 20
centimètres. En été, cette provision
sert à
la nourriture journalière ; mais, plus tard, on remarque
à la partie inférieure une chambre de la grosseur
d’une noisette dans laquelle est pondu un gros œuf
qui
éclôt au bout d’une ou deux semaines.
Il en sort une larve blanche repliée sur elle-même
qui
mange en creusant une galerie à travers la masse du
saucisson
(fig. 3).
A l’entrée de l’hiver elle redescend, se
creuse en
bas une loge et s’y endort jusqu’en avril. Alors
elle se
réveille, mange encore un peu et maçonne le haut
de sa
loge avec les excréments qu’elle avait
accumulés et
s’y transforme en nymphe pour en sortir à
l’état d’insecte parfait quatre ou cinq
semaines
après.
Cette larve est remarquable par la troisième paire de pattes
toujours atrophiée (fig. 2).
La ponte a lieu de septembre à novembre. Les derniers
œufs
passent l’hiver et l’on trouve également
des adultes
qui hivernent.
Terrier du géotrupe stercoraire.
Le mâle et la femelle collaborent à l'approvisionnement. En bas, l'oeuf dans la chambre d'éclosion.
M. Fabre a aussi observé l’influence des
perturbations
atmosphériques sur un autre insecte. Une chenille, la
Processionnaire du pin, espèce méridionale, lui
en a
fourni un exempe remarquable.
Elle sort de l’œuf en septembre, et habite en
nombreuses
familles des nids soyeux et épais qu’elle se
construit sur
les pins dont elle mange les spicules. Elle passe tout
l’hiver
dans ces nids, sortant seulement la nuit pour manger sur les rameaux
voisins et y revenant s’abriter au chaud après
chaque
repas. Or, lorsqu’une dépression
barométrique doit
se produire prochainement, ces chenilles restent toutes au logis, et ne
se hasardent jamais sur les branches où le vent, la pluie ou
la
neige pourraient les surprendre et les faire mourir.
Elles sont munies d’organes spéciaux au nombre de
huit qui
apparaissent sur leur dos en janvier au moment de la
deuxième
mue. Ils sont formés de mamelons rétractiles que
l’animal fait saillir à volonté au
travers de
sortes de boutonnières.
M. Fabre considère ces organes comme des «
appareils de météorologie ».
Les Géotrupes et les Processionnaires ne sont pas les seuls
insectes qui pourraient fournir d’utiles indications au point
de
vue météorologique. Les abeilles sont
très
sensibles aux variations atmosphériques et on les voit
souvent,
avant certains orages que rien ne faisait prévoir,
s’agiter près de l’entrée de
leur ruche et
s’obstiner à ne pas s’en
éloigner quoique
brille un soleil radieux. De même à
l’approche
d’une tempête l’Epeire Diadème
coupe certains
fils de sa toile pour donner moins de prise au vent et se cache
elle-même en quelque lieu bien abrité.
D’autres araignées, les
Tégénaires, par
exemple, s’enfoncent profondément dans les tubes
qui leur
servent de retraite et à l’entrée
desquels on les
voit revenir se mettre à l’affût quand
le calme
s’est rétabli.
A.-L. Clément
Professeur d’entomologie agricole au Luxembourg.
La Nature, 1er semestre 1901, p. 404-406
Géotrupe stercoraire : Geotrupes stercorarius, Col. Géotrupidé.
La prévision du temps à long terme au moyen d'insectes a été traité dans "Conte d'hiver", par Alain Fraval, Insectes n° 142.
Les chenilles processionnaires sont, en deux épisodes, dans Insectes nos 147 et 148.
Les insectes de la Belle Epoque