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LES ENNEMIS NATURELS ET INTRODUITS DES PONTES DE LYMANTRIA DISPAR AU MAROC

Claire VILLEMANT

Tenebroides maroccanus, Dermestes lardarius, Aglossa caprealis, Trogoderma versicolor, Anthrenus vladimiri, Tinea fuscipunctella, Anthrenus spp., Acrocoelia scutellaris et Aphaenogaster senilis, Akis tingitana.

De très nombreux Arthropodes peuvent être récoltés dans les pontes de Lymantria dispar. Certains sont de véritables oophages s'attaquant aux oeufs vivants du ravageur, d'autres n'ont qu'un rapport plus ou moins lâche avec ce dernier. Au Maroc, les déprédateurs des pontes jouent un rôle original et important et feront l'objet d'un exposé détaillé.

1. Les principaux types d'ennemis des pontes

La structure de la ponte conditionne beaucoup le comportement et donc l'impact des différents antagonistesde l'écophase oeuf (DE LEPINEY, 1929; 1930; HERARD 1978). Ces antagonistes n'ont pas le même type d'action et nous distinguerons des espèces "démanteleuses" qui provoquent le bouleversement d'une partie ou de la totalité de la ponte et des espèces "non-démanteleuses" qui prélèvent des oeufs dans la ponte sans entraîner sa dislocation.

D'autre part, indépendamment de leur action démanteleuse ou non, les antagonistes des pontes peuvent se diviser en 3 groupes: les "oophages vrais" qui mangent en grand nombre les oeufs vivants du ravageur, les "oophages occasionnels" qui ne dévorent que rarement des oeufs vivants et enfin les commensaux, présents dans les pontes mais ne se nourrissant jamais d'oeufs vivants.

Les particularités de la ponte du Bombyx disparate (cf. chap. III) qui influent sur le comportement de ses ennemis seront brièvement rappelées.

Les oeufs d'une femelle de L. dispar, au nombre de 400 en moyenne, sont groupés en une ponte ovale de 2 à 6 cm de grand diamètre, plaque peu épaisse et d'aspect velouté. Des poils issus de l'extrémité abdominale de la femelle lient et recouvrent les 2 à 4 couches d'oeufs sphériques de la ponte (FRAVAL et al., 1978; HERARD, 1978). Déposés en juin-juillet, les oeufs restent en place sur l'écorce des chênes-lièges jusqu'au printemps de l'année suivante. Après l'éclosion des chenilles (en mars-avril), la "vieille ponte" persiste sur l'arbre pendant parfois plus de 6 mois et sa désagrégation apparaît d'autant plus lente qu'elle contient un plus fort pourcentage d'oeufs non éclos (oeufs parasités, désséchés ou non fécondés). La consistance et la couleur des pontes est à l'origine du nom de "Spongieuse" sous lequel on désigne parfois le ravageur (BARSACQ, 1913).

1.1. Démanteleurs

Nous appelerons ainsi tous les Arthropodes qui pénètrent à l'intérieur des pontes de L. dispar et y séjournent pendant une période plus ou moins longue de leur cycle biologique. Les galeries creusées à l'intérieur d'une ponte provoquent sa dislocation totale ou partielle; adhérant de moins en moins au support, elle est èfinalement arrachée par lambeaux sous l'effet du vent ou au contact d'un animal de passage. Les oeufs dispersés sont voués à la mort: lorsqu'ils ne sont pas collectés par les fourmis ou par d'autres prédateurs, les jeunes chenilles qui en éclosent périssent faute de pouvoir gagner le substrat nourricier (FRAVAL, 1986).

Onze des 15 espèces de prédateurs que nous avons répertoriées sont des démanteleuses de pontes ce qui justifie le terme de "prédateurs-démanteleurs" attribué par FRAVAL et al. (1975) au groupe des prédateurs oophages de L. dispar au Maroc. Leur rôle dépressif sur les populations du ravageur dépend parfois plus, semble-t-il, de l'effet mécanique de démantèlement des pontes que de la prédation proprement dite.

Mais ces insectes ne sont pas les seuls à disloquer les pontes; divers autres Arthropodes pénètrent aussi dans les masses d'oeufs pour se nourrir d'oeufs non viables, de débris variés ou encore d'autres êtres vivants inféodés à la ponte. D'autres espèces encore s'enfoncent dans la masse spongieuse pour s'y nymphoser, c'est le cas surtout de plusieurs Microlépidoptères.

1.2. Oophages sensu stricto

Ils s'attaquent aux oeufs vivants de L. dispar pendant une partie ou durant la totalité de leur cycle biologique. Fréquents dans ou à proximité des pontes, ce sont:

- le parasitoïde solitaire introduit Ooencyrtus kuvanae (HOWARD) qui effectue la totalité de son développementovo-larvaire dans l'oeuf de L. dispar;

- divers prédateurs parmi lesquels beaucoup sont d'actifs démanteleurs êcomme les larves des Coléoptères Tenebroides maroccanus (REITTER), T. mauritanicus (L.), Trogoderma versicolor (CREUTZER) ou la chenille de la Pyrale Aglossa caprealis (HUBNER). Le Coléoptère Dermestes lardarius (L.), au contraire, est plutôt un prédateur efficace qu'un véritable démanteleur. Nous rattacherons aussi à ce groupe un Dermestide non encore déterminé que nous désignerons sous le non de "Dermeste de la Mamora" car ses larves sont parmi les plus fréquentes dans les pontes de L. dispar dans cette subéraie. Il s'attaque aussi bien aux oeufs vivants mais semble préférer les oeufs morts.

1.3. Ophages occasionnels

Ces espèces sont en général beaucoup plus rares dans ou sur les pontes; leur action prédatrice sur les oeufs vivants paraît accessoire par rapport à leur alimentation sur des matières animales mortes ou sur d'autres êtres vivants présents dans les pontes. La plupart sont des démanteleurs mais leur impact à ce niveau reste faible du fait de leur rareté. Ce groupe est surtout représenté par plusieurs espèces du genre Anthrenus mais aussi par la chenille de la teigne, Tinea fuscipunctella (HAWORTH), le Tenebrionide Akis bacarozzo (SCHRANK) et les fourmis Acrocoelia (Crematogaster) scutellaris (OLIVIER) et Aphaenogaster senilis disjuncta (SANTSCHI) (Myrmicinae).

1.4. Commensaux

Destructeurs occasionnels des pontes du ravageur, ils ne semblent pas se nourrir des oeufs de L. dispar mais pénètrent à l'intérieur de la masse spongieuse ou la dégradent plus ou moins, et ce, pour des raisons très diverses.

Certains sont à la recherche de proies comme le Coléoptère Malachiide Troglops sp. dont les petites larves, roses à rougeâtres, visitent les galeries tracées dans les pontes à la recherche des chenilles de diverses espèces qui sont à la base de leur alimentation. L'Ostomatide Temnochila coerulea (OLIVIER) connu comme antagonistedes insectes des denrées (LEPESME, 1944) a été parfois trouvé à proximité de pontes totalement détruites. En élevage, les adultes, mis en présence de pontes, les ont totalement disloquées peut-être à la recherche de proies éventuelles (chenilles ou larves de Coléoptères).

D'autres espèces s'enfoncent dans la ponte dont la consistance en fait un milieu particulièrement favorableau tissage d'un cocon de nymphose. Ce sont des Microlépidoptères dont les chrysalides sont parfois présentes en très grand nombre sous les écorces de chênes-lièges. Proportionnellement le nombre de celles retrouvées dans les pontes est faible.

Parmi eux, citons un Gelechiide, probablement Teleiodes squamulella (PEYER.) signalée par DE LEPINEY (1927) sur Chêne-liège et un Géometride du genre Eupithecia (MINET J., dét.).

Un autre Lépidoptère Cosmoptérigide, Coccidiphila lederiella (ZELLER) (MINET J., dét.) se nymphose aussi dans les pontes de L. dispar. Les chenilles de cette espèce, connue en Europe, en Afrique du Nord et en Asie sont considérées comme des détritivores (BALACHOWSKY, 1966). Très petites (moins de 5 mm), de couleur blanchâtre, elles pénètrent dans les masses d'oeufs vers janvier-février pour, semble-t-il, s'y nourrir d'oeufs prédatés ou de dépouilles nymphales du parasite O. kuvanae.

Des Arthropodes saprophages (Acariens, Psoques) sont assez fréquents dans les pontes déjà prédatées mais leur petite taille et leur nombre généralement réduit ne leur donnent qu'un impact insignifiant.

1.5. Destructeurs occasionnels

Des Araignées, en tissant leur nid, emprisonnent parfois une ponte de L. dispar; les mouvements de la toile et les allées et venues de l'animal finissent généralement par disloquer plus ou moins la ponte dont les oeufs restent agglomérés aux fils de soie.

Certains Vertébrés peuvent détruire de façon épisodique les pontes de L. dispar. Parmi eux, les oiseaux sont considérés dans plusieurs pays (U.S.A., Japon) comme les principaux antagonistes de l'écophase oeuf (BROWN et CAMERON, 1982a); cela ne semble pas le cas au Maroc où seul DE LEPINEY (1927) signale la prédation exercée par la Mésange bleue, Parus coeruleus ultramarinus (BONAP.); un oiseau, capturé alors qu'il picorait une ponte, avait l'estomac rempli d'oeufs du ravageur. Il n'est pas rare cependant d'observer au début de l'été des pontes présentant des traces de coups de bec qui correspondent, semble-t-il, à la capture par un oiseau d'une femelle en train de pondre.

Enfin, dans les secteurs proches des habitations humaines, les pontes de quelques troncs apparaissent presque systématiquement grattées jusqu'au liège. Il faut imputer ces dégâts au bétail qui se frotte contre les arbres mais aussi aux gens qui fréquentent la forêt.

Dans la suite de cet exposé, nous ne reparlerons plus des deux dernières catégories d'"ennemis des pontes" dont le rôle dépressif sur les populations du ravageur reste toujours insignifiant.

Quinze espèces d'oophages, démanteleurs ou non des pontes sont actuellemlent répertoriées; parmi elles, outre le parasite O. kuvanae (Encyrtidae) on compte: 11 Coléoptères (7 Dermestidae, 2 Ostomatidae, 1 Tenebrionidae et 1 espèce indéterminée), 2 Lépidoptères (Pyralidae et Tineidae) et 2 Hyménoptères Formicidae. L'inventaire (tabl. VIII) a été effectué à partir de pontes récoltées en différents points de la Mamora. Les espèces ont, pour la plupart, été retrouvées dans les autres massifs de la subéraie atlantique (Aïn-Felfel, Khemis-Sahel, Bou-Hani) ainsi que dans la région de Taza (forêt de Bab Azhar). Seul n'a jamais été rencontré en Mamora, un Coléoptère indéterminé dont les larves roses et poilues sont très semblables aux larves d'Ostomatides. Présentes en 1987 et 1988 dans les pontes provenant de Bou-Hani et de Bab Azhar, ces larves semblent capables de détruire une forte proportion d'oeufs viables.

Tableau VIII: Les antagonistes oophages de Lymantria dispar présents en subéraie de la Mamora
(1986-1987 et 1987-1989)

La colonne de droite indique les premières observations sur ponte de L. dispar au Maroc.
Les astérisques repèrent les espèces distinguées et déterminées par C. VILLEMANT, entre 1985 et 1988.

2. Ooencyrtus kuvanae (fig. 19)

Figure 19: Imago d'Ooencyrtus kuvanae et ponte de Lymantria dispar criblée par ses cheminées de sortie

Ooencyrtus kuvanae, décrit par HOWARD (1910) sous le nom de Schedius kuvanae, est un Encyrtide originaire du Japon. Parasite strict et solitaire des pontes de L. dispar, il a été introduit en Amérique du Nord en 1908 (BROWN et CAMERON, 1982b). En 1926, le parasite, offert par le Gypsy Moth Laboratory, est multiplié activement au Maroc, sous la direction de DE LEPINEY (1929). De nombreux lâchers sont réalisés entre 1926 et 1928 dans les différentes parties de l'aire de répartition du défoliateur; dès 1929 l'acclimatation de l'entomophage est considéréecomme réussie et on lui attribue la réduction des attaques de L. dispar observée alors (DE LEPINEY, 1932). Le parasite est aujourd'hui réparti sur toute la zone du Chêne-liège atlantique où il détruit jusqu'à 50% des oeufs du ravageur, mais on ne l'a jamais observé en altitude dans les stations de Chêne vert (HERARD et FRAVAL, 1980); il est également absent des subéraies du Tazzeka.

Au Maroc, O. kuvanae est le seul parasite à s'attaquer aux oeufs de L. dispar, situation originale par rapport aux pays voisins (ROMANYK, 1973; RABASSE et BABAULT, 1975). Sans concurrence, son action reste cependant insuffisante pour limiter les pullulations du ravageur (cf. chap. V).

D'autres Microhyménoptères sont parfois récoltés dans les pontes de L. dispar mais leurs relations avec le ravageur n'ont pu être établies. C'est le cas de l'Encyrtide Schedius masii (MERCET) et du Scelionide Telenomus phalaenarum (NEES) récoltés en Mamora par DE LEPINEY (1927) et déterminés par FERRIERE (1927) ainsi que des espèces indéterminées Gryon sp. et Telenomus spp. (Scelionides) signalés par HERARD et FRAVAL (1980). Un Microhyménoptère, encore indéterminé, parasite des oeufs d'A. caprealis, est assez fréquent dans les pontes de L. dispar, ces dernières années.

2.1. Biologie et comportement

O. kuvanae est une espèce polyvoltine. Le nombre de ses générations annuelles est fonction des conditions climatiques.

En subéraie de la Mamora, O. kuvanae se rencontre, si les conditions climatiques le permettent, durant toute la période de disponibilité des oeufs. Dépourvu de compétiteurs directs, il peut développer en continu de 10 à 20 générations par an. En l'absence de l'hôte principal (après éclosion des oeufs de L. dispar), O. kuvanae peut se maintenir sur des hôtes intermédiaires comme les nymphes de Cotesia melanoscela (RATZ) (Hym: Braconidae). Il devient dans ce cas hyperparasite de L. dispar mais cette action néfaste reste très limitée (CROSSMAN, 1925; WESELOH, 1983; FRAVAL, 1986b). Le parasite, capable de se développer sur des oeufs dénaturés (congelés ou séchés à l'étuve) (BENAZOUN et FRAVAL, 1983) doit pouvoir dans une certaine mesure exploiter les oeufs dont l'embryon a avorté et qui sont parfois très abondants dans les pontes (FRAVAL et al., 1978; CHAKIR et FRAVAL, 1985). Enfin cet entomophage peut pondre et se développer sur des oeufs proches de l'éclosion (SCHIEFERDECKER, 1969); il présente au printemps des larves à développement lent (2 à 2,5 mois) de sorte que les adultes de la génération suivante émergent au moment où les premières pontes de L. dispar sont déposées (HITCHCOCK, 1972).

La bionomie d' O. kuvanae a été étudiée au laboratoire. La fécondité des femelles varie de 70 à une trentaine de descendants selon les conditions climatiques estivales ou hivernales et la proportion de femelles dans la descendance en été est supérieure. La durée du développement ovo-larvaire atteint une vingtaine de jours en été et presque 1 mois en hiver. Enfin, les femelles non fécondées peuvent pondre des oeufs viables de sexe mâle (parthénogénèse arrhénotoque) (HERARD et MERCADIER, 1980; BENAZOUN et FRAVAL, 1983).

Après l'émergence en été, les adultes d'O. kuvanae se déplacent sur un même arbre et plus rarement d'un arbre à l'autre, contre le vent dominant. Ces déplacements sont plus intenses aux heures les plus chaudes de la journée. Au Maroc, le parasite semble préférer les pontes ensoleillées; par contre, la taille des pontes et l'intensité de leur démantèlement ne semble pas constituer pour lui des facteurs d'attraction particuliers. Son action apparaît cependant beaucoup plus forte sur les pontes situées dans le bas des troncs (HERARD, 1978).

Le parasitisme par O. kuvanae ne concerne en principe que la couche supérieure des oeufs (WESELOH, 1972), la femelle étant incapable de se frayer un passage dans la masse compacte de la ponte sauf si celle-ci a au préalablesubi l'action des prédateurs-démanteleurs; ces derniers modifient continuellement la conformation des pontes et le nombre d'oeufs accessibles au parasite.

Les ennemis d'O. kuvanae au Maroc sont peu nombreux et mal connus; des Araignées Salticidae sont à l'affût en été près des pontes pour capturer des adultes du parasite. Les fourmis A. scutellaris et A. senilis semblent rechercher préferentiellement les oeufs de L. dispar parasités, mais en dévorant les oeufs de la couche superficielle, elles favorisent l'accès du parasite aux couches profondes de la ponte.

2.2. Impact sur les populations de L. dispar

La multiplication d'O. kuvanae dans la nature a été étudiée par HERARD (1979). Peu nombreux à la fin de la période de ponte du ravageur, les parasites se multiplient rapidement et le nombre d'oeufs de L. dispar détruits augmente brusquement au cours du mois de septembre (de 8,5 à 13,5% en 1978). Par la suite, les conditions climatiques deviennent moins favorables et les prédateurs des pontes limitent l'activité de l'oophage en réduisant la surface des pontes et en éliminant une partie des oeufs parasités. Début décembre le taux de parasitisme peut atteindre 60 % environ des oeufs laissés en place, ces derniers représentant alors la moitié des oeufs pondus.

DE LEPINEY (1932) estimait à 20% l'impact d'O. kuvanae sur les pontes de L. dispar. Les observations réalisées chaque année entre 1975 et 1981 sur le transect ajoutées à celles plus irrégulières sur le canton A de la Mamora, ont montré que l'impact de l'oophage est variable d'une année à l'autre et d'une station à l'autre è(MAZIH, 1979; FRAVAL et al., 1980; CHAKIR et FRAVAL, 1985; RAMZI, 1987; KASSIM, 1988; VILLEMANT en cours).

Globalement, le parasitisme par O. kuvanae s'établit aux alentours de 30 % avec un maximum de 50 % durant les années de gradation (FRAVAL, 1986b). Après de fortes défoliations, la faiblesse relative du parasite est dûe à la forte proportion d'oeufs "secs" dans les pontes, conséquence de la mauvaise alimentation des parents (cf. chap. IV). L'activité des prédateurs-démanteleurs peut réduire aussi dans les proportions notables le nombre d'oeufs parasités (cf. ci-après). Le phénomène observé en 1978-1979 (CHAKIR et FRAVAL, 1985) est particulièrement net au cours de l'actuelle progradation (VILLEMANT, RAMZI, en cours) même si, dans leur ensemble, les effectifs du parasite sont élevés dans toutes les stations où les pontes du ravageur abondent (KASSIM, 1988; FRAVAL et al., 1989). En phase de latence, les rares pontes de L. dispar, cachées sous les écorces ou dans les galeries de Cerambyx cerdo (L.), ne sont pas parasitées (BASTAOUI, 1983; DAHHOU, 1984).

Dans les autres pays, l'impact d'O. kuvanae n'excède jamais 50% (SIMMONS et al., 1979; BROWN et al., 1982). En Espagne et en Italie, il subit la compétition d'un autre oophage, Anastatus disparis (RUSCHKA) (Hym. Eupelmidae) (ROMANYK, 1973; LUCIANO et PROTA, 1981b).

3. Prédateurs oophages

Le Maroc est le seul pays où les "prédateurs-démanteleurs" ont un rôle dépressif aussi important sur les populations de L. dispar. Non seulement ils dégradent les pontes mais leur action peut aussi dans une certaine mesure favoriser celle du parasite O. kuvanae en lui permettant d'accéder aux oeufs des couches profondes (QUESTIENNE et FRAVAL, 1977; HERARD, 1979). Ceci justifie l'intérêt tout particulier que l'on a porté à ces espèces depuis les premières observations de DE LEPINEY en 1927 (DE LEPINEY, 1930; DE LEPINEY et MIMEUR, 1932). Sur les 15 espèces actuellement recencées, bon nombre ont été observées depuis 1975 (FRAVAL et al., 1975) et si leur impact à fait l'objet de plusieurs études (HERARD, 1979; ZAIMI, 1979; DI-PIETRO, 1979b; KASSIM, 1988), on connaissait mal jusqu'ici ces espèces, leurs moeurs et leur rôle exact vis-à-vis des pontes de L. dispar.

3.1. Impact des prédateurs-démanteleurs sur les pontes de L. dispar

L'action des prédateurs-démanteleurs apparaît variable d'un endroit à l'autre de la subéraie mais aussi d'une génération à l'autre du ravageur.

Les pontes de la génération 1925-1926 (nord du canton A de la Mamora) étaient demeurées pour la plupart intactes; celles de la génération suivante par contre avaient perdu 90% de leurs oeufs dès l'automne. Selon les termes mêmes de DE LEPINEY (1927), les pontes détruites "paraissent avoir été brossées avec une brosse dure de sorte qu'il ne reste plus qu'une seule couche d'oeufs collés à l'arbre; quelques rares pontes seulement sont intactes". Ces dégâts furent imputés à l'action destructrice combinée des oiseaux et des insectes prédateurs. Pour DE LEPINEY (1930) les prédateurs-démanteleurs détruisent en moyenne 25% des pontes dès l'automne, 50% certaines années.

Les observations réalisées entre 1975 et 1978 dans le nord du canton B de la Mamora, sur le "transect" (cf. ann. C), montrent un démantèlement de l'ordre de 20 à 35% selon les stations. Après les fortes pullulations de 1978, la proportion d'oeufs détruits dépasse 70% en moyenne, les effectifs de pontes par station étant alors relativement faibles (CHAKIR et FRAVAL, 1985). Dans le canton A, la même année, ZAIMI (1979) observe entre 50 et 100% d'oeufs détruits selon les stations. En phase de rétrogradation de L. dispar, le taux de démantèlement des pontes diminue progressivement pour devenir pratiquement nul en période de latence (BASTAOUI, 1983). Grâce à leur polyphagie, les prédateurs des pontes n'ont cependant aucun mal à se maintenir dans le milieu, se nourissant de débris animaux divers ou d'insectes cachés sous les écorces.

En juillet 1985 où l'on trouve moins de 4 pontes pour 100 arbres dans de rares stations du "transect", 380 pontes issues d'un élevage au laboratoire sont exposées tout au long du transect. Sur les 210 pontes retrouvéesen novembre, toutes, sauf 4, sont démantelées. Les traces (crottes, exuvies larvaires) de prédateurs-démanteleurs sont manifestes dans plus de 30% d'entre-elles et une cinquantaine de larves (12 Ostomatides, 22 Anthrènes, 16 Trogodermes et 3 larves de Lépidoptères) sont ainsi récoltées (VILLEMANT, non publ.).

En 1986-1987, dans quelques 60 stations du "réseau" (cf. ann. C) dans le canton A de la Mamora où le ravageur est présent, l'impact des prédateurs-démanteleurs est assez homogène de même que leur répartition (RAMZI, 1987; VILLEMANT et al., 1989).

Entre décembre 1987 et mars 1988, les taux moyens de démantèlement dans les 10 stations les plus infestéespar L. dispar passent de 30 % à plus de 50 % avec des pics avoisinant les 80 % dans certaines stations (KASSIM, 1988). Les dénombrements en cours laissent présager des taux de destruction au moins aussi forts au cours de la génération 1988-1989 (VILLEMANT, RAMZI et KASSIM, en cours).

L'étude d'une pullulation localisée en 1986-87 au lieu-dit El Hanchat près de Kénitra montre que les forts taux de démantèlement correspondent en général à de faibles effectifs de pontes par arbre. Le démantèlement est indépendant de la taille des pontes et concerne principalement celles qui sont situées dans le bas de l'arbre (FRAVAL et al., 1989). Les mêmes constatations ont été faites en 1975 lors de la pullulation généralisée de L. dispar; HERARD (1979) observe alors des taux de prédatisme de 37% en bas des arbres contre 18% dans le haut. Cet auteur remarque que l'activité des prédateurs commence très tôt: dès la fin de la période de ponte, le nombre de pontes attaquées atteint 10%. Cette proportion s'élève à 40 % 15 jours plus tard et à 80% un mois après. La proportiond'oeufs détruits passe dans le même temps de 2 à 22% et atteint 50% au début de l'hiver.

3.2. Succession des prédateurs au cours de l'écophase oeuf

Nos observations détaillées de la faune des pontes, depuis 1987, nous permettent d'établir la chronologie suivante.

L'attaque commence avec Dermestes lardarius dont les larves dévorent préferentiellement les oeufs non embryonnés. Leur activité se limite en général aux 2 ou 3 semaines suivant la période de ponte de L. dispar. Début juillet, les larves âgées de l'Ostomatide Tenebroides mauritanicus pénètrent dans les pontes et causent de graves dégâts; non seulement elles dévorent un grand nombre d'oeufs mais leur grande taille favorise aussi une détériorationrapide des pontes qu'elles traversent de part en part. Elles quittent ces pontes à la fin de l'été et s'enfoncent dans le liège pour s'y nymphoser. L'autre Ostomatide, T. maroccanus est présent dans les pontes pendant la même période mais ses larves ont une action moins manifeste du fait de leur taille plus réduite. Les Dermestides, surtout Trogoderma versicolor et le "Dermeste de la Mamora" se rencontrent dans les pontes dès le mois de juillet mais ils vont profiter des galeries déjà forées par les Ostomatides pour coloniser progressivement un nombre plus élevé de pontes. Ce n'est qu'au cours de l'hiver et au début du printemps que l'attaque des Lépidoptères Tinea fuscipunctella et surtout Aglossa caprealis devient remarquable, les chenilles âgées de cette dernière pouvant alors chacune détruire successivement plusieurs pontes.

Les fourmis Acrocoelia scutellaris et Aphaenogaster senilis, enfin, ne s'intéressent en général qu'aux pontes fortement parasitées par O. kuvanae et leurs dégâts sont importants surtout au cours de l'été.

Ce schéma général se retrouve en Mamora dans la plupart des stations infestées par L. dispar mais l'abondancerelative des différentes espèces de prédateurs apparaît très variable d'une station à l'autre. C'est dans les secteurs, souvent les plus anthropisés, où T. mauritanicus, D. lardarius et A. caprealis sont les plus abondants ces dernières années, que les taux de démantèlement les plus élevés ont été constatés

4. Eléments de la biologie et du comportement des prédateurs des pontes de L. dispar

Les données présentées ici viennent en partie de la bibliographie et en partie de nos propres observationssur le terrain comme au laboratoire (VILLEMANT et ZEMMOURI, en cours); la bibliographie se réfère surtout aux connaissances acquises sur les insectes des denrées stockées puisque la plupart des espèces prédatrices de pontes sont mieux connues comme ravageurs de denrées. Les espèces sont présentées dans l'ordre de leur importance en tant que prédateurs des oeufs de L. dispar.

4.1. Tenebroides maroccanus (fig. 20)

T. maroccanus est sans conteste le prédateur-démanteleur le plus actif ces dernières années sur les pontes de L. dispar. Cet Ostomatide est observé pour la première fois en 1927 par DE LEPINEY qui le considère déjà comme l'un des principaux ennemis des pontes de L. dispar en Mamora. Nos observations confirment les données de DE LEPINEY (1930) sur la biologie et le comportement de ce prédateur.

Les adultes de T. maroccanus sont actifs entre mai et juillet et creusent des galeries dans le liège à la recherche de proies. Les larves attaquent les pontes dès le mois de juillet, disloquant des masses entières doeufs qui s'éparpillent au vent. A la fin de leur développement, les larves âgées s'enfoncent dans le liège souvent à la verticale de la ponte et creusent une logette nymphale à 1 ou 2 cm sous la surface.

La nymphose dure de 1 à 2 mois (août - septembre), l'imago ne quittant sa logette qu'après une période plus ou moins longue. La plupart des larves de T. maroccanus présentes dans les pontes au début de juillet sont des stades âgés, de grande taille (12 à 15 mm) et au corps rempli de réserves de graisse. Facilement reconnaissables à leur couleur blanc sale et aux 5 sclérites noirâtres de leur thorax, ces larves quittent Les pontes dès la mi-juillet et au plus tard au début d'août.

Les autres larves plus jeunes et peu nombreuses continueront à attaquer les pontes de L. dispar durant tout l'été et plus rarement durant l'hiver. Elles donneront des adultes en avril -mai.

Dès l'automne, rares sont les individus retrouvés dans les pontes mais des traces de leur passage (exuvies larvaires, crottes piriformes brun-mauve souvent en amas compacts) subsistent, surtout dans les pontes les moins démantelées, ce qui a permis d'attribuer à l'Ostomatide la destruction partielle ou totale de près de 30% des pontes récoltées à El Hanchat en hiver 1987-1988. Enfin, de très jeunes stades (2 à 3 mm) de cette espèce ont été trouvés en petit nombre dans les "vieilles pontes" de la génération 1987-1988 de L. dispar, en juin 1988.

La destruction d'une ponte de L. dispar par une larve âgée de T. maroccanus peut être extrêmement rapide. La larve lucifuge placée à proximité d'une ponte pénètre aussitôt dans l'amas de poils. Quelques heures plus tard, elle aura tracé une galerie qui traverse généralement la ponte de part en part. La dislocation de la ponte est parfois totale moins de 10 j après. Ce comportement rend T. maroccanus très efficace pour détruire une forte proportion des oeufs de L. dispar même si son activité se limite à quelques semaines voire quelques mois après la fin de la période de ponte du ravageur. Une même larve attaque souvent plusieurs pontes et, tout en dévorant les oeufs du papillon, elle continue à creuser plus ou moins le liège, de sorte que les pontes les moins démantelées ont un aspect caractéristique lorsqu'on les observe à la loupe: les oeufs dévorés sont très souvent remplis d'un amas de poils mélangés avec de la sciure de liège.

Figure 20: Tenebroides maroccanus
a: imago; b: larve; c: dégâts.

La prédation exercée sur les oeufs de L. dispar par T. maroccanus est connue également en Roumanie (NONVEILLER, 1959). Un autre Ostomatide, Tenebroides mauritanicus (L.) peut se développer aussi aux dépens des oeufs du ravageur. Quelques individus auraient été récoltés dans les pontes de L. dispar en Mamora par SAIDI (1980) et CHAKIR (1981) mais nous n'en avons pas retrouvé depuis.

La détermination systématique des 2 espèces est notée par PORTEVIN (1931). Larves et adultes sont très semblables, le seul caractère distinctif important est celui des antennes dont les articles s'élargissent progressivement vers l'apex chez l'adulte de T. mauritanicus tandis que seuls les 3 derniers articles sont bien dilatés et bien séparés les uns des autres chemaroccanus (DE LEPINEY, 1930).

Très polyphages, les larves des 2 0stomatides survivent aux dépens de diverses céréales stockées, blé notamment, mais peuvent aussi attaquer et dévorer les insectes des denrées qu'elles y rencontrent (DE LEPINEY, loc. cit., LEPESME, 1944; LEVINSON et LEVINSON, 1978). Dans la nature, on les retrouve sous les écorces de divers arbres fruitiers et forestiers où elles se nourrissent d'insectes variés (DE PEYERIMMOF, 1919; LINSLEY, 1944).

La Cadelle, T. mauritanicus, est un important ravageur de denrées dont labiologie a été bien étudiée (McCOLLOGH, 1922; COTTON, 1923; CANDURA, 1932; LEPIGRE, 195 1). En Algérie, l'espèce a un développement larvaire en 4 à 6 stades, de 2 à 15 mois selon les saisons. Les femelles pondent des centaines d'oeufs en plusieurs mois à partir d'avril et survivent pendant 1 à 2 ans.

4.2. Dermestes lardarius (fig. 21)

Parmi les Coléoptères prédateurs d'oeufs de L. dispar, D. lardarius est l'une des espèces les plus èfréquemment citées (MARTELLI et ARRU, 1956; KOTENKO, 1982; BROWN et CAMERON, 1982a; LUCIANO et PROTA, 1984). Nous ne la classerons pas parmi les prédateurs-démanteleurs car c'est aussi le seul Dermeste qui ne vit pas à l'intérieur des pontes.

Les larves très agiles se déplacent activement sur les écorces des chênes-lièges et se nourrissent de matériaux variés: débris animaux de toutes sortes, chrysalides et papillons morts de L. dispar, pontes... Très attirés par les pontes fraiches du papillon, les larves comme les adultes du Dermeste du lard dévorent avec avidité les oeufs non encore embryonnés. Nous avons même observé une larve de D. lardarius s'attquant à une ponte dont la femelle était en train de déposer les derniers oeufs.

L'action de ce prédateur se limite aux 2 à 3 semaines qui suivent la période de ponte de L. dispar. Au cours de l'hiver et surtout au début du printemps, on rencontre parfois quelques rares larves à proximité des pontes mais l'activité de l'espèce ne devient vraiment importante qu'en mai-juin lorsque larves et adultes dévorent en grand nombre chenilles et chrysalides mortes de L. dispar ou tout autre cadavre animal.

Les femelles déposent à cette époque leurs oeufs par petits paquets de 2 à 10 dans les fissures des écorces, les amas de débris retenus par les fils de soie des chrysalides de L. dispar, ou même dans les "vieilles pontes". Selon LEPESME (1944) la ponte du Dermeste du lard s'échelonne sur plusieurs mois et la femelle, qui peut vivre plus de 6 mois, dépose ainsi environ 150 oeufs. L'absorbtion d'eau liquide est indispensable (JACOB et FLEMMING, 1982). Le développement dure en moyenne 45 à 50 jours en Afrique du Nord où il y aurait jusqu'à 3 générationsannuelles (LEPIGRE, 1951). Le nombre de stades est variable (6 à 9) (HILALI et al., 1972; FLEMMING et JACOB, 1986). A la mi-juillet les larves de la 2ème génération creusent dans le liège des arbres ou dans tout autre support dur, une logette nymphale de quelques mm de diamètre. La mue imaginale a lieu en août mais les adultes ne sortent pas tout de suite de leur logette et on ignore encore leur comportement ultérieur, si ce n'est qu'ils ne semblent plus s'intéresser aux pontes de L. dispar.

Figure 21: Dermestes lardarius
a: imago; b: larve; c: dégâts (cr = crottes).

Les dégâts de ce prédateur sont très caractéristiques; la larve mais aussi plus rarement l'adulte attaquent la ponte de côté, dévorant progressivement les oeufs jusqu'au support. Ils creusent ainsi en plusieurs points, de larges excavations qui finissent par confluer. Il ne reste alors de la ponte qu'une épaisseur de coques d'oeufs vides accolées au liège. Les traces laissées par D. lardarius dans les pontes sont aisément reconnaissables,sous forme de longs chapelets de crottes de couleur jaunâtre lorsque les oeufs ne sont pas encore embryonnés,et brun-mauve par la suite. En une dizaine de jours, la larve âgée du ravageur peut détruire près des 3/4 d'une ponte de taille moyenne et il n'est pas rare d'observer plusieurs larves s'attaquant à une même ponte.

La répartition du Dermeste du lard est variable selon les stations. Il est plus abondant là où les arbres sont peu déliégés.

Les oiseaux peuvent favoriser dans une certaine mesure cette espèce qui se développe fréquemment dans leurs nids, se nourrissent de débris et d'oisillons morts (BURKARDT, 1919; WOODROFFE, 1953). Selon KOLYBIN et ZELINSKAYA (1971; in HERARD et al., 1979) les Dermestidae prédateurs oophages de L. dispar ont un impact généralementsupérieur dans les endroits secs et fréquentés par les oiseaux, les nids de ces derniers permettant la pérennité d'une population de ces Coléoptères. On les retrouve également dans les nids des chenilles processionnairesou dans les nids de guèpes où ils dévorent dépouilles et cadavres de ces insectes (HINTON, 1945).

Dans les habitations ils font de gros dégâts dans les stocks de viande et de poisson séchés mais s'attaquent aussi à diverses autres denrées d'origine animale (LEPIGRE, 1951) et aux fruits secs (DE LEPINEY et MIMEUR, 1932).

Enfin, lorsqu'elles sont en grand nombre, les larves âgées du Dermeste peuvent détruire irrémédiablement d'importants stocks de liège ou de bois tendre au moment où elles creusent leur logette de nymphose (SEURAT, 1901; EIDMAN, 1935).

4.3. Teigne cuivrée, Aglossa caprealis (fig. 22)

Découverte lors des prospections dans le nord du canton A de la forêt de la Mamora en hiver 1986, cette Pyrale Aglossa caprealis n'avait jusqu'ici jamais été signalée comme prédatrice d'oeufs de L. dispar.

Cette espèce rencontrée un peu partout dans le centre et le sud de l'Europe, en Asie, en Australie et en Amérique du Nord (BALACHOWSKY, 1966; WATT, 1965; RINNHOFER, 1975) est cependant plus fréquente en Afrique du Nord (LEPIGRE, 1951). En Europe le développement larvaire dure de août à mai mais peut se prolonger chez certains individus jusqu'en mai de l'année suivante. Le régime alimentaire de la chenille est très varié, détritiphage, ènécrophage et guanophile, elle est signalée sur une grande variété de matières organiques: cuir, carton, petits animaux morts, fientes de pigeon, etc. WATT (1965) la considère surtout comme un mycétophage.

Figure 22: Aglossa caprealis
a: papillon; b: chenille âgée; c: dégâts.

La chenille tisse une galerie de soie dans laquelle elle se tient à l'abri et d'où elle sort pour s'alimenter. Les matières attaquées sont souillées de soie et de nombreuses déjections.

En Algérie où les adultes sont fréquents dans les pièces humides des habitations (cuisines, escaliers, caves), la Teigne cuivrée, souvent trouvée dans le son, s'attaque aussi aux bouchons des bouteilles de vin pleines mais dédaigne les bouchons secs. En pénétrant dans le liège jusqu'au contact du liquide, elle provoque l'aigrissement du contenu de la bouteille (LEPIGRE, 1951).

Au Maroc où elle ne cause pas de dégâts particuliers, on la rencontre depuis les plaines et les basses montagnes atlantiques jusqu'au Moyen-Atlas et au Haut-Atlas Central. Proche de la Pyrale de la graisse, A. pinguinalis (L.), aux moeurs semblables, on la trouve dans les végétaux et le bois pourri et sous les écorces dans les galeries de xylophages (RUNGS, 1979). Nous l'avons observée à proximité ou dans les pontes de L. dispar dans tous les massifs forestiers où le défoliateur est présent (Mamora, Aïn-Felfel, Larache, Bou-Hani et Bab-Azhar).

La biologie et le cycle de développement d'A. caprealis en Afrique du Nord étaient jusqu'ici mal connus. L'espèce, que nous avons nourrie de débris organiques divers (cadavres d'insectes, chrysalides et pontes désséchées)et de pontes fraîches de L. dispar, présente en Mamora plusieurs générations qui se chevauchent tout au long de l'année. Les adultes abondants surtout de mai à juillet et en octobre-novembre, se cachent dans la journée sous les écorces de Chêne-liège où la couleur brun cuivrée de leurs ailes les rend très mimétiques avec le milieu. Les femelles pondent en quelques jours entre 200 et 300 oeufs qui sont déposés individuellement ou par petits paquets dans les anfractuosités des troncs et dans les poils des pontes de L. dispar lorsque celles-ci abondent. Petites masses ovoides blanchâtres de moins d'1 mm de long, les oeufs de la Pyrale sont facilement reconnaissables à l'aspect gaufré de leur surface ARBOGAST et VANBYRD, 1981).

L'éclosion à lieu 8 à 10 jours après la ponte en été et les minuscules chenilles blanchâtres, fortement lucifuges, s'enfoncent très rapidement dans les amas de débris ou les vieilles pontes de L. dispar situées à proximité. On les trouve aussi dans les pontes fortement parasitées par O. kuvanae où elles se nourrissent des dépouilles nymphales du parasite, mais elles sont incapables de pénétrer dans une ponte de l'année encore intacte. C'est à partir de février que les jeunes stades d'A. caprealis sont les plus nombreux dans les pontes fraîches ou anciennes de L. dispar. On les retrouve du haut en bas de l'arbre en compagnie de quelques chenilles de Coccidiphila lederiella (ZELLER) et de Tinea fuscipunctella. Ces deux dernières espèces sont très difficiles à distinguer à l'état larvaire des jeunes stades d'A. caprealis.

En grandissant les chenilles d'A. caprealis passent progressivement du gris clair au brun noir pour devenir finalement tout à fait noires, avec des reflets cuivrés, à la fin de leur développement. Ce sont les derniers stades larvaires qui s'attaquent aux oeufs de L. dispar mais on les voit rarement en train de dévorer une ponte car au moindre dérangement elles s'enfoncent dans leur fourreau de soie tissé le long des fissures du liège. Une chenille âgée de 3 cm environ peut détruire à elle seule plusieurs pontes successives si celles-ci sont situées à proximité de son fourreau.

Les dégâts d'A. caprealis sont aisément reconnaissables: la chenille attaque la ponte latéralement et la creuse progressivement. En surface celle-ci reste apparement intacte car la soie tissée par la larve retient poils et oeufs vides mais une légère pression suffit à tout affaisser.

Lorsque la ponte est totalement détruite son aspect est caractéristique: paquets de poils et oeufs vides sont retenus lâchement par des fils de soie parsemés de granules excrémentiels de couleur brun mauve. La chenille prête à se nymphoser s'enfonce sous la surface du liège ou sous les écorces, elle construit un cocon de soie en agglomérant crottes et débris de liège.

Si quelques rares pontes sont déjà attaquées par les chenilles d'A. caprealis dès la mi-juillet, c'est en automne et à la fin de l'hiver que les dégâts de la Pyrale deviennent importants et concernent, dans certaines stations, plus de 25 % des pontes encore présentes sur les troncs peu de temps avant l'éclosion des oeufs du ravageur. Parmi ces pontes, nombreuses sont celles où plus de 70 % des oeufs sont détruits.

En salle climatisée (27°C, 75% H.R. et obscurité) l'espèce achève une génération en 60 j environ. Les jeunes chenilles sont nourries de cadavres de larves nouveaux-nées de L. dispar ou encore de poudre d'insectes divers mélangée à du son. La mortalité larvaire est très forte au cours des 2 premiers stades mais ceci ne semble pas dû à l'élevage, la mortalité dans la nature à ces stades apparaissant aussi très élevée. Les larves âgées peuvent se nourrir de toutes sortes de débris d'insectes. On les rencontre souvent dans le son, où elles se ènourrissent en fait de débris animaux.

Ce nouveau prédateur de L. dispar semble intéressant à étudier. Capable de détruire un nombre relativementimportant d'oeufs du défoliateur, il n'est pas comme D. lardarius un dangereux ravageur de denrées. Favorisé, il pourrait devenir un auxiliaire intéressant dans la lutte contre L. dispar en association avec d'autres oophages comme Tenebroides mauritanicus dont l'action s'exerce à une autre époque de l'année et qui n'entre donc pas en compétition avec lui, assurant ainsi une destruction plus systématique des pontes du ravageur.

4.4. Dermeste bigarré, Trogoderma versicolor (fig. 23)

C'est la première espèce prédatrice des pontes de L. dispar a avoir été signalée et étudiée par DE LEPINEY (1927). Nous devons à cet auteur les grandes lignes du comportement et de la biologie de l'espèce en forêt de la Mamora (DE LEPINEY 1927, 1930; DE LEPINEY et MIMEUR, 1932).

Les adultes de T. versicolor, très polyphages, montrent un net chimiotropisme envers les matières en début de décomposition. Mâles et femelles, nombreux en juin-juillet, se nourrissent de débris animaux divers mais aussi du pollen de Graminées et de quelques Composées. La ponte est effectuée au sein de la matière morte mais les femelles, très attirées par les oeufs morts ou vivants de L. dispar, déposent aussi leurs oeufs dans le lacis spongieux des pontes du ravageur. L'éclosion a lieu 8 à 14 jours plus tard; les jeunes larves nées dans les pontes sont incapables d'attaquer les oeufs sains de L. dispar et ce n'est qu'au 2ème ou au 3ème stade larvaire que l'insecte pourra perforer la paroi de ces oeufs. Les larves s'enfoncent dans les pontes et y tracent des galeries sinueuses sans jamais revenir en surface de sorte que certaines pontes en apparence intactes contiennent un nombre parfois élevé d'oeufs prédatés. La plupart du temps, le vent se charge de disloquer ces pontes qui apparaissent alors complètement évidées en leur centre.

En Mamora, T. versicolor présente en général 1 génération par an, parfois 2 et rarement 3 si l'été est particulièrement chaud. On trouve dans les pontes des larves de tous âges et de toutes tailles car leur vitesse de développement est très variable selon les conditions d'alimentation. Au printemps après l'éclosion des chenilles, les larves de Trogoderme peuvent poursuivre leur développement aux dépens des oeufs morts et des oeufs parasités restant dans les vieilles pontes. De là, les larves qui n'auront pas achevé leur développement en juillet pourront gagner directement les pontes de la nouvelle génération de L. dispar.

Figure 23: Trogoderma versicolor
a: imago mâle; b: imago femelle; c: larve âgée; d: dégâts.

Pour DE LEPINEY (1927; 1930) l'espèce est nettement nécrophage, se nourrissant essentiellement des oeufs morts parfois très abondants dans les pontes de L. dispar. Au laboratoire, on n'a pas observé de nettes différencesde comportement entre les larves nourries de pontes saines et celles nourries de pontes desséchées et c'est surtout par son comportement de démanteleur que le Trogoderme a un rôle destructeur important vis-à-vis des pontes de L. dispar. Le démantèlement apparaît d'autant plus fort que la ponte abrite un nombre élevé de larves du prédateur.On trouve souvent 2, 3 et jusqu'à même 6 jeunes larves de 2 à 3 mm dans une seule ponte mais si la cohabitationpersiste la compétition favorisera une des larves qui achèvera son développement bien avant les autres.

T. versicolor est une espèce très cosmopolite, largement répandue dans les régions tempérées et subtropicalesde l'ancien et du nouveau monde. Se nourrissant essentiellement de matières animales, les larves peuvent s'attaquer aussi à diverses denrées d'origine végétale, (NORRIS, 1936; LEPESME, 1944; HINTON, 1945; LEPIGRE, 1951). Elevée au laboratoire sur des denrées diverses, c'est sur pollen que la durée du développement est la plus courte (1,5 mois à 25°C, 75% H.R.). Les individus passent en général par 5 ou 6 stades larvaires mais pour certains d'entre eux le cycle se prolonge et le nombre de stades augmente. Ces retards de développement, manifesteschez les individus privés de nourriture, n'ont pas toujours de causes évidentes même s'ils dépendent parfoisnettement de la qualité de la nourriture (VILLEMANT, ZEMMOURI, en cours). Le phénomène est connu depuis longtemps chez de nombreux Dermestides (HINTON, loc. cit.). Les larves à développement lent donnent des adultes tout au long de l'année, de sorte que plusieurs générations peuvent se chevaucher dans la nature.

Outre en Mamora, FRAVAL et HERARD (1975) ont signalé cette espèce dans les massifs forestiers de Larache, Aïn-Felfel et à Aït-M'hamed mais ne l'ont pas rencontrée dans le Jbel Tazzeka ni dans le massif de Chaouen. Nous l'avons trouvée dans la forêt de Bab Azhar près de Taza mais elle y est plus rare qu'à Bou-Hani et surtout qu'en Mamora. C'est dans cette subéraie, semble-t-il, que T. versicolor est le plus abondant et le plus actif dans son rôle destructeur des pontes de L. dispar.

Remarquons pour finir que cette espèce n'est pas recensée parmi les antagonistes de L. dispar dans les autres pays méditerranéens, à l'exception du Portugal (AZEVEDO E SILVA, 1959).

4.5. Le Dermeste de la Mamora (fig. 24)

Cette espèce est en cours de détermination. [Sa description a été publiée depuis : il s'agit d'Anthrenus vladimiri Menier et Villemant] L'aspect général de la larve comme la présence d'écailles sur les élytres de l'adulte la rapprochent des Anthrenus, mais un ensemble de caractères l'en écarte, notamment:

- la forme générale du corps en bâtonnet plus allongé et à bords plus parallèles que chez Anthrenus spp.

- le prothorax bombé est élargi en avant chez la femelle et cache en grande partie la tête; il est plus triangulaire chez le mâle. Chez les Anthrenus spp. les sexes sont pratiquement identiques).

- les antennes de 6 articles dont la massue antennaire, de taille plus réduite chez la femelle, est très développée chez le mâle; de forme ovale allongée, elle est nettement aplatie.

Figure 24: le Dermeste de la Mamora
a: imago mâle (vues dorsale et ventrale); b: imago femelle (id.); c: larve; d: dégâts.

Cette espèce, retrouvée dans les collections de ZAIMI (1979), est probablement celle dont parle DE LEPINEY (1928b) en ces termes: "autre espèce de Dermestide dont la larve couverte de poils noirs n'atteint jamais les dimensions de celle de T. versicolor et donne un imago également moins gros. Au moindre contact cette larve dresse et étale en panache les poils de l'extrémité postérieure de son corps". En effet, nous avons maintes fois observé ce comportement caractéristique dans nos élevages.

DE LEPINEY (loc. cit.) remarque que le comportement trophique de ce Dermestide dans les pontes de L. dispar est très comparable à celui de T. versicolor et que les dégâts qu'il produit sont sont du même ordre.

Le "Dermeste de la Mamora" est certainement l'espèce la plus fréquente ces dernières années dans les pontes de L. dispar en Mamora. Il existe aussi dans la région de Larache mais n'a pas été récolté près de Taza. Sauf les plus jeunes stades larvaires, il peut comme le Trogoderme attaquer des oeufs vivants mais semble nettement préférer les oeufs morts. Les adultes émergent fin juin-début juillet, les larves dont ils sont issus ayant achevé généralement leur développement dans les pontes déjà écloses de L. dispar. Il peut y avoir 1 ou 2 générations par an selon les conditions climatiques. En élevage (27°C et 75% H.R.) le cycle complet dure 2 mois sur pollen et comprend alors, en général, 5 à 6 stades larvaires. Les dégâts causés par cette espèce sont très semblables à ceux du Trogoderme quoiqu' apparement plus limités pour un individu donné. Mais l'abondance de l'espèce lui donne probablement une efficacité globale comparable à celle de T. versicolor.

4.6. Tinea fuscipunctella (fig. 25)

Les chenilles de la Teigne sont nuisibles par les galeries qu'elles creusent dans le liège (DE LEPINEY et MIMEUR, 1932). DE LEPINEY (1930) la considère cependant comme une espèce utile puisqu'elle peut pénétrer dans les pontes de L. dispar et provoquer leur dislocation. Abondante dans ces pontes durant l'hiver, elle s'y comporterait en saprophage en dévorant les oeufs morts ou cassés et les dépouilles des autres prédateurs. A la suite de LINSLEY (1944), nous l'avons observée dans des nids d'oiseaux.

Figure 25: Papillon de Tinea fuscipunctella

L'espèce n'est pas signalée dans les pontes par HERARD et FRAVAL en 1975 alors qu'elle semble avoir été récoltée en grand nombre par ZAIMI en 1979. Retrouvée également par CHAKIR (1981), elle est très peu représentée dans les pontes des générations 1986-1987 et 1987-1988 (RAMZI, 1987; KASSIM, 1988), alors qu'elle est relativement abondante dans quelques stations proches de Kénitra en 1988-1989.

Les larves de T. fuscipunctella, de couleur blanc-rosâtre, sont difficiles à distinguer des jeunes stades d'A. caprealis ou des chenilles du microlépidoptère Coccidiphila lederiella. En élevage, ces chenilles ont détruit des pontes saines de L. dispar, mais leur impact effectif sur le défoliateur reste encore difficile à évaluer. T. fuscipunctella n'est signalée dans aucun autre pays.

4.7. Les Anthrènes, Anthrenus spp. (fig. 26)

Les larves de 4 espèces d'Anthrènes, Anthrenus sp. (fig. 26a et b), A. verbasci (L.) (fig. 26c), A. minutus (ERICHSON) (fig. 26d) et A. pimpinellae (F.) ont été récoltées, beaucoup plus rarement que les autres Dermestides déjà cités, dans les pontes de L. dispar. Elles y provoquent les mêmes types de dégâts mais leur petit nombre ne leur permet pas d'avoir un rôle limitatif réel sur les populations du ravageur.

Figure 26: Anthrènes
a: Anthrenus sp., forme rousse (Taza); b: id., forme noire (Mamora); c: larve; d: A. verbasci à l'émergence; e: id., plus âgé; f: larve; g: A. minutus; h: larve; i et j: dégâts (non spécifiques).

Parmi elles, A. verbasci est recensée dans de nombreux pays comme antagonistes des oeufs de L. dispar. Elle est retrouvée notamment avec A. minutus au Portugal (AZEVEDO E SILVA, 1959). Anthrenus sp., très proche morphologiquement d'A. verbasci et probablement jusqu'ici confondue avec elle, est l'espèce prédatrice de pontes la plus fréquemment rencontrée dans les principaux massifs forestiers prospectés. A. pimpinellae n'a jamais été ècitée par d'autres auteurs mais cette espèce a toujours été extrémement rare et apparaît plus comme un nécrophage que comme un véritable prédateur. Au laboratoire tous ces Anthrènes attaquent aussi bien les pontes fraîches que les pontes desséchées de L. dispar. On les élève aussi sur pollen et sur divers produits animaux (VILLEMANT ET ZEMMOURI, en cours).

Les Anthrènes sont d'importants ravageurs des denrées stockées qui se nourrissent d'un très grand nombre de matières d'origine animale; A. verbasci s'attaque également aux céréales et à différentes denrées d'origine végétale. Dans la nature on retrouve les larves dans des nids de guèpes, d'araignées ou d'oiseaux. Les adultes sont floricoles; on les observe fréquemment dans les fleurs de Scrofulariacées, de Composées et d'Ombellifères (LEPESME, 1944; LINSLEY, 1944; HINTON, 1945; LEPIGRE, 1951; WOODROFFE et SOUTHGATE, 1961; SOMMERFIELD et al., 1980). Au mois de mai, on peut récolter en grand nombre les adultes des 4 espèces sur des Ombellifères de la forêt de Témara. Dans la nature, toutes présentent une seule génération annuelle; au laboratoire (25°C, 75% H.R.), seule A. minutus a achevé son cycle en 6 mois, sur pollen. L'émergence des imagos a lieu au printemps entre fin mars et fin mai sauf pour A. pimpinellae dont les adultes passent la période hivernale en vie ralentie.

Les larves d'Anthrènes sont aussi souvent rencontrées, entre mai et juin, dans les vieilles pontes écloses de L. dispar que par la suite dans les pontes de la nouvelle génération. Tout au long de l'année on peut les trouver également dans les débris divers qui s'accumulent sous les écorces du Chêne-liège.

Des spécimens (non déterminés) des 4 espèces avaient été récoltés par ZAIMI en 1979. Seul A. verbasci a été cité parmi les prédateurs de L. dispar au Maroc (DE LEPINEY, 1930; FRAVAL et HERARD, 1975; HERARD et FRAVAL, 1980).

4.8. Les fourmis Acrocoelia scutellaris et Aphaenogaster senilis (fig. 27)

Le rôle de A. scutellaris sur les pontes de L. dispar a été très controversé. Dans les élevages réalisés par BELARBI (1979) et par ZAIMI (1979) la fourmi n'a jamais montré de comportement prédateur vis-à-vis des pontes du ravageur. Cependant divers observateurs (ZAIMI, 1979; DI-PIETRO, 1979; RAMZI, comm. pers.) l'ont vue prélever des oeufs dans les pontes de L. dispar. D'autres fourmis, dont une espèce du même genre, sont citées aux Etats-Unis dans la liste des prédateurs oophages de L. dispar (BROWN et CAMERON, 1982a).

Figure 27: Fourmis
a: Acrocoelia scutellaris; b: Aphaenogaster senilis.

En fait, les ouvrières d'A. scutellaris ne s'attaquent pas aux pontes saines mais aux pontes parasitées ou prédatées dont elles arrachent alors les oeufs un à un. Il semble donc que ce soit la présence d'oeufs plus ou moins détériorés qui les attirent vers les pontes de L. dispar. Nous avons également remarqué que certaines pontes situées à proximité des orifices de la fourmilière sont systématiquement détruites par les allées-et-venues des ouvrières.

La fourmi du liège est présente dans toutes les subéraies du Bassin Méditerranéen ainsi qu'en Amérique du Nord (SEURAT, 1901). Au Maroc, l'espèce est très nuisible au liège et pourrait détruire jusqu'à 50 % des récoltes de liège. On la rencontre en Mamora sur la quasi totalité des arbres. Son régime alimentaire est très varié quoiqu'essentiellement insectivore (BELARBI, 1979).

Aphaenogaster senilis, moins fréquente, présente le même type de comportement que A. scutellaris vis-à-vis des pontes de L. dispar parasitées.

En se nourrissant de chenilles et surtout de chrysalides molles, ces fourmis participent plus que par la prédation exercée sur les oeufs, à la limitation des effectifs de L. dispar (BELARBI, 1979; KASSIM, 1988) (cf. Ann. A2).

4.9. Akis tingitana (fig. 28)

Ce Ténébrionide a été signalé pour la première fois comme prédateur des pontes de L. dispar par HERARD et FRAVAL (1980) sous le nom d'Akis bacarozzo (SCHRANK). Facilement reconnaissables à leur carapace noire et épineuse, les adultes d'A. tingitana (LUC.) sont fréquents une grande partie de l'année dans la litière et sous les écorces de Chêne-liège, mais ce n'est qu'à la fin de l'été que l'on peut voir certains d'entre eux s'attaquer aux pontes du défoliateur.

Figure 28: Akis tingitana

Le comportement prédateur du Ténébrionide est facilement observé au laboratoire. Maintenus en automne sur des écorces portant des pontes de L. dispar, on les voit décaper peu à peu ces pontes ne laissant subsister que quelques coques vides accolées au support. En une semaine à température ambiante un adulte peut détruire totalement une ponte. Mais ce comportement apparaît très limité dans le temps; sur 30 pontes de taille moyenne fournies èà 5 adultes d'A. tingitana pendant 3 mois, 8 ont été totalement décapées, 18 détruites au moins à moitié et 4 sont pratiquement intactes. Parmi les amas de débris trouvés au fond de la boîte, un tiers des oeufs de L. dispar sont encore intacts. Les crottes très abondantes contiennent pour la plupart poils et débris d'oeufs du défoliateur,d'autres contiennent des débris végétaux, ce Ténébrionide dévorant aussi les feuilles de Chêne-liège désséchéesde la litière. Ils peuvent également se comporter en nécrophages, consommant chenilles et chrysalides mortes ou mourantes de L. dispar (HERARD et FRAVAL, 1980).5.


5. Conclusions

A partir de ce tour d'horizon des ennemis des pontes de L. dispar nous pouvons faire plusieurs remarques:

Par sa grande diversité spécifique, le cortège des prédateurs oophages de L. dispar au Maroc n'a d'équivalents qu'en Yougoslavie (NONVEILLER, 1959) et au Portugal (AZEVEDO E SILVA, 1959). C'est avec ce dernier pays que le nombre d'espèces communes est le plus grand: 4 prédateurs des oeufs (D. lardarius, T. versicolor, A. verbasci et A. minutus) auxquels s'ajoutent deux prédateurs larvaires, Scarites occidentalis (BEDEL) et Calosoma sycophanta (L.) (Col. Carabidae) sont communs aux 2 pays. Parmi eux, 2 espèces, (T. versicolor et A. minutus) ne sont signalées nulle part ailleurs dans le Monde en tant qu'ennemis du ravageur. Pour expliquer l'originalité de ces deux pays par rapport à l'ensemble de la région circum-méditerranéenne, HERARD et FRAVAL (1980) invoquent leur situation analogue vis-à-vis de l'influence simultanée de la Méditerranée et de l'Océan Atlantique.

La diversité du complexe des antagonistes de L. dispar au Maroc ne fait que s'accroître au cours des années. Ainsi, depuis DE LEPINEY (1930) le nombre des Dermestides oophages est passé de 3 à 7 espèces, T. mauritanicus n'est devenue réellement abondante que dans les années 80 et le dernier "nouveau prédateur" en date est la Pyrale A. caprealis. Cet enrichissement progressif -et naturel- de la faune antagoniste de L. dispar est à relier au caractère récent de l'introduction du défoliateur au Maroc (GOLDSCHMIDT, 1934; HERARD et FRAVAL, 1980), attesté notamment par la très remarquable absence de tout parasite oophage autochtone.

En tant que démanteleurs de pontes, les prédateurs oophages de L. dispar au Maroc constituent un groupe unique dont l'activité n'a pas d'équivalent à travers le Monde. Si leur rôle est surtout important les années de rétrogradation, les pourcentages de destruction de pontes observés certaines années peuvent avoisiner 75% ce qui, ajouté à l'impact du parasite introduit O. kuvanae, permet une limitation remarquable des populations de L. dispar. Cette limitation apparaît insuffisante pour juguler le développement d'une gradation (FRAVAL, 1986b) (cf. chap. V); elle justifie cependant les projets de favorisation de ces antagonistes.

En Mamora, où ces espèces montrent le plus fort impact sur L. dispar, la plupart des prédateurs de pontes (au moins en ce qui concerne les espèces les plus efficaces) présentent plusieurs générations emboîtées au cours de l'année. Le climat particulièrement doux, associé aux particularités biologiques des espèces (cf. ci-dessus), est à l'origine de ce phénomène qui permet à bon nombre des oophages d'agir durant la plus grande partie de l'écophaseoeuf du défoliateur. Ceci, ajouté au fait que l'activité destructrice maximale de chaque espèce n'apparaît pas au même moment du cycle de L. dispar, explique au moins en partie la place importante qu'occupent ces oophages dans le complexe des ennemis naturels du ravageur.

Tous les prédateurs des oeufs recencés au Maroc sont des espèces très polyphages; leur régime alimentaire est fondamentalement nécrophage et/ou saprophage mais certains peuvent devenir granivores si l'occasion s'en présente. C'est le cas des Ostomatides, de T. versicolor et des différentes espèces d'Anthrènes. Seules 4 espèces peuvent manifester des moeurs réellement carnassières, il s'agit des Ostomatides, T. maroccanus et T. mauritanicus et des fourmis Acrocoelia scutellaris et Aphaenogaster senilis.

Cette très grande diversité du régime alimentaire est un facteur favorable au maintien de ces espèces dans la subéraie même en l'absence de L. dispar. Par ailleurs cela diversifie les possibilités d'interventions en vue de leur favorisation.

En Yougoslavie on a réalisé des introductions de pontes du ravageur dans les régions où celui-ci était en phase de latence. Le parasitisme accru qui en a résulté a permis semble-t-il d'éviter une gradation et 4 années après l'expérience aucune ponte n'était trouvée dans les zones ainsi traitées (MAKSIMOVIC et al., 1968; MAKSIMOVIC, 1978; MAKSIMOVIC et SIVCEV, 1980). Notre expérience d'introduction de pontes en 1985 pendant la période de latence du défoliateur en Mamora a montré que les prédateurs étaient toujours présents en abondance sur le Chêne-liège; un apport alimentaire (poudre de viande ou de poisson séchés, pollen...) pourrait favoriser leur èmultiplication active en l'absence du défoliateur.

Pour finir, remarquons que la ponte de L. dispar constitue une remarquable "microzoocénose" où la multiplicité des interactions existant entre les espèces qui la composent offre d'importantes possibilités d'études à l'écologiste. Parmi les interactions intervenant au sein de la ponte, citons notamment:

- les relations entre le parasite O. kuvanae et les prédateurs oophages. Ceux-ci peuvent se favoriser mutuellement mais les prédateurs peuvent aussi limiter les populations du parasite en détruisant une partie des oeufs déjà parasités.

- les galeries forées dans la ponte par un prédateur permettent l'entrée de diverses espèces mais la cohabitation de plusieurs espèces dans une ponte n'est pas toujours possible.

- plus généralement les espèces se succèdent dans la ponte au cours du temps, l'action de l'une favorisant ou défavorisant la suivante.

- des phénomènes de compétition intraspécifiques peuvent également être observés notamment chez Trogoderma versicolor.

- à une échelle plus vaste, les prédateurs oophages conditionnent par leur présence dans les pontes le devenir des populations de L. dispar et inversement leur multiplication dans la suberaie dépend au moins en partie de la présence du ravageur.


[R] Vers le sommaire de l'ouvrage. Vers la page Lymantria dispar.