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Miscellanées

La Punaise

 Air : Époux imprudent, fils rebelle.

Rien n'est, dit-on, inutile sur terre :
Tigres, vautours, reptiles venimeux ;
Rois, médecins, famine, peste et guerre,
Sucs corrosifs, acides vénéneux,
L'Être Suprême a tout fait pour le mieux.
Mensonge amer ! Détestable fadaise,
Que l'optimiste est fou de nous conter.
De bonne foi, qui pourra me vanter
L'utilité de la punaise ?

Après avoir doté sa créature
De riches dons, d'ineffables trésors,
Après avoir de l'humaine nature
Organisé les merveilleux ressorts,
Et peint du ciel les magiques décors,
Dieu, qui parfois se permet l'antithèse,
Dans un accès de caprice brutal,
Pour nous jouer un tour original,
Nous fit cadeau de la punaise.

Lorsque Noé, voulant peupler son arche,
Eut à choisir entre mille animaux,
Par quelle erreur le digne patriarche
Déroba-t-il à la rage des eaux
L'insecte affreux, tourment de son repos ?
Le mastodonte a péri dans la glaise,
L'érudit seul peut parler du saurien ;
Grâce à Noé, le torrent diluvien
N'a pas emporté la punaise.

Alphonse dix, à bon droit nommé sage,
Disait souvent : ce monde est de travers !
Ah ! S'il m'était donné pour mon usage
De fabriquer un nouvel univers,
Que d'envieux, de lâches, de pervers
J'en exclurais!... et puis, par parenthèse,
Il ajoutait, notre auguste penseur :
Comme je crains beaucoup les maux de cœur,
J'anéantirais la punaise.

Encor, du moins, si l'équité divine
Également eût voulu repartir
À ses enfans cette horrible vermine ;
Si les mortels devaient tous en pâtir ;
Mais non : le riche a pu s'en garantir !
C'est au grabat que sa faim elle apaise :
Fléau du pauvre, effroi de l'artisan,
Elle s'arrête au seuil du courtisan ;
Lit doré n'a point de punaise.

Père Éternel, écoute la prière
Du malheureux qui t'implore à genoux !
C'est déjà trop que l'homme, en sa misère,
Même au milieu des ébats les plus doux,
Soit dévoré des puces et des poux.
L'infortuné choira dans la fournaise
Si ta bonté ne lui prête secours ;
Daigne épargner un blasphème aux amours ;
Délivre-les de la punaise !

Avril 1838
Chansons provençales et françaises, par Victor Gelu. Impr. de Senés (Marseille), 1840.

[R].


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