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Les insectes de la Belle Époque

LES  PTÉROCHROZES

C’est assurément dans l’ordre des Orthoptères que nous trouvons les insectes aux formes les plus singulières, et cependant ils ont été presque complètement négligés par les entomologistes, qui leur ont préféré les Coléoptères et les Lépidoptères, dont l’élégance des formes et des couleurs attirent tous les regards ; aussi n’est-il pas sans intérêt d’en faire connaître ici les principaux groupes. Déjà mon savant collègue M. J. Künckel d’Herculais nous a parlé des types les plus remarquables de cet ordre, les Phyllophores, les Eurycanthes et les Kéraocranes[1] ; étudions à présent plus spécialement les Ptérochrozes.
Les Ptérochrozes sont des Orthoptères appartenant à la famille des Locustiens et à la tribu des Ptérochrozides, qui habitent les contrées les plus chaudes du globe. On les trouve au Brésil, à Cayenne, à Surinam et en général dans l’Amérique équatoriale. Ce sont des insectes essentiellement sauteurs, ainsi que le prouve le grand développement de leurs pattes postérieures ; mais ils se servent fréquemment de leurs ailes. Leur vol est lourd, peu soutenu, aussi ne peuvent-ils pas entreprendre ces grandes migrations si funestes aux végétaux, comme le font certains Acridiens, notamment le Criquet voyageur, considéré, dans les pays chauds, comme le fléau de l’agriculture. Du reste, ils ne sont jamais très nombreux.
Ce qui frappe surtout, en examinant une Ptérochroze, c’est la nervation particulière et la couleur de ses élytres qui lui donne l’apparence d’une feuille sèche, lorsqu’elle est au repos, les ailes repliées. Il existe également dans une famille voisine, celles des Phasmides, des Orthoptères forts curieux, les Phyllies[2], qui ressemblent étonnamment à des feuilles, et quand ces insectes sont posés sur les arbres, le naturaliste lui-même a beaucoup de mal à les découvrir. Ne pouvons-nous pas voir, dans cette ressemblance, un nouveau moyen donné par la nature à ces faibles animaux pour se soustraire aux poursuites de leurs nombreux ennemis. Les Ptérochrozes se nourrissent  exclusivement de végétaux et se tiennent au milieu des herbes des forêts tropicales ou sur les branches des arbres. Seize espèces environ sont connues et décrites aujourd’hui. On ne rencontre l’insecte parfait qu’à la fin de l’été et en automne ; pendant les autres mois ils sont à l’état de larve et de nymphe et ne diffèrent de l’adulte que par l’absence d’ailes. Rappelons que les métamorphoses de ces insectes n’ont rien de comparable avec celles des Coléoptères et des Lépidoptères. Au moment de sa naissance, le jeune Orthoptère ressemble à ses parents et prend son accroissement définitif par une succession de changements de peau ; sa nymphe possède des rudiments d’élytres et d’ailes et conserve toute son activité.


Ptérochrozes. - Pterochroza ocellata L. (à gauche) - Pterochroza picturata Serv. (en haut) - Pterochroza pavonifolia Walk. (à droite et en bas)

Les femelles des Ptérochrozes possèdent une tarière à œufs ou oviscapte, formée de deux lames, creusées d’une gouttière. Ces lames, accolées l’une contre l’autre, sont introduite dans la terre par l’insecte et se séparent alors pour livrer passage aux œufs ; elles sont presque toujours recourbées en dessus, ce qui les fait ressembler à un sabre. Les mâles ont un organe stridulant situé à la base de leurs élytres.
Nous voyons représentée, dans la planche ci-contre, l’espèce la plus anciennement connue, la Ptérochroze ocellée (Pterochroza ocellata, L.). Son corps est brun ; ses antennes longues, multiarticulées et légèrement pubescentes. Les élytres sont opaques, rougeâtres, parsemées de taches irrégulières noires et de petits points blancs. Les ailes, transparentes et d’un blanc grisâtre, ont leurs nervures transversales brunes ; elles offrent à leur extrémité une tache ocellée d’un brun rougeâtre, circonscrite intérieurement par un large croissant noir et dont le centre présente quelques taches allongées et blanches.
La gravure nous montre aussi la Ptérochroze peinte (Pterochroza picturata, Serv.) et la Ptérochroza (Cycloptera) pavonifolia, Walk, dont le corps est verdâtre, les élytres verts, tachetés de noir et de brun et les ailes blanchâtres, ornées à leur extrémité, comme les autres espèces, d’une belle tache ocellée.

par Henri Gadeau de Kerville. La Nature, 1882 : Dixième année, premier semestre : n°444 à 469, p. 385-386.

Pterochrosa spp., Orth. Tettigoniidés.

[1] Voir La Nature, ann. 1879, 1er sem., p. 55 et 408, et 2e sem., p. 172.

[2] Voir La Nature, ann. 1874, 1er sem., p. 291.

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