Vers la page d'accueil d'OPIE-Insectes  


Vers le sommaire de l'ouvrage. Vers la page Lymantria dispar.

DYNAMIQUE DES POPULATIONS

A. FRAVAL

La dynamique des populations (ou démécologie) est une branche de l'écologie qui vise à décrire les fluctuations des effectifs des animaux au cours des générations successives et à comprendre les mécanismes responsablesde ces fluctuations. Par des observations et mesures répétées dans le temps et dans l'espace et par l'interprétation de tables de vie, on cherche à faire ressortir le (ou les) facteur(s)-clé(s) de façon à concentrer les efforts de recherche en vue d'une meilleure maîtrise du ravageur ou de l'animal-ressource.

Le cas de L. dispar a fait l'objet de très nombreux travaux (LEONARD, 1974; CAMPBELL et al., 1978; DOANE et McMANUS, 1981), la plupart aux U.S.A., consacrés aux ennemis naturels et importés de ce ravageur récemment introduit et -pensait-on- justiciable de la lutte biologique.

Au Maroc, l'insecte vit dans des conditions différentes et ses fluctuations d'effectifs (souvent très spectaculaires) semblent régies par un jeu particulier des influences climatiques, des entomophages, des interventionsde l'Homme et des variations qualitatives et quantitatives du Chêne-liège, Quercus suber (L.). Ces différents points seront examinés, à la suite d'une présentation succincte de ce qu'on a pu enregistrer des fluctuationsde ses effectifs. Notons que les L. dispar du Chêne vert, Quercus rotundifolia (LAMK.) appartiennent,très probablement à un écotype différent (HERARD, non publ.); ils n'ont jamais fait l'objet d'observation suivies. Aussi ne sera-t-il question, dans ce texte, que des L. dispar de la subéraie atlantique, connus surtout par des travaux en forêt de la Mamora (cf. fig. 4, chap. II) (DE LEPINEY, 1930; FRAVAL et al., 1975; FRAVAL et al., 1980; FRAVAL, 1984; CHAKIR et FRAVAL, 1985; FRAVAL, 1986b; FRAVAL et MAKHOUKH, 1988; FRAVAL et al., 1989). On leur associera les L. dispar de la subéraie de Bou-Hani (pré-Rif occidental) (HANNAK, 1986; AMMEJOUD, en cours; VILLEMANT, en cours).

1. Les fluctuations des effectifs de L. dispar

De Tanger à Mohamedia se succèdent des forêts d'aires diverses (fig. 13), restes d'un massif continu morcelé, à l'historique très mal connu (BOUDY, 1950). Les subéraies occupent des dunes consolidées et des terrains plats quaternaires. Leur aménagement date des années vingt. Ce sont des forêts-parcs, constituées de peuplements équiennes purs de Q. suber, avec un sous-bois variable; dans beaucoup d'endroits, elles montrent des signes de surexploitation et de déclin manifestes.

Figure 13: Subéraies du Maroc atlantique
Entourées d'un trait épais: subéraies où Lymantria dispar manifeste un régime cyclique. Autres subéraies: pures (grisé foncé) ou mélangées (grisé clair). Marquée d'un astérisque: la subéraie de Bou-Hani (Rif).

L. dispar est présent dans toutes ces forêts (cf. chap. I) mais les populations y évoluent selon des régimes manifestement différents. Dans certaines de ces subéraies (en blanc sur la fig. 13), les effectifs sont perpétuellement infimes. Dans les autres, par contre, on assiste à des pullulations grossièrement cycliques.

Les L. dispar des forêts de régime "latent" sont évidemment très mal connus. Tout au plus a-t-on pu noter l'impact relativement très fort des insectes parasites des chenilles. La cause du maintien en effectifs très petits de L. dispar dans ces forêts n'a pas encore reçu d'explication. MABSOUTE (1981) indique que le débourrement du Chêne-liège y est presque chaque année partiel, ce qui limite la quantité de nourriture disponible.

La description de l'évolution numérique des L. dispar des forêts de régime "cyclique", bien mieux étudiés, demeure cependant très complexe, très dépendante de l'échelle d'étude et des descripteurs utilisés.

A l'échelle du massif forestieré (env. 55 000 ha pour la Mamora, actuellement morcelée), le descripteur le plus commun est la surface "attaquée" ou "défoliée", compilée dans un tableau ou reporté sur une carte. On dispose de telles cartes annuelles pour la forêt de la Mamora depuis 1924; quelques unes ne nous sont pas parvenues, certaines (les plus récentes) sont inexactes (FRAVAL et LHALOUI, 1980). Elles constituent cependant un ensemble unique et très précieux, dont des analyses ont été tentées (FRAVAL et HERARD, 1975; QUESTIENNE, 1979). Ni l'historiquede chaque parcelle ni l'évolution de la superficie de Q. suber, diminuant par dépérissement, par "grignotage" (ZAKI, 1978) et par reboisement, et de plus se modifiant qualitativement (mortalités, coupes en délit, recépages, voire régénérations par semis, etc.) n'ont pu malheureusement être reconstitués (FARAH, 1980).

L'analyse de la série des valeurs des superficies défeuillées montre la succession de périodes où L. dispar provoque des défoliations (affectant d'une année sur l'autre des superficies fluctuantes) et de périodes, plus courtes, où aucune attaque n'est enregistrée. Phases de "gradation générale" et de "latence générale" se succèdent ainsi (fig. 14).

Figure 14: Chronologie des attaques de Lymantria dispar en forêt de la Mamora (canton A)
D'après les relevés des Eaux et Forêts. Les flèches indiquent l'absence de renseignements; les astérisques signalent de fortes attaques dans les cantons plus orientaux.

La lecture des cartes successives suggère de dessiner des "fronts d'infestation" (FRAVAL et HERARD, 1975); on remarque qu'au début de chaque gradation générale les défoliations affectent des zones très restreintes, sur la bordure ouest du massif. De là, l'infestation gagne vers l'est et se généralise. Puis s'amorce un repli vers l'ouest, les dernières manifestations de l'insecte ayant lieu en bordure ouest du massif. Les zones de départ et d'arrivée des "vagues" d'invasion apparentes fonctionnent-elles réellement comme des foyers d'où l'infestation se propagerait (grâce à des chenilles véhiculées par le vent) ou bien n'y a-t-il là qu'illusion, crée par le diachronisme des évolutions numériques des populations locales? La seconde hypothèse nous paraît capable d'expliquer la majeure partie du phénomène, sans que nous ayons élucidé les causes du retard des parcelles plus orientales.GRISON (1973) décrit -de Corse- un phénomène peu différent: la pullulation pseudo-périodique part d'un foyer bien localisé, s'étend et meurt, L. dispar disparaissant en premier dans cette zone-foyer.

En forêt de la Mamora, la gradation la plus récente a débuté en 1970-1972, dans le secteur de Taïcha (pointe occidentale de la forêt) et s'est éteinte au sud de Kénitra en 1982. Elle a confirmé la règle du va-et-vient décrite ci-dessus. De plus, nous avons pu remarquer un net synchronisme des pullulations et des "mouvements des fronts de la défoliation" semblables dans les forêts de Aïn-Felfel et de Khemis-Sahel (fig. 13), de même régime "cyclique".

Le facteur qui gouverne ces gradations générales est capable d'agir en même temps sur plusieurs forêts distantes: il ne peut être que d'ordre climatique. Ce facteur agit vraisemblablement surtout indirectement, en modifiant la qualité du feuillage offert à L. dispar. L'hypothèse d'une action directe de conditions climatiques particulières (chergui) est en cours d'examen (cf. ci-après).

A l'échelle locale, l'évolution numérique de L. dispar est connue, au moins dans ses grandes lignes, grâce à plusieurs dispositifs expérimentaux, suivis plusieurs années de suite, notamment le "Transect" et le "Réseau". Ces dispositifs, ainsi que les méthodes de dénombrement, sont sommairement décrits ci-après (cf. ann. C). Pour illustrer les fluctuations interannuelles des effectifs de L. dispar, nous avons dessiné (fig. 15) des courbes de survie simplifiées, établies pour des tronçons du transect définis a priori, suivant le parcellaire (FRAVAL et al., 1980; CHAKIR, 1983, non publ.). Elles montrent que la mortalité varie beaucoup entre lieux, générations et phases du cycle.

Figure 15: Evolution numérique schématique de Lymantria dispar: cas de la parcelle B II 7 du canton B de la forêt de la Mamora
D'après FRAVAL et al. (1980) et CHAKIR (1983, non publ.).
Les effectifs sont exprimés en milliers d'oeufs par arbre.
Au départ de la génération (oeufs pondus), le segment noir représente les oeufs non fécondés. A l'issue du stade oeuf (surface pointillée), les effectifs d'oeufs perdus du fait des prédateurs-démanteleurs, d'oeufs parasités et d'oeufs non viables sont représentés resèpectivement par des segments remplis de pointillés, d'un trait et de grisé. En noir: stade chenille. Les flèches repèrent les défoliations.

La prise en compte des dénombrements successifs des chenilles donne un description plus qualitative de l'évolution des effectifs de L. dispar le long d'une ligne de 7 km (fig. 16), dont une typologie (découpage) a posteriori a été donnée (FRAVAL et MARHOUKH, 1988), conduisant à individualiser des segments de l'ordre du km (fig. 17).

Figure 16. Evolution des effectifs de Lymantria dispar (oeufs, chenilles et femelles en train de pondre) sur un dispositif en transect (forêt de la Mamora)
Repris de FRAVAL et MAKHOUKH (1988)

Sur chacun d'eux, les L. dispar ont connu une évolution typée, alors que la situation enregistrée au départ (1976) était remarquablement homogène (en apparence?). Ces différences sont mises au compte, en première analyse, de propriétés dissemblables des Chênes-lièges (FRAVAL, 1984; FRAVAL, 1986a; CHORFI, 1987) qu'on ne sait pas expliquer.

Figure 17. Répartition spatiale (le long d'un transect) des zones homogènes du point de vue évolution numérique de Lymantria dispar
D'après FRAVAL et MAKHOUKH (1988).
La typologie est issue de l'analyse des données présentées en fig. 16. En abcisses: les stations du transect; en ordonnées: les lettres repèrent les classes de stations du transect; leur éloignement dans l'alphabet traduit approximativement leur distance dans l'espace factoriel.

L'étude d'ensembles bi-dimensionnels d'arbres contigus (FRAVAL et al., 1978; FRAVAL et al., 1989) confirmela pertinence de l'hypothèse d'une juxtaposition de "populations" d'étendues géographiques diverses de l'ordre du km, identifiables pendant la durée d'une gradation générale. Au sein de ces populations, les effectifs évoluent sous la dépendance d'une série de facteurs agissant sur les individus des écophases successives selon des modalités qu'on a, dans certains cas, explicitées et qu'on va décrire ci-après.

2. Action du facteur trophique

Les variations qualitatives et quantitatives du feuillage nourricier nous sont apparues -lors de nos travaux réalisés pendant la gradation générale 1972-1982 en Mamora- être le facteur décisif des fluctuations locales d'effectifs. Deux séries d'investigation ont été entreprises, pour éclairer le mécanisme d'action de ce facteur:
- les conséqences sur les individus de régimes qualitativement et quantitativement déficients ont été étudiés au laboratoire par HERARD (1984);
- l'évolution des effectifs de L. dispar, celle du feuillage du Chêne-liège et leurs interactions ont été décrites au moyen d'estimations et de mesures régulières le long du dispositif en transect déjà évoqué.

L'analyse du rôle du facteur trophique dans la dynamique des populations de L. dispar a été présentée dans plusieurs textes (FRAVAL, 1979; FRAVAL, 1984; FRAVAL, 1986a); nous l'exposerons ici au travers de l'étude de quelques situations trophiques (état de la nourriture et son évolution au cours de la vie larvaire de l'insecte), suivie par l'examen des réactions du Chêne-liège.

La situation optimale est celle qui se traduit par les fécondité, fertilité et survie dans l'oeuf au cours de la diapause les plus élevées. Au laboratoire, elle est créée par une alimentation quotidiennement renouveléede feuilles jeunes de Chêne-liège. En forêt, elle se rencontre notamment lorsque des pluies de printemps abondantes font débourrer l'arbre en continu et que les chenilles sont rares (ne se concurrencent pas). Les chrysalidessont lourdes ( >1,5 g) et les pontes grandes, (env. 3,5 cm de grand diamètre).

La situation de déficience quantitative est observée lorsque les chenilles ont épuisé tout le feuillage disponible, ce qui arrive au-delà du stade IV, pour de très fortes densités. La pénurie absolue est précédée d'une phase de pénurie relative où les chenilles sont sous-alimentées et s'épuisent en déplacements balisés d'un fil de soie (cf. chap. IV). Les élevages montrent que le jeûne annule la croissance et provoque une mortalité très importante;les femelles survivantes pondent des oeufs viables, en faible quantité. En forêt, les chenilles en situation de disette ont leur comportement modifié: actives jour et nuit, elles circulent, tombent des arbres, regrimpent, pour finir par mourir, s'accumulant en masse au pied des troncs. Les chrysalides survivantes, des mâles pour la plupart, sont légères. La fécondité des femelles est très réduite.

Les feuilles jeunes de Chêne-liège une fois épuisées, les chenilles consomment d'autres aliments. Feuilles anciennes de Chêne-liège (cf. ci-dessous), Doum et Poirier sauvage sont attaqués simultanément; en bordurede forêt les chenilles se portent sur les arbres fruitiers et les cultures, qui peuvent subir de graves dégâts (cf. tabl. VI).

En situation de déficience qualitative, les chenilles s'alimentent sur le feuillage ancien de Q. suber, qui est le seul disponible, pour cause de débourrement retardé ou annulé (cf. ci-dessous) ou pour cause d'épuisementdu feuillage nouveau par des chenilles trop nombreuses. Le premier cas concerne les chenilles de 1er stade; leur maintien plus d'1 semaine sur feuillage ancien provoque une mortalité très forte; les survivants supportent 2 semaines supplémentaires de ce régime, après quoi leur fécondité est altérée, ainsi que la survie embryonnaire. En forêt, nous n'avons jamais observé l'absence absolue de débourrement, sauf sur quelques arbres.

La situation de déficience qualitative (partielle) peut être suivie par l'épuisement total du feuillage, les chenilles disposant successivement de feuillage ancien, peu consommé, de feuillage nouveau, rare et très vite épuisé; de feuillage ancien lui-même consommé jusqu'à sa disparition. C'est la situation la plus défavorable; reproduite en élevage, elle se traduit par une forte mortalité des chenilles de la zone, en estivo-hivernation dans le chorion. En forêt, elle se traduit par la disparition des L. dispar à la génération suivante.

La réaction phénologique du Chêne-liège à la défoliation n'avait pas été observée auparavant. Nos observationsont mis en évidence que le débourrement printanier de Q. suber se fait selon des modalités diverses; parfois il est précédé d'une chute massive des feuilles anciennes (BOUDY, 1950), parfois il n'affecte qu'une partie de la frondaison (CAMUS, 1938); le plus souvent il ne suit aucun de ces schémas, étant généralement total et suivi de la chute des vieilles feuilles. On a remarqué que, en un même lieu, selon l'année, le débourrement pouvait être synchrone sur tous les arbres de quelques ha comme n'affecter que des arbres isolés, ou en paquets (mosaïque)... L'analyse des données recueillies sur le "Transect", tentée par CHEMAOU-EL-FIHRI (1982), poursuivie(sur 8 stations-échantillons) par FRAVAL (1986) est en voie d'achèvement (CHORFI, 1987).

Il apparaît que chaque arbre possède son comportement propre, sa "personnalité". Il se dégage cependant des règles:
- la défoliation totale du Chêne-liège par L. dispar (en mai) est presque toujours suivie, au bout de 3 à 4 semaines, d'une refeuillaison complète (en juin);
- l'année suivant la défoliation/refeuillaison, le débourrement ne se fait pas (sauf sur quelques rameaux à l'extrémité des branches) ou bien il se fait, plus ou moins complètement, mais très en retard, créant une situation de discordance phénologique;
- en l'absence de défoliation, le Chêne-liège renouvelle entièrement son feuillage au printemps.

Ainsi, le schéma-type d'une gradation locale se présente comme suit:
Les 2 premières années, les chenilles peu nombreuses disposent de feuillage favorable en quantité suffisante,d'où, entre les 2ème et 3ème générations, un très fort accroissement des effectifs: le nombre de chenillesoutrepasse alors la capacité du milieu et les arbres sont défeuillés. Les survivantes pâtissent des effets d'une mauvaise alimentation et la 4ème génération, très peu nombreuse, se trouve en présence d'un feuillage défavorable;ses effectifs sont encore réduits par les ennemis naturels (cf. ci-après).

Ce schéma, confirmé par des observations en différents lieux de la Mamora et également en subéraie rifaine (Bou-Hani), attesté même par l'examen de cas particuliers (FRAVAL, 1984) est original. Pour DE LEPINEY (1930) les ennemis naturels, mais aussi la discordance phénologique et le jeûne découlant de la surpopulation sont les facteurs principaux de la dynamique des populations de l'insecte. En Tunisie, RABASSE et BABAULT (1975), comme ROMANYK (1973) en Espagne, CABRAL (1977) au Portugal, PROTA (1976) et LUCIANO et PROTA (1981a et b) en Sardaigne, attribuent aux ennemis naturels (dont une ou plusieurs épizooties intervenant comme facteur dépendant de la densité) le rôle primordial dans la régulation, tout en reconnaissant l'importance de la discordance phénologique, mais sans en faire un facteur régulier ni très important.

Ailleurs dans le Monde, la privation de nourriture consécutive à la défoliation de la plante-hôte est rarement reconnue comme le facteur décisif du devenir des populations: citons les observations de FORBUSH et FERNALD (1896) au début de l'expansion de l'espèce aux U.S.A;, celles de divers auteurs, en Dalmatie et en Crimée, citées par SCHEDL (1936), celles de DOANE (1968) évaluant les conséquences d'un traitement. Les effets d'un jeûne limité et localisé dans le temps sont décrits par LEONARD (1970b) à partir d'élevages sur milieu artificiel: l'activité de déambulation est accrue et le nombre de stades larvaires est augmenté si la privation de nourriture est appliquée au 1er stade, réduit si elle est appliquée au début des stades ultérieurs.

De nombreux travaux ont été consacrés à l'alimentation de L. dispar et à ses relations avec ses plantes-hôtes. Les limites de la polyphagie ont été cherchées notamment par KURIR (1953): elles sont fort étendues mais cette polyphagie s'exprime plus ou moins en fonction de la diversité offerte par l'habitat. Dans les peuplements forestiers mélangés (très fréquents en Amérique du Nord), certaines associations d'essences sont plus favorables que d'autres à L. dispar et leur répartition contribue déterminer les zones sensibles; ce dernières se caractérisenten outre par la présence d'abris (BESS et al., 1947; BARBOSA, 1978a et b).

Sur une espèce végétale capable d'assurer le développement complet de l'insecte, la survie, la croissance et la reproduction dépendent du lieu d'alimentation (POTTS, 1938), de l'âge des feuilles (RIDET, 1972; HOUGH et PIMENTEL, 1978; VALENTINE, 1983; RAUPP et al., 1988), de l'intégrité des feuilles voisines (WALLNER et WALTON, 1979). L'évolution de L. dispar est également fonction de l'état physiologique de l'arbre, donc de l'âge de celui-ci, du mode de conduite de la forêt, des conditions pédoclimatiques, des actions de l'Homme. Le développement de l'insecte est plus rapide et sa survie plus probable sur du feuillage d'arbres mal venants, chétifs, abimés (VON RUDNEW, 1963; PATOCKA, 1973).

La recherche des caractéristiques physiques et chimiques des feuilles qui conditionnent leur qualité alimentaire pour L. dispar a pour motivation essentielle la construction d'une théorie générale des défenses des plantes contre leurs dépédateurs. BARBOSA et KRISCHIK (1987) en dressent l'état et, à partir des observations faites dans les peuplements mixtes de l'Ouest des U.S.A., montrent le rôle prépondérant de subsances allélochimiques spécifiques (alcaloïdes).

Particulier, semble-t-il aux L. dispar de certaines subéraies marocaines atlantiques, limité peut-être à une époque, le mécanisme que nous avons décrit, basé sur une autorégulation avec rétroaction négative (due à l'arbre),est peu fréquent chez les insectes arboricoles, à notre connaissance. L'intervention d'un tel mécanisme est soupçonnée dans les systèmes L. dispar/Quercus velutina (LAM.) et L. dispar/Betula populifera (MARSCH) par WALLNER et WALTON (1979). Elle joue un rôle important dans les 2 cas suivants:
- la défoliation de Betula pubescens (EHRH.) par la chenille de Epirrita autumnata (BKH. (Lép. Geometridae)induit la résistance de l'arbre au ravageur selon 2 mécanismes (de nature inconnue): l'un, quasi immédiat, s'oppose au développement des individus de la génération en cours, l'autre induit une réistance de longue durée (HAUKIOJA, 1982);
- Les populations de la Tordeuse du mélèze, Zeiraphera diniana (GUENEE) (Lép. Tortricidae) se développent,dans des conditions climatiques favorables, jusqu'à provoquer des modifications du feuillage, lequel devient défavorable, induisant la rétrogradation (BALTENSWEILER et al., 1977).

Des observations étendues seraient nécessaires pour affiner le schéma et préciser les conditions et les limites de son application. Il a été utilisé avec succès pour un programme de surveillance du canton A de la forêt de la Mamora (FRAVAL et LHALOUI, 1980) et doit être testé lors de la nouvelle gradation (RAMZI, en cours). Il permet d'ores et déjà de prévoir qu'un traitement phytosanitaire unique, incomplètement efficace ou appliqué sur une aire trop restreinte, en période de gradation générale, se traduira par un report de la pullulation de 2 à 3 ans.

Il reste également à étudier d'autres composantes qualitatives de l'alimentation de L. dispar, moins évidentes que la répartition du feuillage entre nouveau (favorable) et ancien (défavorable), et capables d'influer beaucoup sur les performances de l'insecte. Ceci n'est à la portée que d'une équipe pluridisciplinaire bien outillée. Le Chêne-lège est un végétal très polymorphe, qu'on serait tenté de qualifier de "capricieux"; nous n'en avons qu'une connaissance trop partielle et imprécise.

3. Les facteurs climatiques

Pour beaucoup de ravageurs, ce sont les facteurs primordiaux de la régulation des populations. Quelques auteurs ont attribué le déclenchement des gradations à des modifications du climat général. Pour WATT (1968 in LEONARD, 1974), les pullulations succèdent aux étés particulièrement chauds (aux U.S.A.). En U.R.S.S. occidentale, BENKEVICH (1972) a établi qu'une couverture neigeuse (protégeant les oeufs) déclenche la pullulation et a montré l'existence d'une relation entre les fluctuations (de période égale à 11 ans) des taches solaires et celles des effectifs de L. dispar.

De nombreux auteurs ont cherché à quantifier les relations entre les températures et la durée des stades de développement et étudié l'action du froid sur le développement de diapause. Leurs résultats ont été rapportés récemment dans DOANE et McMANUS (1981) (cf. chap. III). La résistance des oeufs de L. dispar au froid est remarquable:une température de -32,2°C n'affecte pas les oeufs protégés par la neige; exposés, ils résistent bien à -20°C (divers aut.; récapitulation dans DOANE et McMANUS, loc. cit.). Les conséquences sur les populations de L. dispar de telles ou telles conditions thermiques restent très mal évaluées.

Le climat du Maroc nord-atlantique est dominé par l'influence océanique; il est caractérisé par des divers doux (le gel est rare et la neige tout à fait exceptionnelle, ce qui exclut toute action léthale du froid) et par une saison sèche et chaude de mai à octobre, durant laquelle la température peut atteindre 40°C et l'humidité s'abaisser à moins de 50 % en cas de "chergui" (vent d'est); il tombe de 580 à 450 mm de pluie en Mamora (d'ouest en est) en 50 jours environ par an, à l'automne et au printemps. Les données météorologiques sont analysées jusqu'en 1955 (METRO et SAUVAGE, 1955; DE BEAUCORPS et al., 1956). Depuis, aucune analyse n'a été publiée à notre connaissance.

Le rôle des facteurs climatiques, dans le cas des L. dispar de la subéraie atlantique, n'apparaît pas distinctement (DI-PIETRO, 1979a). Pour préciser ce rôle, nous avons procédé à des études de plusieurs types. FARAH (1980) a recherché des liaisons statistiques entre des descripteurs (simples et composites) du climat et l'apparitionet la disparition des infestations par L. dispar. Il en ressort que les pullulations cartographiées depuis 1924 en forêt de la Mamora ne semblent pas être déclenchées par des évènements climatiques; la seule corrélation trouvée l'est avec les fluctuations de l'activité solaire (cf. ci-dessus). Ce travail mérite d'être repris avec des procédures d'analyses de données et des moyens informatiques adaptés (cf. chap. II); mais rien ne pourra pallier l'absence, ou le caractère manifestement erronné, de beaucoup de données météorologiques récentes.

Des observations au laboratoire (HERARD, non publ., SAMMAH, 1982) et en forêt (CHAKIR, 1981) ont montré èl'effet d'accidents climatiques sur le comportement de L. dispar. Une pluie interrompt les activités (déambulation,prise de nourriture) de la chenille et le résultat est très probablement identique à celui d'un jeûne de même durée. Le bilan exact reste à déterminer. Il est probable que les chenilles ratrappent une fois le feuillage sec et qu'elles profitent de la meilleure qualité de leur alimentation, amenée -entre autres- par les jeunes feuilles que l'arbre produit en continu (cf. ci-dessus).

Le chergui interrompt aussi l'activité des chenilles (BONNET et SAMMAH, 1982, non publ.). Son effet sur les chrysalides, les adultes, les oeufs en cours de développement embryonnaire, semble beaucoup plus important qu'il n'a été jusque là soupçonné, selon les résultats des investigations (mesure des effets de hautes températuresappliquées au laboratoire) de BOUR (en cours). Le chergui, aux effets débilitants et létaux incontestables, est un élément qui survient de façon aléatoire et affecte les populations du Bombyx disparate selon un schéma complexe; nous formulons l'hypothèse qu'une sélection des victimes (individus et populations) est opérée par l'habitat d'une part, lequel offre plus ou moins d'abris, de qualités variées et par la chronologie des individus d'autre part (les phases du développement sont plus ou moins sensibles et plus ou moins abritées).

Le vent est le véhicule de la dispersion de l'espèce. Comme nous l'avons vu plus haut, les comportements de dispersion des chenilles sont liés à leur densité et à leur alimentation. Le vent n'intervient que dans des limites étroites de vitesse (de 1 à 3 m/s); son rôle général et la portée des remaniements qu'il provoque demeurentmal compris. Dans le cas particulier des lisières (et des crêtes), il a été établi qu'en débarassant les arbres de la plupart des chenilles, il créait de bonnes conditions pour celles demeurées sur place et leur assuraitla survie et de bonnes performances de reproduction, les chenilles de l'intérieur de la forêt (comme celles des creux) périssant de famine (FRAVAL et BENLAHBOUB-JAZOULI, 1984).

Le climat agit manifestement de façon indirecte sur L. dispar par l'intermédiaire du Chêne-liège dont il gouverne la vigueur et détermine la survie. Nous avons évoqué les débourrements prolongés de printemps en cas de pluie. A l'inverse, une sécheresse grave -telle celle des années 1981 et sqq.- a d'une part provoqué la chute prématurée du feuillage des arbres dans certaines zones de la Mamora (HAMDAOUI, 1981) et d'autre part provoqué la mort de nombreux sujets, leur affaiblissement ayant permis l'installation du champignon Hypoxylon mediterraneum comme des insectes xylophages Cerambyx cerdo (L.) (Col. Cerambycidae) et Platypus cylindrus (L.) (Col. Platypodidae) (EL ANTRY, 1986; CHADIGAN, 1987). Même survivants, les arbres voient leurs propriétés nutritives modifiées (cf. ci-après) pendant et à la suite de ces périodes de souffrance; de plus C. cerdo crée sur l'arbre des abris (entrées et cicatrices de galeries, lièges décollés) très favorables au maintien de L. dispar en période de latence; enfin les arbres souffreteux sont les premiers mutilés par les riverains.

Le rôle des différentes composantes du climat dans la dynamique des populations de L. dispar, fort complexe, ne sera pas élucidé rapidement. Les expérimentations sont difficiles, et les données météorologiques disponibles sont insuffisantes.

4. Les ennemis naturels

Les ennemis naturels (y compris les agents pathogènes) de L. dispar ont fait l'objet de la plupart des travaux de recherche consacrés au ravageur. Dans beaucoup de situations, ils sont considérés comme des agents régulateurs efficaces des populations de l'insecte, dépendants de la densité. Dans les aires où L. dispar est d'introduction récente (U.S.A. surtout, mais aussi Maroc), on a eu longtemps l'espoir de venir à bout du fléau par l'acclimatation ou l'épandage inondatif d'insectes entomophages et d'agents de maladies.

L'inventaire des introductions d'antagonistes aux U.S.A. et l'évaluation de leur impact (décevant) sur les pullulations de L. dispar ont été exposés par plusieurs auteurs (cf. in DOANE et McMANUS, 1981).

Au Maroc, un premier inventaire des antagonistes de L. dispar a été dressé par FERRIERE (1927) et par DE LEPINEY (1927); depuis il a été précisé et étendu par FRAVAL et HERARD (1975), HERARD et FRAVAL (1980), DI-PIETRO (1979b), CHAKIR et FRAVAL (1985), VILLEMANT (1989).

L'inventaire à jour, avec une présentation succincte de chaque entomophage, est donné ci-après (cf. ann. A1 et A2).

Dès 1927, DE LEPINEY, notant l'absence de tout parasite oophage, introduisait depuis les U.S.A. un Hyménoptère Encyrtide originaire du Japon, Ooencyrtus kuvanae (HOW.), dont la dispersion et l'acclimatation furent jugées très satisfaisantes (DE LEPINEY, 1932). Cet insecte a fait l'objet depuis de quelques travaux (HERARD, 1978; HERARD et MERCADIER, 1980; BENAZOUN et FRAVAL, 1983). Présent partout au Maroc sauf en montagne, il est effectivement très bien acclimaté mais on doit constater que son introduction n'a pas eu d'effet visible sur le développement des gradations de L. dispar (cf. fig. 14).

Dépourvu de compétiteurs, ce parasite développe de 10 à 20 générations au cours de l'année, en continu. L'inefficacité de cet oophage tient à plusieurs raisons. La configuration de la ponte (oeufs sur plusieurs couches) fait que seuls les oeufs de la couche externe (un peu plus de la moitié) sont accessibles au parasite (HERARD, 1975, non publ.). Parmi les oeufs de la ponte, certains sont détruits ou détachés par les prédateurs-démanteleurs, et d'autres, non fécondés ou morts, ne peuvent assurer le développement d'O. kuvanae.

Cet auxiliaire peut parasiter 1/3 de l'effectif d'oeufs, ce qui est insuffisant pour avoir un impact décisif. Ce taux est cependant plus élevé que ceux constatés en Europe (cf. in HERARD, 1979).

En période de latence, les pontes, profondément cachées dans des abris du tronc des Chênes-lièges, ne sont en général pas parasitées. Le devenir d'O. kuvanae lors de cette phase gradologique où les éventuels hôtes de substitution sont également fort rares n'est pas connu, de même que la façon dont il "suit" les gradations locales de L. dispar, dont la brutalité, a priori, s'oppose à son développement. Divers insectes (Col. Ostomatidae et Dermestidae, Lép. Tineidae et Pyralidae) attaquent les pontes, consommant ou non des oeufs, mais disloquant en tous cas la masse ovalaire. Ce sont les "prédateurs-démanteleurs" de pontes, présents partout au Maroc, rarement signalés dans le reste de l'aire géographique de L. dispar. Leur impact est très variable en fonction de la ponte, de l'arbre, du lieu, de l'année (BENLAHBOUB-JAZOULI, 1978; ZAIMI, 1979; FRAVAL et al., 1989; VILLEMANT et al., 1989) et les facteurs régissant leur abondance et leur répartition restent à préciser (VILLEMANT, en cours). Leur biologie, décrite par DE LEPINEY (1930) fait l'objet actuellement d'études complémentaires (ZEMMOURI et VILLEMANT, en cours).

Leur impact s'évalue par la proportion d'oeufs pondus qui sont détruits (consommés et/ou délogés) par leur action. Il varie (moy. sur une zone de quelques ha) de quelques % à plus de 80% (CHAKIR et FRAVAL, 1985).

Leur polyphagie (ce sont des détriphages nécrophages, voire cléthrophages) leur permet sans doute de subsister en l'absence de L. dispar; leur absence des pontes cachées en phases de latence jointe à leur abondance "normale" constatée dès que l'effectif augmente (cf. in FRAVAL et al., 1989) laisse penser que ce sont des animaux assez opportunistes, sans qu'on puisse rejeter, dans l'état actuel des connaissances, l'existence de liens spécifiquesavec les pontes de L. dispar.

Dans toutes les situations observées lors de la dernière gradation générale, les ennemis des chenilles ont été extrèmement discrets. Les Apanteles spp. et Meteorus pulchrichornis (WESMAEL) (Hym. Braconidae) ont parasité,ensemble, tout au plus 10 % des chenilles, localement. Ils possèdent eux-mêmes un cortège important et actif de parasites.

Cependant, leur impact relativement très fort avait été noté dans des populations en phase gradologique de latence, les très rares chenilles observées étant alors presque toutes parasitées.

Récemment, l'étude d'une pullulation locale à proximité de Kénitra (à El Hanchat) a permis d'observer des taux de parasitisme très élevés, par les 2 Braconides; les frondaisons sont demeurées quasi-intactes en dépit d'un effectif de chenilles écloses suffisant pour amener la défoliation totale (FRAVAL et al., 1989). Il s'agit d'un régime de régulation très différent de celui observé jusque là. On ignore les raisons de son installation et de sa perpétuation 2 ans de suite au moins. Un étalement très grand des éclosions a sans doute favorisé ces entomophages en leur permettant d'effectuer 2 ou 3 générations successives.

A l'instar des ennemis des chenilles jeunes, les parasites des chenilles âgées et des chrysalides (Tachinaires et le Chalcidien Brachymeria intermedia (NEES)), jusque là toujours observés en effectifs très faibles ont eu, sur cette population d'El Hanchat, un impact exceptionnellement fort. Calosoma sycophanta (L.) est un prédateur très actif des chenilles et des chrysalides; il n'est qu'exceptionnellement abondant en Mamora.

Pratiquement aucune maladie n'a été signalée au Maroc, jusqu'à l'introduction, en provenance de Roumanie, du Baculovirus de Lymantria dispar (MAZIH, 1979; SAIDI, 1981; FRAVAL et al., 1981a. Ce virus ne semble pas s'être maintenu du fait de la disparition de l'hôte à l'issue de la rétrogradation générale de 1981-1982. La tentative de réintroduction de 1987 a échoué (FRAVAL et al., 1989).

Un nombre relativement réduit d'espèces et l'absence d'épizooties constituent une situation originale, par rapport à celle décrite des pays voisins (FRAVAL, 1986) où une faune antagoniste plus riche joue régulièrement èun rôle décisif dans le déclin des pullulations. En Tunisie, RABASSE et BABAULT (1975) indiquent qu'une épizootie -capable d'anéantir la population- se déclenche en cas de forte densité de population. Dans des conditions différentes(pontes dans la litière), aux U.S.A., des prédateurs terrestres (une souris et une musaraigne) jouent un rôle majeur, en dévorant les chenilles âgées et les chrysalides exposées ou mal abritées (DOANE et McMANUS, 1981).

5. Les actions de l'Homme

Les forêts de Chêne-liège de la bordure atlantique sont des forêts-parcs, soumises à une intense pression de la part des "riverains". Ceux-ci y ont droit de parcours et de ramassage du bois mort. Le bétail est beaucoup trop nombreux (FAY et ZITAN, 1979), les coupes affectent les arbres entiers et la ramée et la glandée se pratiquent très couramment. Aucune régénération du Chêne-liège ne semble possible; les glands sont ramassés ou consommés par les animaux, les jeunes chênes plantés sont broutés, les recépages ne réussissent souvent pas, à cause de l'âge des souches ou de phénomènes hydrologiques. La forêt offre à L. dispar des ressources et des conditionsqui n'existent pas dans une suberaie "naturelle", telle qu'elle est préservée dans de rares zones d'accès interdit (Réserve Royale de Chasse par exemple).

Cette anthropisation se traduit par des caractères bien visibles: réduction des superficies de subéraie, diminution de la densité, allure "en chandelier" des arbres à la charpente réduite à un axe et quelques moignons pourvus de rejets; de plus les frondaisons sont taillées net à 2 m du sol et, au dessous de ce "plafond", on ne trouve que de très rares rejets buissonnants, maintenus ras par la dent du bétail. L'anthropisation

a pour effet de modifier la qualité du feuillage et la phénologie de l'hôte végétal, éléments très importants pour L. dispar. Selon VON RUDNEW (1963), une forêt en mauvais état est -au moins dans certaines conditions- favorable au ravageur; en Ukraine, les forêts climaciques ne connaissent pas de pullulations de L. dispar, alors que celles-ci se manifestent près des gares et des agglomérations; d'où l'hypothèse d'une résistance du végétal sain et vigoureux à l'insecte, laquelle résistance décline si le végétal est dans un mauvais état. D'après cet auteur, L. dispar survit en plus grands nombres et se développe mieux sur feuillage excisé que sur les feuilles en place, phénomène dû à la disparition de ce facteur de résistance dans les feuilles détachées. De même, PATOCKA (1972) observe (en Slovaquie) que les pullulations de L. dispar se manifestent principalement dans les forêts aux arbres malvenants ou abîmés par le bétail et conclut -se référant à ses élevages sur branches annellées-que la qualité de la nourriture est le principal facteur permettant la progradation et qu'elle est accrue par la dégradation de l'arbre.

Les résultats relatifs aux chênes à feuilles caduques sont à transférer avec prudence aux conditions des L. dispar marocains. SAIDI (1980) a confirmé par une expérience analogue à celle de VON RUDNEW (1963), au moyen d'élevages synchrones dans des cages identiques (en Mamora), que l'élevage sur feuillage excisé confère à L. dispar un développement plus rapide. DAHOU (1984) montre par des élevages in situ (en Mamora), que le développementdes chenilles est meilleur sur les feuilles des arbres chétifs et sur les feuilles de rejets.

Dans certaines circonstances, les arbres affaiblis ont une phénologie s'écartant de celle de leurs voisinsvigoureux. MABSOUTE (1981) a observé à El Menzeh, en avril, un débourrement "en mosaïque": les sujets malingres, écîmés, dont le liège est arraché, au pied temporairement inondé, débourrent vigoureusement tandis que des arbres voisins, mais grands, vigoureux et très peu abîmés (gardés par les riverains comme producteurs de glands) conservent leur feuillage, ne manifestant qu'un débourrement très partiel, plus tardif, localisé à l'extrémitéde certains rameaux. Les expériences d'élevage in situ de cet auteur, sur les arbres des deux catégories, n'ont pas été suffisamment concluantes; il est en effet très difficile de séparer les effets - tous deux bénéfiquespour l'insecte- de la valeur nutritive plus grande éventuelle du feuillage d'arbres abîmés et de la présence,plus tôt et en plus grande abondance de feuillage favorable parce que jeune.

Les moyens simples et sûrs de comparer les valeurs alimentaires de feuillages divers font toujours défaut (DAHOU, 1984); nous ne disposons que d'indications sur les effets bénéfiques retirés par l'individu de L. dispar d'une alimentation sur des arbres dégradés.

Les effets au niveau des populations de l'insecte ne sont pas connus. Nous n'avons pas de bases suffisantespour comparer précisément la situation au début du siècle avec celle que nous observons. Les changements paraissent toutefois peu importants. Ils riquent fort de s'intensifier, sous l'effet du vieillissement des arbres è(il n'y a pas de régénération) ou de la pression d'une population riveraine en forte expansion démographique.

L'intervention directe de l'homme consiste en des actions de lutte, toutes effectuées en subéraie atlantique, peu nombreuses (FRAVAL, 1982; cf. chap. VII). En 1926-1928 est introduit et acclimaté le parasite oophage Ooencyrtus kuvanae (voir ci-dessus); en 1957, une partie du canton A de la Mamora est traitée par le DDT; en 1975, 1976, 1978 et 1979 sont réalisés des essais, sur de faibles superficies (20 ha environ), de préparations à base de Bacillus thuringiensis (BERL.), de diflubenzuron, d'une préparation du Baculovirus de L. dispar. En 1981, le Nord du canton A, où les populations du défoliateur sont en rétrogradation générale, reçoit un traitement par la "bactospéine" (B. thuringiensis), sur une superficie de 6 700 ha. A la même époque, et dans les mêmes conditions gradologiques, un traitement identique est fait en forêt de Khemis- Sahel. En 1977, 600 ha près de Kénitra sont traités par des moyens terrestres avec B. thuringiensis (RAMZI, 1987; FRAVAL et al., 1989).

L'auxiliaire O. kuvanae s'est fort bien acclimaté mais n'a pas sensiblement modifié le cours des pullulationsde L. dispar. Les résultats des traitements de 1957 ne nous sont pas parvenus. L'application puis l'acclimatationdu virus ont démontré la sensibilité des L. dispar locaux à cet agent mais la rétrogradation survenue peu après ne permet pas de conclure quant aux effets à long terme. Les enseignements du traitement à grande échelle de 1981 sont limités du fait qu'il a été réalisé tardivement, contre les chenilles âgées (FRAVAL,1982); il a peut-être retardé la réapparition du défoliateur sur la bordure atlantique de la Mamora. Les interventions précoces prévues contre les moindres foyers annonçant la progradation n'ont pu avoir lieu.

Les traitements, jusqu'ici, sont demeurés, pour diverses raisons, exceptionnels et ont eu peu d'influence sur le cours de la gradation générale du ravageur. S'ils se généralisaient, ils introduiraient certainement une perturbation considérable dans le(s) mécanisme(s) de régulation des populations du défoliateur.

En guise de conclusion

Nous distinguons, dans les subéraies atlantiques, 3 modes principaux de régulation des populations de L. dispar.

Dans le régime "latent", les effectifs restent perpétuellement très faibles, probablement sous l'effet d'un milieu trophique jamais très favorable (débourrement partiel des arbres) et des ennemis naturels des chenillestoujours efficaces.

Dans le régime "cyclique", les effectifs varient au gré des disponibilités alimentaires dont la qualité et la quantité déterminent la survie et les performances des individus. L'absence de débourrement du chêne-liège consécutif à la défoliation totale introduit une répression complémentaire. Les ennemis naturels, dont les populationsévoluent au rythme très heurté de l'hôte, sont peu efficaces; les épizooties sont absentes.

Dans le régime "permanent", les L. dispar sont nombreux en début de génération, mais plusieurs entomophagesconcourrent à une mortalité très importante. La phénologie des arbres varie indépendamment. Observé par DE LEPINEY (1930), ce n'est que depuis 1987 que nous l'observons de nouveau.

Si le régime latent semble bien propre à certaines forêts, régimes cyclique et permanent se succèdent en Mamora, sans qu'on ait compris les raisons de tels basculements, ni les changements survenus depuis l'époque de la première mise en valeur de la subéraie (années vingt) et des premières observations entomologiques.

Une généralisation des traitements (même avec un agent "biologique" non écocide) serait très dangereuse, d'autant qu'un régime de régulation par les ennemis naturels, semble devoir se maintenir.

L. dispar, insecte très plastique par lui-même, forme des populations qui selon le lieu et l'époque, sont gouvernées par des mécanismes différents. Un très fort potentiel biotique, des capacités de dispersion élevées, une polyphagie étendue, une rusticité certaine font que l'insecte, jamais éliminé de nulle part, développe très vite des pullulations spectaculaires dans des conditions favorables. Ses relations avec nos Chênes-lièges suggèrentun fort degré d'"adaptation". L'insecte est cependant très récent: il exploite un matériel végétal mangeableet digeste (avec des variations), qui le supporte bien (refeuillaisons) en vertu d'une adaptation à l'incendie. DE LEPINEY (1930) puis BOUDY (1950) ont rapporté des témoignages indiquant que, au début du XXème siècle, avec la mise en valeur et la pacification, le Bombyx disparate a en quelque sorte remplacé les incendies èqui parcouraient très fréquemment une Mamora non pâturée (à cause de l'insécurité) et donc au sous-bois fourni et inflammable.

La multiplicité des régimes de dynamique des populations, qui existe aussi aux U.S.A. (CAMPBELL et SLOAN, 1978a et b; DOANE et McMANUS, 1981), est déroutante pour le chercheur. L. dispar est, de fait, parmi les ravageurs des arbres forestiers, un insecte remarquablement imprévisible (P. GRISON, comm. pers.).


[R] Vers le sommaire de l'ouvrage. Vers la page Lymantria dispar.