Nous empruntons à une revue américaine1 le
titre quelque peu bizarre de cette note. M. Arthur Harvey désigne sous le nom
de Cruel plant une asclépiadée, Physianthus
albens dont nous allons dénoncer les procédés. Nous donnons d’abord
quelques détails sur la famille de ce singulier individu. Les asclépiadées sont
caractérisées par un calice à 5 divisions, une corolle gamopétale, 5 étamines à
filets soudés par la base qui enveloppent les ovaires, au nombre de 2,
surmontés d’un style charnu, à 5 angles au sommet duquel sont suspendues 5
masses polliniques. Elles comprennent plus de 600 espèces dont un grand nombre
sont de très belles plantes grimpantes. Dans nos régions elles sont représentées
par l’Asclepias vince toxicum,
vulgairement Dompte-venin, aux fleurs d’un beau blanc et qu’on trouve, à l’été,
dans les bois humides.
Le Physianthus est une plante grimpante qui sert à garnir les tonnelles. Elle
commence à fleurir au mois d’août, vers le milieu de l’été, et elle n’est pas
plus tôt en fleurs que les insectes, attirés par son parfum, viennent en foule
la visiter (fig. 1).
Fig. 1. Fleurs de Physianthus avec les papillons qu'elles capturent.
Les innocents papillons sans défiance plongent leur trompe si délicate dans la corolle de la fleur espérant y puiser un délicieux nectar, et les imprudents se trouvent pris comme une souris dans un piège (fig. 2).
La plante, comme nous le disons plus haut, possède un ovaire double entouré par les étamines qui, dans le Physianthus, sont barbelées en scie et, d’abord molles, durcissent à l’époque de la maturité des anthères. Qu’un papillon cherche à atteindre les nectaires de la fleur, sa trompe glissant dans une rainure perfide, s’engage irrémédiablement entre les pinces qui ne lâchent plus prise.
Fig. 2. Dessins schématiques explicatifs. – 1. Coupe d’une fleur de Physianthus. – 2. Plan de la fleur. – 3. Figure montrant la dissection des « mâchoires ». – 4. Figure montrant comment la trompe du papillon se trouve prise.
Cette plante cruelle n’a pour ce meurtre d’insecte aucune
excuse. Ce papillon qu’elle prend par sa trompe et qu’elle laisse mourir de fin
ne lui profite en aucune façon, et l’on ne peut pas dire que ce soit une plante
insectivore, comme le sont, par exemple, le Drosera ou la petite Grassette de
nos prairies.
Les visites des insectes ne sont pourtant pas toujours inutiles à ces plantes
dont le pollen non pulvérulent ne se dissémine pas facilement. Tous les
insectes ne se laissent pas prendre à ce piège : quelques-uns, plus
vigoureux, peuvent s’échapper en emportant des pollinies avec lesquelles ils
iront féconder d’autres plantes et détermineront ainsi une fertilisation
croisée.
M. Charles Armstrong fait remarquer d’ailleurs que la plante acclimatée au Canada est originaire du Brésil et qu’elle est exposée aux attaques de papillons plus vigoureux et surtout d’oiseaux-mouches qui brisent la faible barrière et emportent les pollinies sur d’autres fleurs.
L’Amérique du Nord nous offrira un autre exemple d’une plante cruelle. Il s’agit d’un chardon, Cnicus discolor, qui a été étudié par M. Blatchley2 et qui possède à la face interne des écailles de l’involucre une large glande secrétant une humeur visqueuse dont certains insectes sont très friands. Le savant botaniste Gray, dans sa flore, signale ces glandes, dont la présence ou l’absence sert à la détermination des espèces, mais il ne dit rien de la substance qu’elles secrètent.
Pendant l’automne de
Le savant naturaliste trouva un jour 8 coléoptères groupés à la base d’une tête de chardon. Un seul était englué par les pattes ; mais les autres paraissaient malades comme s’ils avaient été empoisonnés par la substance dont ils s’étaient nourris. Ils étaient dans un tel état de torpeur qu’ils se laissaient prendre sans difficulté.
Les têtes de chardon qui recevaient les plus fréquentes visites des insectes étaient celles dont les fleurs étaient flétries et dont les fruits commençaient à mûrir.
Nous ne pouvons, non plus que M. Blatchley, donner d’explication au sujet de l’utilité de ces glandes. Cachées ainsi dans les écailles de l’involucre, elles ne paraissent servir à la nourriture de la plante : l’usage de ces glandes est encore inexpliqué.
La Nature
1 Canadian entomologist, décembre 1892.
2 Proceedings of
the Canadian Institute,