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Les insectes de la Belle Époque

GUÊPES ET GUÊPIERS DE FRANCE


Par toute la terre existent des Guêpes, mouches à quatre ailes, à corps marqueté de jaune et de noir. Un autre caractère constant, mais qui frappe beaucoup moins les yeux des gens inattentifs, est celui qui a valu à ces insectes le nom de Diploptères; les ailes supérieures sont pliées en deux au repos suivant le grand axe de leur ellipse.

Les Guêpes vraies sont toujours sociales, c'est-à-dire vivent en associations considérables, dans lesquelles la fonction de reproduction est répartie entre trois formes d'individus différents, toutes ailées : des mâles, des femelles fécondes, des femelles avortées ou neutres, pourvues d'un aiguillon avec glande à venin comme les femelles fécondes, les mâles seuls ne piquant pas. Une première différence capitale d'avec les Abeilles, c'est que les Guêpes ne secrètent pas de cire, leur digestion étant impropre à changer le miel en matière grasse ; aussi leurs nids ou guêpiers sont toujours façonnés avec une sorte de papier gris ou roussâtre, dû à des matières ligneuses déchirées par les mandibules et associées par une salive collante. Les guêpiers sont constitués par des gâteaux papyracés horizontaux contenant sur un seul rang des alvéoles verticaux, l'orifice tourné vers le bas, tandis que les Abeilles ont des gâteaux de cire verticaux, à double rang d'alvéoles horizontaux. En outre, tandis que les ruches aussi bien que les fourmilières durent plusieurs années, les guêpiers perdent toujours leurs habitants aux premiers froids. Seules, des femelles complètes, fécondées soit dans le guêpier même ou sur son enveloppe, soit sur des herbes ou de branches à peu de distance, passent l'hiver engourdies sous les mousses, dans des trous d'arbre on de muraille. Elles ont alors les pattes, les ailes et les antennes repliées sous le ventre, dans la position même des nymphes, qui sont comme des fœtus de l'adulte. De même l'enfant nouveau-né, s'il n'en est pas empêché par les langes, le petit chien, le petit chat, dorment pliés en demi-cercle, dans la situation du long sommeil de l'état fœtal.

Quand la chaleur du printemps vient rappeler à l'activité ces femelles hivernantes et encore peu propres au travail, elles se répandent sur les fleurs nouvelles, afin d'y chercher des aliments capables de réparer leurs forces épuisées par un long jeûne. Elles butinent sur les fleurs des arbres fruitiers de nos jardins, et, dans les bois et sur les haies, sur les fleurs encore plus précoces du Prunellier; un peu plus tard, les mères-Guêpes sont attirées par les fleurs du Groseillier à maquereau, du Groseillier-cassis et des Ribes ou Groseilliers sauvages. On peut conseiller de capturer ces Guêpes au filet sur les fleurs, et de les écraser, car chaque mère mise à mort est pour l'automne un guêpier de moins avec sa malfaisante population. La nourriture des Guêpes est bien plus variée que celle des Abeilles, ainsi que la pâture qu'elles donnent à leurs larves. Elles sont très gourmandes de matières sucrées, surtout de miel, qu'elles cherchent à dérober aux ruches. Comme leur langue trop courte leur interdit de lécher le nectar des fleurs à corolle un peu profonde, elles sucent le jus des fruits (prunes, poires, raisins) et découpent leur pulpe, surtout quand ces fruits ont été crevés par endosmose après la pluie ou entamés par le bec des Oiseaux, car les Guêpes ne mordent pas aisément un fruit parfaitement sain et dur. Elles absorbent les liquides sucrés qui découlent des exsudations des arbres malades et le miellat éjaculé par certains Pucerons, notamment ceux des Saules; de ces jus sucrés, elles élaborent un miel d'un goût assez fin, qu'elles dégorgent à leurs larves ou mettent en réserve dans certains alvéoles du guêpier. Ce qui distingue profondément les Guêpes, des Abeilles et des Bourdons, c'est une autre alimentation très différente. Elles saisissent à l'état vivant un grand nombre d'Insectes et même d'Araignées, les coupent en morceaux avec leurs mandibules et en façonnent une sorte de bouillie qu'elles portent à leurs larves, et cela surtout quand la sécheresse les prive des jus sucrés végétaux de diverse nature. Les Guêpes viennent chercher les mouches domestiques jusque sur les vitres des maisons; en automne, dans les allées des bois couvertes de scabieuses en fleurs, on voit fuir les Mouches effrayées quand elles entendent le bourdonnement du terrible Frelon. Les Guêpes dépècent en petits morceaux les viandes de boucherie coupées exposées à l'étal des bouchers de village et causent parfois ainsi un notable préjudice. Elles aiment surtout le foie, à cause de la glucose sucrée qu'il renferme, et parfois les bouchers abandonnent un foie à leur voracité, afin de préserver les autres viandes. Il faut remarquer que les Guêpes sont beaucoup plus nocturnes que les Abeilles et qu'on est fortement piqué à l'entrée de la nuit par les Guêpes qui sortent, si on fouille un guêpier, alors qu'on peut manipuler sans danger les ruches d'Abeilles.

La Guêpe-mère, qui commence seule son guêpier à la fin du printemps, façonne d'abord un pédicule en fibres ligneuses ramollies, qui s'évase par le bas en capsule renversée, où elle construit quelques cellules juxtaposées au nombre de huit à dix; elle l'agrandit ensuite à plusieurs reprises, en ajoutant au pourtour des rosaces, de nouvelles cellules. Elle pond des œufs exclusivement d'ouvrières dans les alvéoles et sort fréquemment pour aller aux provisions et revenir donner la nourriture à ses larves. Quand celles-ci sont devenues adultes, elles remplacent aussitôt la mère dans son travail, agrandissent le gâteau, en ajoutent de nouveaux en dessus dans la plupart des guêpiers, les alvéoles toujours tournés en bas, des piliers en nombre suffisant allant d’un gâteau à l'autre. Les cellules n'occupant jamais qu'un seul plan, n'ont pas les fonds pyramidaux, mais arrondis en soucoupes peu profondes, dont les bords portent six pans de prisme hexagonal plus on moins régulier, chacun formant en outre paroi pour la cellule accolée. Dès lors on ne voit plus sur les fleurs et sur les arbres suintants que des ouvrières, très reconnaissables à leur plus faible taille. La mère, dont la ponte va augmenter beaucoup à mesure que la saison devient plus chaude, n'a plus d'autre occupation et cesse de sortir ; pareille, dès lors, à la reine Abeille; nourrie par ses premiers enfants, elle ne s'occupe plus ni de la bâtisse, ni de l'alimentation des larves, soins qui incombent désormais aux ouvrières seules. De la fin d'août aux premiers jours de novembre, des pontes spéciales produisent des mâles et des femelles parfaites, nourris dans leur jeunette par les ouvrières et sortant isolément en grand nombre des guêpiers.
Les Guêpes ordinaires construisent des guêpiers dont les gâteaux sont entourés d'enveloppes concentriques servant à les protéger. On trouve dans ces guêpiers complets, trois parties bien distinctes : 1° un ou plusieurs rayons ou gâteaux, formés par une seule rangée d'alvéoles hexagonaux accolés, s'ouvrant en bas; 2° des piliers ou colonnes destinés d'abord à fixer le premier gâteau, le plus intérieur, à la paroi d'appui, puis à réunir les rayons entre eux, s'il y en a plusieurs, soit enfin à lier l'enveloppe aux rayons ; 3° une enveloppe d'abord simple, puis constituée par la suite de plusieurs membranes conchoïdales de papier superposées, la convexité en dehors. Les bords des membranes externes sont soudés sur les convexités des intérieures et les convexités sont recouvertes par la langue des Guêpes d'un vernis gommeux, qui donne à l'extérieur des nids récents un reflet argentin. Par cette double cause, la pluie ou les infiltrations pluviales glissent sur le guêpier, sans pouvoir pénétrer à l'intérieur ; en outre les minces lames d'air très mauvais conducteur, interposées entre les enveloppes concentriques, maintiennent à l'intérieur du guêpier une température plus élevée que celle de l'air ambiant et qui est nécessaire au développement du couvain; l'excès peut atteindre 14° à 15° dans les guêpiers populeux.

La plupart des Guêpes propres de France construisent leurs nids dans des cavités variées, des trous en terre, des creux d'arbre ou de mur, sous les toitures, à l'intérieur des maisons ; on a même trouvé des guêpiers dans de vieux tonneaux ou à l'intérieur de ruches d'Abeilles, dont le miel, mis au pillage, avait probablement nourri les Guêpes. Les nids souterrains sont formés de parcelles de bois mort et ramolli par un commencement de décomposition et de fragments d'écorce, que l'insecte broie avec ses mandibules et agglutine avec une sorte de colle; ils sont de nuance feuille-morte diversement foncée. Ces nids et surtout leurs enveloppes sont cassants et friables; seuls les piliers sont durs et résistants, pour supporter le poids des rayons superposés remplis de larves et de nymphes. Les Guêpes les plus communes partout forment deux espèces très voisines, la Guêpe vulgaire et la Guêpe germanique. C'est ordinairement dans la galerie abandonnée d'une Taupe ou d'un Mulot que la femelle d'hibernation commence le nid souterrain, et protège le petit gâteau par une cupule sphérique. Les ouvrières, pour agrandir le nid, sont obligées à un travail de creusement considérable ; une foule de petits graviers, transportés un à un et amoncelés à l'entrée du guêpier, décèlent le plus souvent son existence. Dans les alvéoles de papier cassant, se trouve le couvain (fig. 1).


Fig. 1. Couvain de la Guêpe vulgaire. – Larves : 1, en dessous ; 2, en dessus. – Nymphes : 3 en dessus ; 4, en dessous.

Il se compose d'abord des larves, blanches et sans pattes, fixées au fond de l’alvéole par l'extrémité de l’abdomen, la tête en bas. À la région antérieure de leur tête sont deux ocelles brillants, et les pièces de leur bouche broyeuse sont plus fortes que chez les larves d'Abeilles, car elles reçoivent des aliments plus consistants. Parvenues à toute leur croissance, ces larves se retournent, tapissent d'une légère couche de soie le fond et les parois de la cellule, reprennent leur première position et ferment les cellules en tissant sur l'ouverture un couvercle de soie plus épaisse. Au bout de quelques jours, la larve se change en nymphe dans cette cellule entièrement close; on reconnaît dans celle-ci la Guêpe enveloppée d'une mince pellicule, laissant voir les trois régions du corps et les organes repliés sous le ventre. Cette nymphe est d'abord blanche et se colore peu à peu, en commençant par les yeux noirs; l'adulte déchire son maillot, ronge les bords de l'opercule avec ses mandibules et sort de sa prison. Pendant quelques jours après leur éclosion, les couleurs jaunes des Guêpes sont plus pâles qu'elles ne deviendront par la suite.


Fig. 2. Nid de la Poliste française avec la mère fondatrice.

Une troisième espèce, à nid souterrain, beaucoup moins commune que les deux précédentes, est la Guêpe rousse, qui habite seulement les bois et s'y creuse sous terre des guêpiers peu volumineux et médiocrement peuplés. Elle se distingue essentiellement des deux Guêpes communes en ce que l'abdomen n'est pas exclusivement jaune et noir, mais porte du roux à ses deux premiers segments, qui sont même quelquefois roux en entier. Ces Guêpes souterraines, si bien armées qu'elles soient, ont de nombreux ennemis. Nous avons parlé autrefois des Volucelles, Diptères au vol rapide, dont certaines espèces (Volucella zonaria et inanis) ont une coloration qui rappelle celle des Guêpes, comme s'il leur était plus aisé de pénétrer dans la maison en se parant des habits des maîtres du logis*. Les larves de ces Volucelles, à peau dure et hérissée d'épines, défiant l'aiguillon comme par une cuirasse, dévorent le couvain des Guêpes, nous rendant ainsi de véritables services dans les années sèches et chaudes, où les Guêpiers regorgent de population malfaisante. Une Guêpe à nid caché, beaucoup plus grosse que celles dont nous venons de parler, est le Frelon (Vespa crabro, the Hornet des Anglais), à grosse tête dilatée derrière les eux. Le Frelon établit son nid principalement dans les arbres creux, quelquefois dans la terre ou sous de grosses racines, dans les poteaux pourris, dans les vieux murs, sous les toits de chaume, dans les cheminées, dans les ruches vides, etc. Ce guêpier, formé d'une sorte de fine sciure de bois décomposé, est des plus friables; il est entouré d'une enveloppe d'une seule couche, s'il est placé simplement sous un abri, comme une toiture. Les parois des cavités closes où ce guêpier est souvent placé tiennent lieu d'enveloppe; s'il est protégé en partie, il n'a d'enveloppe que du côté libre ; enfin, s'il est souterrain, le haut de la cavité est quelquefois garni d'une mousse sèche assez serrée. Les Frelons sont très irascibles; s'ils croient leur couvain menacé par une personne qui approche du nid, ils fondent en troupe sur elle, cherchant les interstices entre le corps et les vêtements. Comme leurs piqûres multipliées peuvent faire courir de graves dangers, il faut fuir à toute vitesse ou se jeter dans l'eau entièrement si quelque mare ou ruisseau se trouve à portée.


Fig. 3. Guêpe des arbustes et son guêpier. — Coupe latérale montrant les deux gâteaux inférieurs.

On ne croirait guère qu'avec de pareilles mœurs et des instincts très carnassiers, le Frelon ait des amis. Il en a cependant un très singulier. C'est un gros Coléoptère noir, le Velleius dilatatus, du groupe de ces Staphylins à élytres très raccourcies, qui semblent porter une veste. Seulement, au lieu de relever son abdomen dès qu'on t'inquiète, comme le fait le Diable ou Staphylin odorant, qui court en automne dans tous les sentiers, il le laisse traîner à terre, comme un petit lézard. Le Velleius, bien étudié récemment par M. J. Erné, est un protecteur des nids de Frelons, protecteur intéressé bien entendu. Le soir, il suit, d'un vol puissant, les Frelons et entre avec eux dans le guêpier. Il pourchasse avec fureur les insectes qui peuvent nuire au couvain, surtout les Scolopendres (Myriapodes), qu'il déchire avec ses puissantes mandibules, secouant même leur cadavre desséché. Il est probable, en outre, que sa forte odeur de musc est agréable aux Frelons et qu'il parfume la maison de ses amis. Ceux-ci le payent en miel, dont il est très friand. Le Velleius peut s'apprivoiser aisément, de même au reste que les Frelons. Craintif de prime abord, il s'accoutume promptement à l'observateur qui le nourrit, se laissant donner du miel au bout d'un pinceau, auquel il se cramponne sans vouloir lâcher prise. Il reste pareillement attaché à un morceau de sucre pendant une demi-journée, ne le quittant pas avant d'être rassasié.

Un petit nombre de nos Guêpes de France construisent des nids entièrement à découvert, attachés aux branches des arbres, toujours plus petits et moins peuplés que les nids souterrains. Les matériaux des guêpiers aériens sont des fibres ligneuses détachées par les mandibules de la guêpe dans le bois travaillé, comme les planches, ou fendu ou simplement dépouillé de son écorce (lattes, pieux, poteaux), soit dans les tiges sèches de diverses plantes, lorsque ces matières ligneuses, par suite d'une assez longue exposition à l'air et à l'humidité, ont éprouvé une macération analogue au rouissage du chanvre. Les guêpiers sont alors souples, élastiques, très papyracés. Les enveloppes concentriques surtout, sont analogues à du papier gris à filtrer, avec des veines plus claires diversement apparentes. On peut dire que les Guêpes ont su faire du papier de tout temps et avant l'homme. Le plus commun de ces insectes à guêpier aérien est la Guêpe samare ou des arbustes (fig. 3), un peu plus petite que la Guêpe vulgaire. Les femelles parfaites ont le corps très velu, à poils ferrugineux, tandis que l'abdomen de l'ouvrière est fort peu velu. L'espèce est de toute l'Europe, moins peut-être la Laponie.

Il est un dernier groupe de Guêpes sociales qui diffèrent profondément des Guêpes propres par une sorte de dégradation du guêpier. Celui-ci n'est jamais entouré d'enveloppes destinées à le protéger contre les intempéries. C'est un gâteau, à alvéoles obliques ou renversés, porté sur un fort pédicule et plus ou moins étalé et élargi, suivant le nombre d'ouvrières qui viennent accroître la cupule façonnée par la mère fondatrice. Tels sont les nids des Polistes, plus grêles que les Guêpes propres, bien moins nuisibles aux fruits, peu irritables et en nombre restreint. Dès le mois d'avril, on voit dans les jardins la Poliste française (fig. 2), commençant son petit gâteau dans un lieu chaud, abrité du vent, exposé au midi, fixé par un pédicule sur une tige d'arbuste, fréquemment sur les espaliers, sur une paroi de muraille ou de rocher. On peut enlever le nid sans que la pauvre mère, consternée des dangers que court sa progéniture, cherche à piquer. Elle se cramponne au petit gâteau ou le suit en volant tout auprès. Si on porte la branche à la maison avec le gâteau, on peut la laisser en liberté ; elle revient nourrir ses larves avec affection. Les premières ouvrières nées s'habituent à la présence de l'homme, et on suivra avec facilité, à domicile, l'étude des mœurs et du développement.

Maurice Girard,  La Nature, 1880. pp. 310-314.

Les Insectes malfaiteurs ; Nature, 3e année, 1875, 2e semestre, p. 161, n°115 du 14 août.

Guêpe samare = Guêpe des arbustes : Dolichovespula media
Poliste française = Guêpe française = Poliste gaulois : Polistes dominulus
Guêpe vulgaire : Vespa vulgaris
Guêpe germanique : Vespula germanica
Guêpe rousse : Vespula rufa

Velleius (Quedius) dilatatus = Vélléie élargie

À(re)lire : Les nids d'Hyménoptères de la collection historique du Muséum national d'histoire naturelle (par Joseph Jacquin-Porretaz et Claire Villemant), Insectes n° 135 (2004-4) et Les nids de guêpes solitaires et sociales (par Claire Villemant ), Insectes n° 136 (2005-1).

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