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Les insectes de la Belle Époque


LA PropretE chez les INSECTES
 

 L’instinct de la propreté se retrouve à des degrés plus ou moins élevés dans toute l’échelle des animaux, mais il n’est peut-être nulle part aussi développé que chez les insectes. Ceux-ci, ainsi qu’il est facile de le constater, ont presque toujours la surface absolument lisse : ce résultat est évidemment obtenu grâce à la carapace de chitine qui les enveloppe et qui, enduite d’un vernis brillant, permet aux poussières de rouler et aux liquides de s’écouler. Mais, en de nombreux points aussi, il y a des toisons de poils, des épines, des enfoncements qui retiennent énergiquement la poussière ; celle-ci, si l’insecte n’y prenait garde, ne tarderait pas à s’y accumuler et à gêner singulièrement les mouvements, tout en étant, par ses microbes, une menace continuelle pour la santé. Mais, heureusement pour eux, les insectes sont pourvus d’un riche cabinet de toilette qu’ils portent toujours avec eux à la manière d’une trousse. Celle-ci est surtout représentée par les pattes et les pièces de la bouche qui, suivant leur forme, jouent le rôle de peignes, de brosses ou de râteaux. Certains hyménoptères possèdent même, adapté à la première paire de pattes, un petit appareil auquel on a donné le nom d’étrille et dont la fonction est de brosser les antennes. C’est une encoche semi-cylindrique dont le bord interne forme un peigne à dents très fines, en regard de laquelle il y a une lame aplatie. C’est entre ces deux parties que l’insecte loge son antenne. M. Pérez qui a constaté lui-même cette manœuvre, dit que l’insecte, ramenant sa patte en arrière, le tarse fléchi sur le tibia, l’antenne glisse de sa base à son haut entre la fossette et la tranchante de l’éperon, et se frottement très immédiat la nettoie.

Quelle est, chez les Insectes, dans l’œuvre commune, la fonction de chaque paire de pattes ? M. Le Dr Ballion, qui a fort bien étudié l’instinct de la propreté chez les bêtes, a donné à ce sujet d’intéressants détails.

Aux membres antérieurs est dévolu un travail long et difficile, le nettoiement des organes buccaux, des palpes, des antennes et des yeux. On ne sait si cette opération consiste en un simple brossage ou si elle nécessite l’emploi d’un liquide servant à un véritable lavage. Le fait est qu’on voit souvent des insectes passer leurs tarses antérieurs dans leur bouche, comme font les chats, avant de les passer sur leur tête. Est-ce uniquement pour nettoyer leurs tarses qu’ils en usent ainsi, ou bien les humectent-ils aussi pour se débarbouiller ? Quoi qu’il en soit, ce n’est pas une mince besogne, pour une libellule, par exemple, d’épousseter les mille facettes de ses grands yeux saillants, sans compter les ocelles. Il faut dire que l’étonnante mobilité de la tête, chez ces névroptères, facilite singulièrement l’opération. Ce n’est pas non plus une petite affaire, pour certains longicornes, de donner un coup de plumeau à leurs antennes, dont la longueur dépasse parfois de beaucoup celle du corps. Ajoutons que les organes buccaux aident les tarses dans les soins à donner aux antennes. Beaucoup d’insectes se lustrent les antennes en se les passant dans la bouche. C’est avec cette première paire de pattes que les Hyménoptères font la toilette de leurs larves. M. Forel, les ayant amputées à des fourmis, remarqua que ces insectes ne parvenaient pas, malgré tous leurs efforts, à nettoyer les larves.

Les pattes intermédiaires s’emploient peu à la toilette : elles servent principalement à tenir le corps en équilibre pendant la station, et cela, de concert avec une autre paire de membres ; car il n’y a habituellement que deux pattes qui travaillent à la fois à la toilette.
Les pattes postérieures sont très utiles pour le nettoyage des ailes et de l’abdomen. Ces régions, vu leur importance, réclament des soins assidus. Les pattes postérieures, par leur longueur relative, par l’étendue et la facilité de leurs mouvements, enfin par les différents appendices soyeux ou cornés dont elles sont hérissées, s’acquittent à merveille de ces délicates fonctions. Les cuisses, appliquées contre la face inférieure du ventre, contribuent par leurs mouvements de va-et-vient à nettoyer cette région et à la débarrasser des mites qui l’infestent si souvent. Les jambes et les tarses, se relevant et contournant l’abdomen, brossent la face supérieure et les faces latérales de cette région, ainsi que les ailes. Les Criquets et les Grillons nettoient les appendices velus de leur abdomen en les frottant entre les épines qui garnissent l’extrémité des pattes postérieures.

La mouche domestique est facile à observer. Commençant par les membres antérieurs dont elle frotte d’abord les tarses l’un contre l’autre, elle se brosse la tête dans tous les sens. Puis, relevant son abdomen, elle fait la même opération à ses tarses postérieurs et procède ensuite à la toilette des ailes. Le hasard a fait découvrir à M. Ballion un moyen commode d’observer tout à loisir ces manœuvres. On prend un diptère de grande taille, le Taon des bœufs, par exemple, et on lui arrache la tête. L’insecte décapité se met incontinent à sa toilette. « Dans mes courses à cheval, l’été, dit M. Ballion, quand j’avais capturé un de ces fatigants Tabaniens, je m’en débarrassais proprement de cette façon. Un jour au lieu de le jeter au loin, je plaçais un Taon, ainsi mutilé, sur le dos de ma main. L’insecte resta immobile quelques secondes. Puis, à ma grande surprise, après avoir par un geste habituel porté ses pattes antérieures vers la tête absente et les avoir frottées vivement l’une contre l’autre, ce qui, assurément, n’était pas un signe de réjouissance, il se mit à brosser son abdomen et à lisser ses ailes avec ses pattes postérieures. Sous la pression douce de ces membres, l’abdomen s’abaissait et son extrémité se recourbait en dessous ; et les ailes, lissées sur leurs deux faces, subissaient par moments un brusque changement de position, en vertu duquel leur face supérieure devenait externe. De temps en temps, ces pattes postérieures se brossaient elles-mêmes l’une l’autre. Bref, je pris goût à se spectacle bizarre, et pour en jouir plus longtemps, j’emportai ma victime dans mon cabinet de travail, où elle vécut un jour entier occupée jusqu’à la fin à son ingrate besogne. »

Les pattes sont à leur tour nettoyées par les mandibules.

 Henri Coupin, La Nature. 1er sem. 1900, p. 66

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