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DISPERSION DES MOLLUSQUES
La nature, en fixant les plantes au sol par leurs racines, semble leur avoir interdit la faculté de se disperser sur la surface de la terre. Elle a très heureusement modifié cette loi contradictoire - en apparence seulement - avec celle de la multiplication de l'espèce, en munissant leurs graines d'organes spéciaux qui permettent aux divers agents naturels de les emporter au loin et d'assurer ainsi leur dissémination.
Les mollusques, eux, fixés à leurs rochers ou bien munis d'organes de locomotion très rudimentaires, semblent être dans une situation analogue à celle des végétaux. Et ils n'ont pas, comme ces derniers, de graines ailées ou munies de crochets que les vents ou les animaux pourront emporter loin du lieu d'origine. L'étude des moyens de dispersion de ces êtres sédentaires par nature a été quelque peu négligée et ce n'est guère que dans ces dernières années qu'on s'en est occupé. M. Harry Walles Kew a publié, dans la collection des International scientific series, un travail très complet et très documenté sur ce sujet et nous voudrions en résumer les parties les plus intéressantes.
La distribution géographique des mollusques d'eau douce et leur distribution locale dans des masses d'eau isolées prouve nécessairement l'existence de moyens de dispersion : des individus ont été transportés d'un endroit dans un autre, d'un étang dans un autre, du continent aux îles les plus isolées de l'océan.
L'objection la plus courante que l'on émet relativement à la possibilité de semblables transports est celle concernant la faculté, pour ces mollusques, de vivre longtemps hors de l'eau. C'est là une erreur qui tient à l'absence d'expériences directes. Plusieurs de ces mollusques sont amphibies et une limnée (Limnaea trunculata) est pour ainsi dire aussi souvent hors de l'eau que dans l'eau.
Le professeur Thomas a conservé dans un vase ouvert et sans eau, placé sur la table d'un laboratoire où le soleil donnait plusieurs heures par jour, des L. truncatula : 50 pour 100 de ces mollusques étaient encore vivants après trente-six heures et beaucoup résistèrent jusqu'à six semaines. M. Christy a constaté qu'une paludine vivipare, sortie par accident d'un aquarium et qui était restée trois semaines hors de l'eau, y fut réintégrée avec ses semblables et ne parut avoir éprouvé aucun mal de ce séjour.
Une moule d'eau douce, enveloppée dans du papier et expédiée de Cochinchine en Angleterre y arriva, par suite de circonstances spéciales, après 498 jours, et fut placée dans un aquarium, où elle reprit sa vie habituelle. Enfin, quelques Ampullariae, placée dans un vase, vécurent pendant cinq ans sous le climat chaud de Calcutta. Cette résistance à la mort, commune à un grand nombre d'espèces et dont on pourrait donner bien d'autres exemples, favorise certainement le transport des mollusques à grande distance.
Parmi tant de faits curieux et intéressants, rapportés par M. Kew, nous ne retiendrons aujourd'hui que ceux qui ont trait à la dispersion des mollusques bivalves d'eau douce. On se rappelle la fable du rat et de l'huître. - La petite scène, si bien racontée par l'ingénieux fabuliste, se reproduit souvent dans la nature. Les mollusques, en rapprochant leurs valves, serrent assez fortement l'objet qu'on a introduit entre ces sortes de mâchoires, pour pouvoir être emportées avec lui.
Les gens de la campagne qui font des écumoires avec les coquilles des moules d'eau douce (Anodonta cygnea) se procurent ses mollusques à l'aide d'un bâton pointu qu'ils introduisent dans l'entrebâillement des valves. Comme dans la fable, la moule se resserre vivement et enserre le bâton. A ce moment, le pêcheur le relève et ramène la moule. C'est véritablement la pêche des moules. L'auteur que nous analysons a fait des expériences directes sur des Anodonta qu'il recueillait ainsi avec un petit bout de bois. Il a pu laisser une Anodonte suspendue hors de l'eau pendant 51 heures. Quand elle fut remise dans l'eau, elle se détacha. Ce mode de pêcher les moules est fort ancien, car Sir Robert Redding, en 1688, raconte que les pauvres du Nord de l'Irlande pêchaient les huîtres perlières les uns avec leur orteil, les autres avec des sortes de pinces en bois.
Bien souvent des oiseaux, en pataugeant dans les marais ou sur les bords des rivières et étangs, ont ainsi mis la patte sur des mollusques qui se sont vengés de ce sans-gêne en refermant vivement leur coquille et en s'attachant ainsi à l'intrus qui les transportait vers d'autres rivages.
Dans l'État de Virginie, on prétend qu'il est impossible d'élever des canards à cause des Unio qui saisissent les pattes des jeunes canetons à marée basse et les retiennent jusqu'à la marée montante où ils périssent, n'ayant pas la force d'enlever le mollusque.
Tanden, qui s'est beaucoup occupé de la question de dispersion des mollusques, rappelle une observation qu'il a faite étant enfant. Son grand-père possédait une bande de canards que l'on menait chaque jour sur un étang situé à quelque distance de la ferme. Un jour on s'aperçut, au retour, qu'un canard manquait à l'appel : on alla à sa recherche et on le trouva qui revenait péniblement en traînant à la patte une grosse anodonte qui ne voulait pas le lâcher.
Dispersion des mollusques. - 1.Larve de libellule transportant
un Sphaerium. - 2. Nèpe transportant un Pisidium
frontinale. - 3. Dytique avec un Sphaerium corneum à la
patte. - 4. Salamandre avec une coquille à la patte. - 5. Crapaud
avec un bivalve à la patte. - 6. Écrevisse portant des
Cyclas fontinalis.
(D'après M. Kew)
Les cas de dissémination par les insectes sont plus rares, plus difficiles à observer ; mais ils n'en sont que plus curieux pour cela et M. Kew en a recueilli un certain nombre.
On peut voir au muséum de Manchester une larve de libellule à la patte de laquelle est fixé un Sphaerium corneum (fig. 1). Ca cas n'a pas une grande importance au point de vue de la dispersion, car les larves de libellules ne voyagent guère. Il n'en est pas de même quand ces petits mollusques s'attachent à des insectes aquatiques susceptibles de quitter leur habitat préféré, de s'enlever dans les airs et de se transporter à une distance relativement assez considérable.
M. Kew cite cinq exemples de Nèpes, larges coléoptères [Hémiptères] bien connus, aux pattes desquels on trouva des Sphaerium ou des Pisidium (fig. 2). Des exemples semblables ont été rapportés par Darwin, à l'occasion d'un Dytique capturé par M. Crick de Northampton, et qui transportait aussi, cramponné à l'une de ses pattes, un Sphaerium corneum (fig. 3).
Le Dytique fut placé dans un aquarium où il conserva cinq jours son commensal. Au bout de ce temps, celui-ci se détacha et alla chercher fortune au fond de l'aquarium.
Quelquefois, les petits mollusques s'attachent aux antennes des insectes ou des crustacés, et M. Jenkins a vu, dans un aquarium, une crevette se promener en portant un Pisidium fortement accroché à ses antennes.
Pour que les insectes aquatiques puissent concourir efficacement à la dispersion des mollusques, même dans une aire assez restreinte, il est nécessaire qu'ils passent en volant d'un cours d'eau ou d'un étang dans un autre étang ou cours d'eau. Les auteurs ne sont pas bien fixés sur les habitudes aériennes des insectes aquatiques, et sur les voyages qu'ils peuvent effectuer par air. Canon Fowler incline à penser que les Dytiques, par exemple, ne prennent leur vol que lorsqu'ils y sont forcés, quand leur étang est à sec. Mais, par contre, Darwin déclare que les Dytiques volent la nuit et qu'on en a trouvé souvent sur des châssis de couche vitrés. Les insectes, trompés par l'aspect brillant ce ces vitres qu'ils avaient prises pour la surface de l'eau, étaient venus s'y cogner et étaient restés littéralement sur le carreau. Des naturalistes dont M. Kew donne les noms ont, en outre, capturé au vol des insectes aquatiques en chassant la nuit, ou en ont trouvé près des lanternes électriques dans les villes.
Des faits que nous venons de rapporter, il résulte que la dispersion locale des bivalves peut être influencée, dans une certaine mesure, par les insectes aquatiques. Un vent violent peut aussi entraîner des insectes portant des mollusques et disséminer très loin des espèces intéressantes.
Les grenouilles, crapauds, salamandres, etc., sont encore assez souvent capturés avec des mollusques attachés à leurs pattes. On a vu des salamandres avec 2 bivalves et des crapauds avec 6 bivalves.
La première mention d'une capture de ce genre date de 1829. M. Krap raconte, dans le Journal of a naturalist, l'impression très bizarre que lui a causée la vue d'une salamandre traînant, bien malgré elle, une coquille (fig. 4). Bien d'autres trouvailles sont rapportées par l'auteur que nous analysons, mais il serait trop long de les reproduire toutes.
D'autres animaux peuvent accidentellement se trouver pris entre les valves des mollusques. M. Todd rapporte le cas d'une tortue qui promena longtemps un Unio attaché à sa mâchoire. M. le professeur Girard a trouvé, dans la Seine-et-Marne, des écrevisses dont les pattes étaient garnies de Cyclas fontinalis (fig. 5). Quelquefois, les huit pattes ambulatoire portaient des coquilles : on aurait dit que ces crustacés avaient des sabots. Le professeur Rossmässler signale en outre que des Dreissena polymorpha s'attachent souvent par le byssus à la queue des écrevisses.
Comme nous le disions en commençant il ne s'agit ici que de la dispersion des bivalves. Une autre fois nous étudierons les moyens de dissémination des mollusques univalves.
V. Brandicourt, Secrétaire de la Société linnéenne du Nord de la France. La Nature, 1898 : Vingt-sixième année, deuxième semestre, pp. 154-156
Les insectes de la Belle Époque
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