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Les insectes de la Belle Époque


Rôle agronomique des Apiens pour la fécondation des fleurs.

 

 Une remarque générale d'un très-grand intérêt agricole doit précéder l'étude des caractères des Abeilles. Elles participent avec les autres Apiens à une utilité harmonique de premier ordre, et je voudrais voir des ruches disséminées dans tous les champs, non pas tant pour le profit limité que nous offre la récolte du miel et de la cire, que parce que les Apiens sont les artisans continuels et parfois les auxiliaires obligatoires d'une grande fonction végétale, la fécondation des plantes. La France tient un rang de premier ordre comme contrée agricole, et je suis certain que des encouragements efficaces à l'apiculture auraient un résultat agronomique de grande valeur en augmentant le rendement de beaucoup de nos récoltes. Il en serait de cette dépense comme de toutes celles qui se rattachent à l'instruction publique, la plus haute source de la prospérité d'un peuple, l'argent qu'on jette dans ce noble but par la fenêtre rentre par la porte accru d'intérêts considérables.

Lorsque les Apiens introduisent leur corps poilu dans les fleurs que nous cultivons, afin de récolter le pollen et le miel, ils concourent puissamment à les féconder, en apportant le pollen sur les stigmates. Il y a même des fleurs dont la fécondation serait impossible sans les Apiens, telles les Aristoloches à corolle tubuleuse renversée et pendante, les étamines se trouvent ainsi plus bas que le pistil. Un disque de nectaires à la base de la fleur attire les Hyménoptères mellifiques, qui, pour les atteindre, frottent en passant les anthères et amènent au pistil les granules prolifiques.

La fécondation des Orchidées, à pollens glutineux qui adhèrent en une masse unique, exige aussi nécessairement le même secours. Longtemps les Vanilles cultivées dans nos serres demeurèrent stériles, car nous n'avons pas l'Hyménoptère qui, au Mexique, assure leur reproduction. Des jardiniers de Hollande surent, les premiers, y suppléer par un artifice analogue, en introduisant un pinceau de coton dans la fleur, et A. Rivière ayant perfectionné cette pratique en France, les vanilles de nos serres chaudes produisent aujourd'hui leurs longues gousses délicieusement parfumées. Les vanilles, transportées à Haïti, ne donnèrent de fruits et de graines qu'après l'introduction des Abeilles dans l'île, et la culture put alors s'en répandre.

Les Apiens qui butinent dans nos campagnes et qui, dans les pays apicoles, sont formés princi palement par les Abeilles des ruches, augmentent beaucoup la production en graines des Crucifères (colza, navette, raves, choux, etc.) et des Légumineuses des prairies artificielles. On doit citer à ce sujet les expériences de M. Darwin. Vingt têtes de trèfle blanc (Trifolium repens, Linn.) visitées en toute liberté par les Abeilles lui donnèrent 2 290 graines, tandis que sur vingt têtes rendues inaccessibles aux Abeilles au moyen d'un filet plus des deux tiers ne produisirent aucune graine. De même vingt têtes de trèfle rouge (T. pratense, Linn.) lui fournirent 2 700 graines, et aucune sur vingt autres soigneusement tenues à l'abri des laborieux Hyménoptères. Le trèfle incarnat exige pour la fécondation de ses plus profondes corolles les Apiens à la plus longue trompe possible, ainsi les Bourdons plutôt encore que les Abeilles sa culture n'a donné de graines en Australie que depuis l'introduction des Abeilles, et, à la Nouvelle-Zélande, la Société d'acclimatation d'Auckland tente en ce moment l'introduction des Bourdons en vue de la reproduction de cet excellent fourrage.

Les Apiens butineurs produisent d'autre part de continuelles fécondations croisées. Ils transportent le pollen d'une fleur à une autre, et le posent d'une manière inconsciente sur le stigmate d'une fleur différente, soit de la même plante, soit d'un autre pied de la même espèce, et, pour beaucoup de végétaux, cette fécondation est plus efficace il y a comme stérilisation par consanguinité si une fleur est réduite à ses propres organes sexuels. Ainsi, dans la Pulmonaire officinale, on s'est assuré que le pollen, agissant sur l'ovaire de la fleur, ne produit aucune graine, tandis qu'il a son plein effet s'il est porté sur le stigmate d'une fleur différente, surtout d'une fleur appartenant à une autre Pulmonaire. Ces fécondations croisées par les insectes amènent fréquemment des hybridations, altèrent par exemple la qualité des Melons, si leurs couches sont voisines de cultures de Concombres, de Courges, de Potirons; on a vu par ce moyen les Primevères officinales des prairies donner naissance, après grainage, à des fleurs hybrides entre leur espèce et la Primevère des jardins plantée en bordure au voisinage de la prairie. On pourrait étendre beaucoup la liste de ces faits botaniques si propres à démontrer la grande utilité des Abeilles (1).

Il ne faut pas; d'autre part, exagérer outre mesure la fonction générale des insectes en cette matière ils ne paraissent pas nécessaires pour les réales (froment, seigle, orge, etc.), sur lesquelles, au reste, on ne voit jamais les Apiens se poser, car la fécondation de la fleur a lieu lorsqu'elle est encore sous les glumes. Quand les étamines paraissent au dehors, elles sont sèches et ont accompli leur rôle, ce qui démontrait a priori, avant l'échec expérimental, toute l'inutilité du procédé de M. Hooibrenck.

Les abeilles : organes et fonctions, éducation et produits, miel et cire (par Maurice Girard), J.-B. Baillière et fils (Paris), 296 p., 1887.


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(1) Voir sur ce sujet G. Bonnier, Du rôle des Abeilles dans la fécondation des fleurs. Rucher, Bordeaux, 1875, p. 176, 243,265. Apiculteur, Paris, 1875.


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