Miscellanées

Des vents de 100 à 200 km/h ont balayé la France les 26 et 27 décembre 1999. Des milliers d'habitants privés d'électricité, des millions d'arbres renversés ou cassés, soit environ 40 millions de mètres cubes de bois à terre... Les dégâts de ces tempêtes sont très importants et les incidences économiques et écologiques s'avèrent encore difficiles à évaluer. Dans un tel contexte, les gestionnaires de la forêt doivent mettre au point une politique de reboisement en veillant au maintien de la biodiversité. Dans les écosystèmes forestiers bouleversés, les insectes sont largement concernés certains, parmi ceux qui vivent sur les bois morts ou jetés à terre, sont particulièrement bien servis ! Mais quelles seront les conséquences sur les autres espèces, entre autres les mangeuses de feuilles, les foreuses de bois vif, les parasites ou les prédatrices ? Doit-on intervenir ou non ? Si oui, comment ? Pour faire le tour de ces questions, Insectes a ouvert ses pages aux spécialistes.

Forêts, tempête et naturalité

par Jacques Trouvilliez

Les tempêtes de décembre, véritable catastrophe humaine et économique, ont entraîné des perturbations majeures dans de nombreuses forêts. L'impact de cette catastrophe naturelle – surprenante par son ampleur géographique - sur la diversité biologique sera variable selon les espèces. Des capacités de dispersion et de résilience des espèces, des habitats encore existants, dépendra la redistribution de cette diversité que le forestier s'attache à conserver. Des études sont lancées pour suivre cette évolution.

Ces événements suscitent de nombreuses interrogations : augmentation de la fréquence de ces tempêtes, stabilité des peuplements... Les recherches entreprises permettront de répondre à la seconde question (sous réserve que la force des vents et leur parcours ne gomment toute possibilité d'interprétation). Depuis plus de dix ans, des réflexions sur la conduite des peuplements, sur la diversité biologique ou le paysage sont développées : instruction sur la biodiversité (1993), bulletin technique sur les sylvicultures (1996), recommandations paysagères sur le Morvan (1997), plan de dynamisation de la sylviculture (1998-99). De telles évolutions se traduisent sur le terrain par des mesures visant une meilleure adéquation entre peuplements forestiers et conditions écologiques locales. Le choix des essences est basé sur les typologies de stations forestières. La dynamisation de la sylviculture devrait conduire à des forêts plus claires. Ces forêts, à structure verticale plus complexe, sont et seront plus diversifiées, même avec une conduite sylvicole orientée vers quelques espèces, appelées « essences–objectif ». La régénération naturelle est favorisée partout où elle peut être acquise et si les produits issus de ce mode de reproduction d'un peuplement sont satisfaisants. En revanche, dans le cas d'un peuplement qui n'est pas adapté aux conditions du milieu, une régénération artificielle sera préférée. Les premières observations consécutives à ces tempêtes ne remettent pas en cause ces orientations. L'un des effets de ces tempêtes - dont propriétaires et gestionnaires se seraient bien passés ! - sera d'accélérer la mise en œuvre de ces orientations.

Des directives pour les insectes

En matière de conservation de l'entomofaune, plusieurs mesures sont appliquées, telle l'instruction de 1993 qui prévoit le maintien d'arbres morts ou sénescents dans tous les peuplements à raison d'au moins un arbre/ha. En outre, des "bouquets de vieillissement", groupes d'arbres d'un à trois hectares, sont laissés au-delà de l'âge d'exploitation fixé. Depuis 1998, le réseau de réserves biologiques intégrales a été relancé. Ces réserves, sans aucune exploitation, sont de véritables laboratoires d'étude de la sylvigenèse. D'une superficie minimale de 50 ha en plaine et de 100 ha en montagne, ces espaces protégés contribueront à la préservation de la diversité de l'entomofaune. Actuellement de 1 700 ha, ce réseau visant tous les types d'habitats forestiers sera porté à 5 000 ha en 2005. Une bonne répartition de ces différentes mesures dans un massif forestier devrait conduire à une amélioration du statut des insectes saproxylophages.

Dans les parcelles endommagées par la tempête, tous les bois ne seront pas sortis. Quelques gros bois seront laissés au sol. D'autre part, les trouées où la régénération ne sera pas acquise ne seront pas reboisées systématiquement, laissant apparaître ainsi des clairières de petite taille favorisant d'autres espèces.

Les conséquences immédiates de la tempête ne doivent pas occulter la question du financement durable de la politique forestière. Les attentes sociales de plus en plus diversifiées exigent des connaissances accrues, une meilleure concertation et des actions de gestion de plus en plus fines. L'ONF s'est engagé dans cette voie, mais actuellement, la principale rémunération des services offerts par la forêt est représentée par les ventes de bois. Dans un marché- où les prix de cette matière première stagnent et où le coût de la main d'œuvre augmente, on comprend aisément que le système a atteint ses limites. Si le forestier doit se protéger des fureurs d'Éole, il faudra, avec la société toute entière, aborder avec réalisme ce problème du financement pour, si possible, faire mieux et plus.

L'auteur
Jacques Trouvilliez est chef du département « Aménagement, sylvicultures et Espaces naturels » à l'Office national des forêts (ONF).

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par Henri Descimon

 
Pour ceux qui s'intéressent aux Lépidoptères, la catastrophe écologique qui frappe la forêt française et ses hôtes ne date pas de décembre 1999, mais de bien avant. Jusqu'à la fin des années 50, la plupart des forêts du domaine atlantique hébergeaient une faune riche, brillante, diversifiée. À Ozoir-la-Ferrière, à une trentaine de kilomètres de Paris, par exemple, on trouvait les deux espèces de Mars changeants, le Grand et le Petit Sylvain, le Damier du frêne, la Bacchante, Coenonympha hero, Satyrium pruni, pour ne citer que les plus caractéristiques parmi au moins une cinquantaine d'espèces qui volaient dans ce type d'écosystème. Toutes ces espèces ont disparu de presque toutes les forêts - celles où on les trouve encore peuvent se compter sur les doigts. C'est évidemment le signe d'une mauvaise gestion. Les entomologistes professionnels et amateurs n'ont pas manqué d'insister sur ce fait. Ils ne sont pas les seuls : les ornithologistes ont fait de même.

La déstabilisation du climat - due elle aussi à nos activités - semble jouer un rôle de révélateur plus évident que l'appauvrissement de la faune. Nous avons créé sans précautions des champs d'arbres, productifs mais vulnérables. Nos dirigeants semblent vouloir reconstituer les forêts détruites ; le feront-ils de manière « durable » ? Les Lépidoptères, parmi d'autres espèces bio-indicatrices, peuvent jouer un rôle dans la gestion des forêts. Nous suggérons de prendre ce fait en compte dans les procédures qui seront mises en place. Le pire serait que, sous des prétextes productivistes, la reconstitution porte le coup de grâce aux derniers éléments survivants de la faune. Dans les chablis créés par la tempête, verrons-nous les papillons revenir ? Cela nous semble douteux, car les rares populations survivantes sont bien trop isolées et dans un statut trop précaire pour être à l'origine d'un repeuplement. Si on veut voir se reconstituer des forêts spécifiquement riches et diversifiées, on ne s'en tirera pas si facilement.

Après les récentes tempêtes, l'éclaircissement de certaines forêts pourrait être favorable au développement du Petit Mars changeant (Apatura lia) dont les chenilles consomment les feuilles de Saules et de Peupliers.
(Cliché R. Coutin - OPIE)

 L'auteur
Henri Descimon est professeur au laboratoire de systématique évolutive de l'université de Provence. Ses travaux sont orientés vers la génétique et la systématique évolutive des Lépidoptères et leur application à la conservation.

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Dendroctonus micans est un scolyte ravageur sous-cortical du bois d’Epicea.
(Cliché R. Coulin - OPIE)

Les insectes profiteurs de la tempête :

du pin sur la planche pour les typographes

par Louis Michel Nageleisen et François Lieutier

Nos forêts hébergent de très nombreux insectes (plus de 10 000 espèces potentielles sur le territoire de la métropole). Au sein de cette entomofaune, les insectes xylophages* qui se nourrissent de matière ligneuse durant une période de leur cycle de développement - représentent la part la plus importante. Si quelques espèces comme la Grande Saperde du peuplier (Anaerea carcharias) colonisent des arbres sur pied dans un bon état de vigueur (on les qualifie de xylophages primaires), beaucoup d'espèces ne peuvent se développer que sur des arbres affaiblis, souffreteux, aux capacités de réactions amoindries vis-à-vis des agresseurs (ce sont les xylophages secondaires) ou sur des arbres morts (catégorie des saproxylophages).

Lors de tempêtes comme celles de la fin décembre 1999, les bois renversés ou cassés constituent des sites propices au développement et à la reproduction, dans un premier temps, des xylophages secondaires puis, dans un deuxième temps, des saproxylophages, les "cortèges" d'insectes se succédant au fur et à mesure de l'évolution des branches et des troncs' des arbres. La vitesse de colonisation par ces insectes dépend cependant de l'état physiologique des arbres. Les arbres renversés qui ont encore des racines en connexion avec le sol gardent une certaine activité au cours de la saison de végétation. Ils sont colonisés moins vite que les arbres cassés qui se dessèchent et s'altèrent rapidement. Par ailleurs, l'état physiologique des arbres endommagés par le vent se détériore plus vite dans les zones étendues de chablis que dans les zones de chablis dispersés où les arbres endommagés restent sous le couvert des sujets indemnes.

Les xylophages secondaires peuvent être divisés en deux catégories. Certains pénètrent plus ou moins profondément dans l'aubier et à l'intérieur du tronc, Par leurs galeries, ils dégradent rapidement la qualité des matériaux ligneux que le forestier compte récolter et valoriser. Appelons-les les xylophages foreurs profonds. D'autres développent uniquement sous l'écorce : ce sont les xylophages sous-corticaux. Ils dégradent peu le tronc proprement dit, mais ils
ont en général la propriété d'avoir des populations qui se multiplient très rapidement certains menacent ainsi des peuplements restés sur pied durant une ou plusieurs années après la tempête. Les saproxylophages, quant à eux, ne constituent pas un danger pour les produits forestiers. Décomposeurs du bois mort, ils jouent même un rôle important dans le fonctionnement de l'écosystème forestier en contribuant au recyclage de la matière organique végétale. Par ailleurs, leur diversité spécifique est très grande et certains sont fort rares. Ils sont un patrimoine à préserver.

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* Littéralement : qui mange du bois. Synonyme - mais à partir de racines latines - : lignivore. En fait, peu d'insectes se nourrissent vraiment de bois (comme les larves de Buprestidés) ; la plupart consomment en fait le produit de la digestion du bois par des symbiontes internes - protozoaires, flagellés des termites, bactéries des vers blancs des Scarabéidés, etc. - ou externes comme les champignons « Ambrosla » des galeries de Platypes (dont il sera question plus loin dans cet article). 

Les insectes xylophages foreurs du bois, agents de dégradation des produits forestiers

Les agents de la Piqûre noire sont des petits Coléoptères, Scolytidés et Platypodidés, qui colonisent aussi bien les feuillus que les résineux. Ils vivent en symbiose avec des champignons très spécifiques, dont les spores sont apportées dans les galeries par les adultes et qui envahissent les galeries au fur et à mesure de leur creusement. Les larves, en fait, ont un régime alimentaire mycétophage, se nourrissant des hyphes du champignon symbiotique. Les galeries qui parcourent le tronc en tous sens apparaissent tapissées de noir, d'où le nom de la « maladie ». Mentionnons le Scolyte liseré (Xyloterus lineatus) sur épicéa et sapin, dont les attaques sont à craindre dès le mois d'avril, et le Platype (Platypus cylindrus) qui vole en juin et attaque le chêne. D'autres Coléoptères comme des Cérambycidés (des genres Clytus, Tetropium...) - aux galeries de section subovale très généralement, ou des Lyméxylonidés (Hylecoetes dermestoides) - aux galeries à section circulaire - suivent les agents de la Piqûre noire au cours de l'été. Sur résineux essentiellement, des Hyménoptères Symphytes, les Sirex (Urocerus gigas, Xeris spectrum, Sirex juvencus, etc., de la famille des Siricidés) déposent leurs oeufs avec leur longue tarière lors des chaleurs estivales. Le développement larvaire dure plusieurs années dans des galeries à section circulaire très profondes. Sur essences feuillues, on rencontre aussi quelques espèces du genre Tremex (Siricidés)- ou Xipbydria (Xiphydriidés), mais elles sont beaucoup plus rares.

Cette femelle de Xyleborus dispar (Coléoptère Scolytidé) creuse une galerie à faible profondeur sous l'écorce pour y déposer ses œufs.
(Cliché R. Coutin- ()PIE)

Même si les galeries de ces insectes xylophages ne provoquent pratiquement jamais de diminution significative de la résistance mécanique du bois, leur présence entraîne une décote financière importante, surtout pour les bois de grande qualité destinés au tranchage ou au déroulage.

Les insectes sous-corticaux et les risques à moyen terme pour les peuplements sur pied

Dans cette catégorie, nous trouvons essentiellement des Coléoptères Scolytidés, les « scolytes ». Leurs attaques introduisent dans le bois des champignons provoquant un bleuissement de l'aubier qui déprécie le bois. Leur principal danger réside cependant, comme on 1'a évoqué, dans leur très fort pouvoir de multiplication : nombre d'oeufs important, deux générations annuelles chez la plupart des espèces, émission de phéromones d'agrégation par les individus pionniers, qui rend en général^- totale et massive la colonisation d'une tige... Ainsi l'abondance des sites de reproduction offerte par les chablis est la plupart du temps l'origine d'une pullulation. Si plupart des espèces ne peuvent coloniser des arbres en pleine végétation, elles sont strictement secondaires - quelques-unes, dont la plus redoutable est le Typographe de l'épicéa (Ips typographus), sont capables, lorsqu’elles pullulent, de déborder les capacités de réaction des arbres sur pied et de développer des foyers dans des peuplements restés indemnes après la tempête. Des volumes représentants de 15 à 30% du volume initial de chablis résineux ont été ainsi récoltés dans les forêts du nord-est de la France de 1991 à 1996, suite à la tempête de février 1990. Sur les pins, des attaques de Sténographe (Ips sexdentatus), d'Hylésine (Tomicus piniperda) ou d'Érodé (Orthotomicus erosus) sont à craindre à proximité des stocks de bois colonisés par les scolytes. Sur sapin, le Curvidenté (Pityokteines curvidens) et le Pissode (Pissodes piceae, Coléoptère Curculionidé) peuvent aussi provoquer des mortalités dans les peuplements.

Pour les essences feuillues, les arbres endommagés par le vent peuvent être, eux aussi, colonisées par un cortège d'insectes sous-corticaux comme les Agriles (Coléoptères Buprestidés) ou divers scolytes , les peuplements sur pied, en revanche, ne sont pas sujets aux mêmes risques que les essences résineuses.

Les années qui suivent la tempête, les conditions climatiques sont des facteurs particulièrement importants pour le développement des épidémies de scolytes sur résineux. Ainsi la sécheresse de 1989 à 1992, en accentuant le déséquilibre physiologique des peuplements fortement perturbés par la tempête de 1990 (création d'innombrables lisières, ébranlement des racines...), a été un facteur aggravant. Dans la situation actuelle, une succession d'années froides et pluvieuses limiterait sans doute les dégâts futurs.

Les mesures à mettre en œuvre pour limiter l'impact des insectes xylophages

 
En l'absence d'intervention humaine, par exemple dans des écosystèmes naturels qui ne font pas l'objet de gestion, les pullulations de scolytes sont freinées par la mise en place progressive d'un cortège déprédateurs et de parasites, par des facteurs climatiques défavorables et, surtout, par la raréfaction du matériel ligneux colonisable par les scolytes. Dans ces conditions, de très nombreux arbres meurent, des dégâts que le forestier et la société ne peuvent tolérer dans des forêts gérées, à vocation économique et sociale importante. De plus, les forestiers savent limiter ces pertes économiques dues aux insectes.

Dans le cas des agents de la Piqûre noire, des Clytes, etc. qui perforent le bois en profondeur, il s'agit d'éviter la colonisation. Dans le cas des xylophages sous-corticaux, la lutte consiste à maintenir ou à ramener le niveau de population en dessous d'un seuil épidémique, pour protéger les arbres épargnés par la tempête de leurs attaques ultérieures. Pour cela, on limite l'augmentation des populations sur les chablis eux-mêmes tout en mettant en œuvre la détection précoce des foyers dans les peuplements, de façon à enrayer l'épidémie. Les tempêtes de fin décembre 1999 ont eu une telle ampleur qu'une grande quantité de bois abattus restera très certainement en forêt durant plusieurs années. Si les interventions des forestiers permettront de les limiter, les pertes économiques sur bois renversés et les dégâts ultérieurs sur les peuplements restés sur pied ne seront donc, pas' totalement évités. Pour les insectes en général, il est certain que l'important cortège des saproxylophages tirera bénéfice de l'augmentation considérable de la nécromasse végétale que représenteront les volumes de bois mort restés en forêt. La prise de conscience récente de la raréfaction de cette catégorie d'insectes avait incité les gestionnaires des forêts publiques à laisser au moins un arbre mort par hectare (instruction nationale de l'ONF du 15 novembre 1993 sur la biodiversité). Les tempêtes de la fin décembre 1999 viennent de donner un coup de pouce important à cette mesure. Espérons que le nettoyage des parcelles forestières en vue de la reconstitution des peuplements laissera suffisamment de chandelles et d'arbres renversés pour ne pas contrecarrer cette aide naturelle.

Les auteurs
Louis Michel Nageleisen est ingénieur au Département de la Santé des Forêts. François Lieutier est professeur à l'université d'Orléans.

Sur un vieux hêtre mort dans la forêt de Fontainebleau, les fructifications ou carpophores de l'amadouvier ) persistent plusieurs années et hébergent une riche faune d’insectes dont certains comme le Coléoptère Bolitophagus reticulatus (famille des Tenebrionidae) lui sont inféodés et en voie de disparition dans certains pays.
(Cliché R. Dajoz)

Reconstruire une forêt plus naturelle et restaurer sa biodiversité^"

par Roger Dajoz

 
Les effets de la tempête sur la structure des écosystèmes forestiers et sur les peuplements animaux, en particulier sur ceux des insectes, sont nombreux. Ne peut-on pas, néanmoins, profiter de cette catastrophe naturelle pour réaliser un nouvel aménagement de la forêt qui favoriserait la restauration et le maintien de la biodiversité ? Les perturbations contribuent au maintien de l'hétérogénéité et de la biodiversité des écosystèmes. Dans la forêt, les principales perturbations sont les tempêtes, les incendies et les pullulations de certains insectes qui provoquent une mortalité importante des arbres. Les incendies, lorsqu'ils n'affectent pas des superficies considérables comme cela a lieu de nos jours dans diverses régions tropicales, favorisent l'hétérogénéité de la forêt et constituent un facteur de rajeunissement. Ces incendies assurent aussi le maintien d'une certaine biodiversité car il existe plusieurs espèces d'insectes dotées d'un grand pouvoir de dispersion qui apparaissent brusquement après le passage du feu et qui disparaissent aussi brusquement un an ou deux après. L'abondance de centaines espèces de Coléoptères réputées rarissimes dans la forêt de Fontainebleau après l'incendie de 1946 est un exemple bien connu.

Des forêts qui ne se ressemblent pas

Pour comprendre la situation actuelle il faut savoir que la « forêt primaire » telle qu'elle existait avant l'invention de l'homme n'existe pratiquement plus en Europe, et en particulier en France, sauf d quelques régions de plus en plus rares de l'Europe centrale et de la Scandinavie. L'étude des fragments qui subsistent montre que cette forêt primaire est constituée par une mosaïque de parcelles juxtaposées, de surface souvent très faible (moins d'un quant d'hectare) et de tous âges. On y rencontre un plus grand nombre d'espèces d'arbres, d'arbres très âgés dont certains sont morts ou dépérissants. La stratification verticale y est plus complexe. Les arbres pouvant atteindre 30 à^, 40 mètres de hauteur. Cette structure spatiale est due à des perturbations naturelles qui créent des clairières dans lesquelles la forêt se reconstitue peu à peu selon un processus universel qualifié de cycle sylvigénétique.

Cette structure contraste avec celle de la plupart des forêts actuelles aménagées, de plus en plus enrésinées, formées de parcelles souvent de grande surface comportant arbres de même âge appartenant à une seule espèce, et traitées par la méthode des coupes rases. À titre d'exemple, une forêt aménagée renferme 1,4 t par ha de bois mort le plus souvent sous la forme petites branches mortes tombées sol tandis que, dans une forêt ayant conservé la structure d'une forêt primaire, il peut exister plus de 6 t, bois mort souvent de forte taille (troncs tombés au sol ou chandelles).

Une tempête opportune

En éliminant beaucoup d'arbres âgés et en multipliant les chablis (arbres tombés à terre) et les chandelles (arbres cassés et morts debout) la tempête a créé des milieux favorables au développement de beaucoup d'insectes saproxyliques qui vivent dans le bois mort ou dans les cavités d'arbres. On évalue à 1 500 le nombre d'espèces de champignons et à 1 300 le nombre d'espèces de Coléoptères qui sont liées au bois mort en Europe. Beaucoup de champignons lignicoles comme l'amadouvier (Ungulina fomentaria), les pleurotes (Pleurotus sp.) ou le Polypore soufré (Polyporus sulfureus) qui se développent sur le bois mort sont en voie de raréfaction. Le champignon Dryodon coralloides qui exige des bois morts de forte taille ne subsiste plus guère que dans quelques réserves comme celles de Fontainebleau. Ces champignons offrent un milieu favorable à des centaines d'espèces d'insectes mycophages qui deviennent de plus en plus rares. C'est le cas des Coléoptères appartenant aux familles des Ciidae, Staphylinidae, Erotylidae et de certaines espèces de la famille des Tenebrionidae, comme Bolitophagus reticulatus qui se développe dans l'amadouvier et qui est en voie de disparition dans certains pays. C'est aussi le cas des Diptères de la famille des Mycetophilidae. Dans les forêts semi-naturelles de Norvège, il subsiste 70 espèces de cette famille, contre 36 espèces seulement dans les forêts aménagées. Les insectes saprophytes qui ont des exigences strictes en ce qui concerne les milieux où ils se développent et qui disparaissent des forêts aménagées ne subsistent que dans certaines forêts qui sont restées plus ou moins « naturelles ». Ces espèces qualifiées d'indicateurs de continuité forestière dans le temps appartiennent à diverses familles comme les Coléoptères Elateridae. Au Danemark, 25 espèces saproxyliques de cette famille sont devenues très rares ou ont disparu. Les espèces « frondicoles » qui vivent dans la frondaison, sur les troncs et les branches des arbres, parmi les lichens et les algues épiphytes sont plus abondantes dans les forêts naturelles. La forêt naturelle d'épicéas du nord de la Suède renferme environ cinq fois plus d'Arthropodes « frondicoles » que les forêts aménagées, en raison de l'abondance des lichens qui offrent à cette faune refuge et nourriture. La diminution de l'abondance de ces proies dans les forêts aménagées est une des causes de la réduction des effectifs de passereaux non migrateurs dans le nord de l'Europe. Parmi les milieux nouveaux qui sont apparus après la tempête, les clairières sont favorables au développement de plantes sylvicoles aimant la lumière et d'insectes, Lépidoptères en particulier, qui vivent aux dépens de ces plantes ou qui ont besoin, pour accomplir leur cycle de développement, d'un éclairement plus intense que celui du sous-bois. Ces clairières peuvent être assimilées à des lisières forestières dont l'aménagement rationnel, pratiqué dans certains pays comme la Grande-Bretagne, permet l'installation et la survie de beaucoup d'espèces (Coléoptères Chrysomelidae et Curculionidae, Lépidoptères, Hétéroptères) qui recherchent des microclimats, thermiques et lumineux particuliers.

Le feu est une perturbation qui augmente l'hétérogénéité de l'écosystème. Ici, dans une partie de la forêt du parc de Yosemite (Californie) la régénération de la forêt, essentiellement constituée de résineux, s'est faite naturellement sans aucune intervention humaine. Les arbres brûlés ont attiré plusieurs espèces liées à ce milieu dont les Coléoptères Sericoda bogemanni, Sericoda bembidioides et Nomius pygmaeus (famille des Carabidae) ainsi que des Buprestidae du genre Melanophila.
(Cliché R. Dajoz)

Quelles leçons à tirer de la tempête ?

On sait que les écosystèmes à biodiversité élevée résistent mieux aux agressions que les écosystèmes à faible biodiversité. Or, une partie importante de la forêt française est devenue une sorte de monoculture où dominent souvent des résineux. C'est le cas de la forêt vosgienne, qui a particulièrement souffert. Il est souhaitable que la reconstitution d'une forêt plus naturelle, donc plus résistante aux perturbations de toutes sortes, se fasse en réduisant l'importance des résineux et en favorisant les feuillus, autant que possible, avec diverses espèces. Les plantations de résineux, surtout lorsqu'ils ne sont pas autochtones, sont particulièrement vulnérables. L'exemple des ravages du Scolytidae Dendroctonus micans sur l'épicéa et le sapin de Douglas est révélateur. La méthode d'exploitation par coupes rases sur de grandes surfaces est aussi à éviter car elle favorise souvent l'installation de ravageurs, par exemple en modifiant le microclimat au niveau du sol.

La tempête du mois de décembre donne l'occasion de modifier certaines pratiques forestières actuelles, de créer une sylviculture durable, respectueuse de l'environnement et du maintien de la biodiversité. Elle devrait aussi permettre de redonner vie à une discipline aujourd'hui trop négligée, celle de l'écologie des insectes. En effet, seules les espèces « nuisibles » présentant un intérêt économique sont le plus souvent étudiées.

Pour en savoir plus

Bruneau de Miré P., 1999 - L'homme et la biosphère au pays de Fontainebleau - Insectes, n°114: 35.

Dajoz R., 1996 - Précis d'écologie, 6e édition - Dunod, Paris.

Dajoz R., 1998 - Les insectes et la forêt. Rôle et diversité des insectes dans le milieu forestier - Lavoisier Tec et Doc, Paris.

GreatorexDavies J.N. et al., 1994 - The reponse of Heteroptera and Coleoptera species to shade and aspect in rides of coniferised lowland woods in Southem England - Biological Conservation, 67 : 255-273.

Nilsson S.G. & Baranowski R., 1994 - Indicators of megatree continuity. Swedish distribution of click beetles .(Coleoptera, Elateridae) dependent on hollow trees - Ent. Tidskr., 115: 81-97.

Oakland B., 1994 - Mycetophilidae (Diptera) an insect group vulnerable to forestry practices ? A comparison of clearcut managed and semi natural spruce forests in southern Norway - Biodiversity and Conservation, 3: 68-85.

Oldeman R.A.A., 1.990 - Forests . Elements of sylvology. Springer, Berlin.

L'auteur
Roger Dajoz est entomologiste au laboratoire d'Écologie du Muséum national d'histoire naturelle - 4, av. du Petit Château - 91800 Brunoy.

Expérience suisse et allemande

par Pascal Dupont

 
Un ouragan du nom de Vivian a frappé, les 26 et 28 février 1990, le centre de l'Europe et notamment le sud de l'Allemagne et l'est de la Suisse. À titre de comparaison avec ce qui s'est produit en France, en 1999, il est intéressant d'observer les conséquences secondaires de cette tempête sur les insectes et sur la faune xylophage en particulier. Il faut signaler que les principales formations forestières touchées ont été des hêtraies sapinières. En ce qui concerne la faune xylophage, on a observé une augmentation importante des populations de Scolytes en 1992 (deux ans après la tempête), puis les populations sont revenues à des niveaux raisonnables. Il en a été de même, mais dans des proportions nettement inférieures, avec les Coléoptères Cerambycidae, Buprestidae et Curculionidae. L'explosion des populations de Scolytes a été nettement plus importante dans les zones comportant de multiples chablis de petite surface. Pour les invertébrés en général, on a observé une augmentation de la diversité spécifique pour les Coléoptères carabiques, les Staphylins et les Diplopodes. La faune impliquée dans la décomposition du bois a été très favorisée par le main des arbres morts dans les chablis. Par contre, la faune floricole a été favorisée par l'enlèvement de ce bois. Sur un site expérimental en Suisse faisant l'objet d'un « suivi après tempête", on a observé l'apparition de plus de 45% de nouvelles espèces d’Hyménoptères aculéates (bourdons, abeilles) en 1992 par rapport à 1991. Cette expérience a permis de mettre en place rapidement une stratégie d'enlèvement des bois après la tempête de décembre 1999. En Suisse; l'Office fédéral de l'environnement, des forêts et des paysages (OFEFP) préconise une approche site par site en tenant compte :
- de l'état sanitaire des peuplements d'épicéa avant la tempête ;
- de la surface des peuplements d'épicéa non touchés par la tempête ;
- de la structure spatiale des chablis. Il est spécifié, d'une manière stratégique, de s'occuper d'abord de l'enlèvement des bois dans petites surfaces ;
- de la fonction de la forêt (forêt de protection, de production...) ;
- d'une évaluation de la faune et de la flore.

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