Vers la page d'accueil d'OPIE-Insectes
Les insectes de la Belle Époque
Les araignées sociales
L’araignée est le type de l’animal solitaire, ne partageant jamais
ses victuailles avec ses camarades et ne demandant jamais aide et
assistance à l’une d’elles. Cette horreur de la sociabilité se montre
même au moment où elle pense à s’assurer une progéniture, époque où il
n’est pas rare de voir les femelles dévorer les mâles lorsque ceux-ci
ne peuvent se sauver à toutes pattes après avoir accompli leur rôle.
Cependant,
comme dans les sciences – en histoire naturelle moins qu’ailleurs – il
n’y a pas de règles sans exception, on peut citer quelques exemples où
ces instincts sanguinaires sont en partie abolis. Des rudiments de
sociabilité se montrent, en effet, chez quelques espèces. C’est ainsi
que les Clubiones établissent leurs coques côte à côte sous la même
écorce et que chez les Théridions, qui vivent en masse sous le vitrage
des serres, les toiles s’enchevêtrent, et plusieurs individus
s’avancent parfois simultanément sur une proie qui reste au premier
arrivant sans que les autres lui cherchent noise.
Fig. 1 – Cocons réunis en commun de l’Epeira bandelieri. L’enveloppe extérieure a été entr’ouverte pour montrer l’intérieur.
En bas : cocon représenté isolé.
Fig. 2 – Toile de l’Anelosimus socialis. –
En bas : cocon présenté isolé.
Chez
beaucoup d’autres espèces, la sociabilité est beaucoup plus marquée. On
les rencontre surtout dans les pays chauds. C’est ainsi qu’Azzara
raconte qu’au Paraguay, il y a une espèce d’araignée noirâtre l’Eipera socialis,
de la grosseur d’un pois chiche, dont les individus vivent en société
de plus de cent et qui construisent, en commun, un nid plus grand qu’un
chapeau, qu’elles suspendent par le haut de la calotte, à un grand
arbre ou au faîtage de quelque toit, de manière qu’il soit abrité par
le haut ; de là partent tout à l’entour un grand nombre de fils gros et
blancs qui ont 50 à 60 pieds de long.
Maintenant que l’attention
est attirée sur ce point, il est probable que les exemples se
multiplieront. M. Eugène Simon a observé, au Venezuela, divers
cas de sociabilité chez quelques espèces très éloignées les unes des
autres. Cette sociabilité, d’ailleurs, présente plusieurs degrés : elle
est tantôt temporaire et limitée à l’époque de la reproduction, tantôt
permanente ; dans certains cas, le travail exécuté est absolument
commun et semblable pour tous les individus de la république ; dans
d’autres, le travail commun n’exclut pas une certaine dose de travail
individuel.
Le premier exemple à citer est celui d’une araignée à laquelle M. Eugène Simon a donné le nom d’Epeira bandelieri.
En temps ordinaire, elle ne paraît pas différer par ses mœurs des
Epeires ordinaires ; sa toile est normale et individuelle. Mais, au
moment de la ponte, plusieurs femelles se réunissent pour construire en
commun, sur un buisson, une grande coque de tissu jaunâtre et laineux,
dans laquelle elles s’enferment pour pondre et fabriquer leurs cocons.
Le cocon, de tissu très épais, est bombé sur l’une de ses faces,
presque plan sur l’autre et attaché aux parois de la chambre
incubatrice par un très court pédicule. À l’intérieur on rencontre
jusqu’à dix cocons et cinq ou six femelles partageant les soins de la
maternité.
La sociabilité est beaucoup plus complète chez l’Anelosimus socialis
: plusieurs centaines, souvent plusieurs milliers d’individus de cette
espèce se réunissent pour filer une toile légère et transparente, mais
de tissu serré et analogue à celui d’Agélènes ; cette toile est de
forme indéterminée, elle atteint parfois de grandes dimensions et peut
envelopper un caféier tout entier. Au premier abord, cette immense
toile rappelle plutôt le travail des chenilles sociales que celui d’une
Araignée ; quand on a déchiré l’enveloppe extérieure, on voit que
l’intérieur est divisé, par des cloisons de même tissu, en loges très
irrégulières. Les Araignées s’y promènent librement, se rencontrent en
se palpant comme feraient des fourmis avec leurs antennes, et se
mettent quelquefois à plusieurs pour dévorer une proie un peu
volumineuse. Les cocons sont arrondis, formés d’une bourse floconneuse
gris de fer ; ils ne sont pas pédiculés, mais fixés à la toile commune
par quelques fils formant un réseau lâche.
Fig. 3 – Femelles de l’Uloborus republicanus veillant sur leurs cocons.
Fig. – Toiles de l’Uloborus republicanus.
Le troisième type d’association, que M. Eugène Simon a observé chez l’Uloborus republicanus,
est de beaucoup le plus parfait, car il offre sur la même toile un
travail commun auquel contribuent tous les associés en même temps qu’un
travail individuel propre à chacun d’eux.
Plusieurs centaines d'Uloborus
vivent ensemble ; ils filent entre les arbres une toile immense, formée
par d’un réseau central assez serré sur lequel se tiennent côte à côte
beaucoup d’individus des deux sexes ; mais principalement des mâles ;
ce réseau est suspendu par de longs fils, divergeant dans toutes les
directions et prenant attache sur les objets environnants. Dans les
intervalles des mailles, formées par ces grands fils, d’autres Uloborus
tissent des toiles orbiculaires, à rayons et à cercles, qui ne sont
alors habitées que par un seul individu. On peut voir de temps en temps
une araignée se détacher du groupe central pour chercher dans les
câbles supérieurs un endroit propice à sa toile orbiculaire.
Les
mâles sont surtout nombreux dans le réseau central ; c’est là que
s’effectue la ponte. Celle-ci paraît être presque simultanée pour
toutes les femelles d’une même colonie ; à ce moment les mâles ont
disparu ; les femelles ont cessé de filer des toiles régulières, elles
se tiennent sur le réseau central, à quelques centimètres les unes des
autres, gardant chacune son cocon dans une immobilité complète. Le
cocon est lui-même des plus singuliers et ressemble plus à un débris
végétal accidentellement tombé qu’au travail d’une araignée. C’est un
corps allongé, d’un brun lustré, étroit, tronqué et un peu échancré à
la base, qui est fixé aux fils par ses angles, ensuite élargi et
presque parallèle, offrant de chaque côté une ou deux petites saillies,
largement tronqué à l’extrémité avec les angles plus ou moins dilatés
et pourvus d’une ou de plusieurs saillies semblables.
Si les araignées n’étaient pas si répugnantes à la vue, combien leurs mœurs seraient intéressantes à observer !
Henri Coupin. La Nature, 1900, Vingt-huitième année, premier semestre, p. 308-310
Les insectes de la Belle Époque
Vers la page d'accueil d'OPIE-Insectes