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Il y a peu d’animaux sur la terre qui aient une aussi mauvaise réputation que les chenilles. Il ne faudrait pas croire cependant que tous les représentants de cette corporation soient nuisibles : il en est de très utiles, comme celles qui fabriquent la soie ; il en est d’autres qui, si l’on sait s’y prendre, pourront nous rendre des services. De ce nombre sont les chenilles de l’Erastria scitula, sur les curieuses mœurs desquelles nous allons donner quelques détails, d’après une récente étude de M. Rouzaud.
Dans le midi de la France, et particulièrement dans les Bouches-du-Rhône, le Var et les Alpes-Maritimes, les oliviers, sources de revenus pour le pays, sont attaqués par un insecte, une sorte de cochenille, le Lecanium oleæ. Celle-ci s’installe de préférence à la face inférieure des feuilles, le long des nervures ; les femelles fécondées se fixent et grossissent en prenant l’aspect d’une petite tortue dépourvue de pattes ; elles sont absolument informes. Non contentes d’aspirer la sève de la plante, elles sécrètent un liquide sucré qui se répand à la surface des feuilles et dont les fourmis sont très friandes.
Cette matière favorise le développement d’un champignon à organisation très simple, le Fumago : les feuilles jaunissent et disparaissent en se recouvrant d’une matière pulvérulente noire, tout à fait analogue à la suie.
Les oliviers épuisés par les cochenilles et les champignons ne tardent pas à périr tout au moins à ne pas donner de fruits. M. Rouzaud eut l’idée de mettre quelques chenilles de l’Erastria scitula sur des lauriers infestés de cochenilles. Il vit alors les chenilles faire une énorme consommation de parasites et ce fait l’engagea à étudier leurs mœurs de très près.
Les Erastria scitula se reproduisent avec exubérance ; on peut en effet constater par an jusqu’à cinq générations successives d’adultes ; une, peu importante, vers le milieu de mai ; une moyenne vers la troisième semaine de juin ; une très abondante, vers le milieu de juillet ; une autre, également importante, fin août ; une dernière, faible, vers la fin de septembre ou les derniers jours d’octobre.
Les
papillons sont assez difficiles à apercevoir quand ils sont au repos,
car, à ce moment, ils simulent une fiente de petits passereaux : c’est
un cas de mimétisme. Le mâle ressemble beaucoup à la femelle.
Un fait curieux à noter, mais relativement assez commun chez les Lépidoptères, c’est que tous les papillons issus de cocons conservés quelques temps sous cloche, c’est-à-dire soumis à des conditions spéciales d’éclairage et d’humidité, se montrent toujours bien moins colorés que ceux capturés en liberté. L’éclosion des papillons a lieu de préférence à la fin du jour. Les mâles ne vivent qu’un jour ou deux. Les femelles vivent beaucoup plus longtemps ; elles pondent pendant plusieurs jours une centaine d’œufs chacune : les œufs sont déposés isolément et séparés les uns des autres par de vastes intervalles.
Fig. 2. –
Gravures de détails. – N°1. L’œuf après la ponte, grossi au microscope. – N°2. Larve,
au-desous : vue de profil er vue par la face dorsale. - N°3. Coque. - N°4.
Le cocon. – N°5. Trois aspects de la chrysalide. Les figures nos 2 à 5 sont
grossies à la loupe.
La mère les dissémine de préférence sur les feuilles ou sur les jeunes pousses, c’est-à-dire dans les endroits où les futures larves trouveront facilement des proies ; souvent même ces œufs sont pondus directement sur le dos des cochenilles. L’œuf, transparent, est garni au centre d’une rosace en relief et recouvert d’un réseau très élégant à mailles rectangulaires. Les jeunes larves, dès leur sortie de l’œuf, changent de peau et pénètrent dans le corps des grosses cochenilles en rongeant un point quelconque de leur bouclier dorsal. Quand la proie est complètement vidée, la petite chenille l’abandonne et se met en quête d’une nouvelle cochenille ; quand elle l’a trouvée, elle se hâte d’attaquer sa nouvelle victime et de s’introduire dans sa carapace ; cette opération ne dure que quelques minutes ; elle se trouve donc tout de suite à l’abri.
La larve de l’Erastria mène cette existence pendant une dizaine de jours. « Passé cette période, dit M. Rouzaud, et probablement après avoir subi quelques mues, ladite chenille va se dissimuler d’une manière permanente et ne peut plus se permettre, ne serait-ce que momentanément, de se montrer au dehors toute nue. On ne la trouvera plus, en effet, que complètement recouverte d’une dépouille de grosse cochenille, tapissée de soie à l’intérieur et convenablement agrandie dans son pourtour par une membrane de la même substance. À cette membrane restent toujours attachés extérieurement des excréments, des amas de fumagine ou des débris de cochenilles, destinés à colorer convenablement cette portion soyeuse de la coque et à donner à l’ensemble un aspect extérieur uniforme. Cette bordure, latérale, destinée à augmenter la capacité de l’enveloppe protectrice et à la maintenir toujours en rapport avec la taille de la larve protégée, est filée brin à brin par cette dernière ; elle s’accroit donc par additions successives. »
La larve, courte et ventrue, ne quitte jamais cette coque et l’emporte avec elle lorsqu’elle se déplace pour aller dévorer plusieurs cochenilles par jour ; c’est un mode de protection très curieux et très efficace. Adultes et larves étant protégés, l’espèce ne peut que prospérer, semble-t-il.
Dès que la chenille est arrivée à son maximum de taille, elle cherche un endroit favorable, généralement à l’aisselle de deux rameaux ou dans le creux des branches, plus souvent encore au collet de l’arbre ; là, elle commence par nettoyer très vigoureusement une surface exactement égale à celle de l’ouverture de sa coque, puis elle tapisse celle-ci de soie et la fixe au substratum. Les détritus produits par le nettoyage de l’emplacement ont été utilisés au dehors et collés aux alentours ou sur les bords antérieurs de la coque au moyen de quelques brins de soie, de telle sorte que la dissimulation du cocon est aussi parfaite que sa fixation ; il faut une grande habitude pour l’apercevoir.
Point également très curieux, la chenille a soin de préparer en un point de sa coque un orifice par où pourra sortir le papillon. Dès qu’elle a terminé son cocon, elle refoule au dehors à coups de mandibules la portion de l’ancienne coque qui se trouve placée immédiatement au-devant de la tête. La paroi refoulée cède peu à peu, s’amincit en se détendant, et l’on voit apparaître à l’extérieur du cocon une sorte de hernie que la chenille incise en y pratiquant quatre ou cinq fentes rayonnantes et qu’elle referme sommairement avec quelques brins de soie. C’est en écartant ces fentes d’un léger coup de tête que le papillon pourra sortir.
Les cocons, avec les nymphes qu’ils contiennent, se transportent très facilement ; c’est sans doute par eux et par des élevages en grand que l’on répandra les Erastria et qu’on pourra les faire servir à le destruction des cochenilles de l’olivier.
Henri Coupin. La Nature, 1er sem. 1895, p. 93-94.
Erastria (Eublemma) scitula (Noctuidé) / Cochenille noire de l'olivier Saissetia oleae (Hém. Coccidé).
[R]Les insectes de la Belle Époque
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