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Les insectes de la Belle Époque

LE SPHINX À TÊTE DE MORT

Si le Sphinx à tête de mort n'est pas le plus grand de nos lépidoptères, on ne peut du moins lui contester l'avantage d'en être le plus gros. Un seul peut-être en Europe pourrait rivaliser avec luis sous le rapport du volume, c'est le Lasiocampe otus, de Turquie et de Dalmatie. Quelques femelles sont énormes et la chenille, qui vit principalement sur les cyprès file un cocon d'une soie aussi blanche que fine employée dans l'Antiquité pour les usages domestiques, car le papillon semble bien être le " bombyx " de l'île de Cos, qui fournissait aux Grecs et aux Romains du temps de Pline la matière soyeuse dont ils faisaient des tissus très légers.

Notre Grand Paon de nuit et le papillon du Ver à soie de l'ailante, cette espèce chinoise naturalisée chez nous depuis plus de trente ans, offrent une surface d'ailes beaucoup plus grande que le Sphinx à tête de mort, mais leur corps est beaucoup moins volumineux.

Toutefois ce n'est pas seulement ce gros corps qui le rend remarquable : il l'est surtout par d'autres particularités qui ont attiré depuis longtemps sur lui l'attention et lui ont acquis une très ancienne célébrité : son dos est marqué d'une tache étrange qui figure très exactement une tête de mort ; il possède un cri plaintif, et enfin son goût effréné pour le miel le fait redouter des abeilles et aussi des apiculteurs. Il mérite donc à tous égards une étude quelque peu attentive.

Les naturalistes le rangent dans la tribu des Sphingiens, famille des Achérontidés, c'est l'espèce type du genre Acherontia, il a reçu de Linné le nom d'Acherontia atropos. Certaines femelles atteignent jusqu'à 14 centimètres d'envergure. La tête est noirâtre, la trompe courte, les antennes ont la pointe blanche. Les ailes supérieures sont en dessus d'un brun noir,saupoudré de points bleuâtres très fins, avec une tache blanche, des bandes claires et des lignes noirâtres ondulées ; les nervures sont ferrugineuses.

Figure 1. Chrysalide du Sphix à tête de mort dans la coque terreuse

Les ailes inférieures sont en dessus d'un jaune d'ocre vkf avec deux bande sdentelées noires. Le dessous des quatre ailes est jaune d'ocre avec deux bandes noires. Les pattes sont noires avec des poils jaunes aux cuisses et des anneaux blancs aux tarses. L'abdomen est également jaune avec des anneaux noirs et une bande dorsale bleu cendré. Enfin le thorax ou corselet est d'un brun noir sur lequel se détache la fameuse tache qui rappelle si bien la forme et la couleur d'un crâne humain avec ses deux orbites auxquels la couleur noire semble donner la profondeur. La vue de cette tache, jointe au bruit que produit le cri aigu de l'insecte, ne laisse pas que d'effrayer quelquefois les gens timides et impressionnables toujours émus par son aspect étrange.

Figure 2. Chenille du sphinx à tête de mort et papillon au repos

Les opinions les plus variées sont été émises sur la cause de ce cri du sphinx atropos.

Réaumur et Rossi l'attribuèrent ay frottement des palpes contre la trompe. Ersnt et Engramelle, d'après M. de Jobet, à de l'air renfermé sous les épaulettes et chassé par le mouvement des ailes ; Wagner, à de l'air contenu dans une vésicule placée en avant de l'estomac et qui en sortirait, violemment chassé, à travers l'œsophage et la trompe. Mais il est évident que cette vésicule ne peut être autre chose que le jabot ou premier estomac et que ce n'est qu'accidentellement que cet organe peut contenir de l'air. Boisduval et Duponchel admettaient le frottement de l'écusson contre le thorax, et Goureau une vibration du thorax lui-même sous l'action de ses propres muscles. Berce admet avec d'autres auteurs la sortie, à travers la trompe, d'air contenu dans une cavité particulière de la tête. Enfin le Dr Lorey, ayant constaté que l'ablation de la trompe, des palpes et des ailes ne supprime pas le cri,pense qu'il est dû à la sortie de l'air s'échappant d'une trachée située de chaque côté de l'abdomen, et la plupart des auteurs, Maurice Girard, par exemple, enseignent aujourd'hui qu'il existe un appareil sonore situé de chaque côté du corps à la base de l'abdomen, formé d'une membrane entourée d'une touffe de poils étoilés qui entrent dans un mouvement de rotation autour de leur point d'insertion quand l'insecte " chante ".

Ce chant ou cri, joint à l'aspect lugubre de la tache dorsale, ont valu de longue date à notre Atropos une triste réputation.

En 1730, nous dit Maurice Girard, un curé de Bretagne le décrivit comme un animal de la plus funèbre apparence. En 1733, il paraît en grand nombre au moment d'une épidémie meurtrière, on l'accuse d'en être la cause, et J. Franklin nous apprend que dans les campagnes d'Angleterre on l'accuse aussi d'être en rapport avec les sorcières et d'aller murmurer à leur oreille le nom de la personne que la mort va frapper.

À l'île Bourbon où le sphinx à tête de mort porte le nom d'aille, il est considéré comme fort dangereux, répandant, dit-on, dans les chambres où il pénètre, une poussière qui peut faire perdre la vue. Quant à son goût pour le miel, Hubert nous a laissé à ce sujet des observations du plus haut intérêt.

Consulté en 1804 au sujet d'une véritable invasion de chauve-souris qui dévastaient les ruches, il constata tout d'abord que ce qu'on avait pris pour tel n'était autre que des sphinx atropos.

Les ruches bien garnies de miel auparavant en étaient complètement vidées et réduites au poids de la cire. On imagina alors de réduire l'entrée de ces ruches au moyen de sortes de grillages en fer-blanc ne laissant de place que pour le passage des abeilles.

Mais on vit avc étonnement que là où on n'avait pas pris cette précaution, les abeilles barricadèrent elles-mêmes l'entrée de leurs ruches en y construisant des sortes de murs avec un mélange de cire et de propolis ne présentant que des passages étroits et sinueux.

Ajoutons que lorsqu'un sphinx s'introduit dans une ruche, les abeilles, dont l'aiguilleon semble sans action sur les téguments durs et recouverts d'une sorte de feutrage du papillon, cherchent à s'en débarrasser en le couvrant de propolis qui, lui engluant les ailes et les pattes,le réduit bintôt à l'impuissance ; alors elles l'enduisent complètement de cette sorte de vernis imperméable qui le maintient dans un état de conservation parfait et sous lequel il se momifie sans donner aucune mauvaise odeur dans la ruche, s'évitant ainsi les difficultés qu'elles eussent rencontrées pour rejeter au dehors un corps aussi volumineux.

Figure 3. Sphinx à tête de mort volant autour d'un rucher

Quoique ce papillon se trouve dans toute dans toute l'Europe méridionale et centrale, remontant jusqu'en Angleterre, il est originaire de l'Asie indienne et de l'Afrique et nous est apporté par les vents du Sud et du Sud-Est.

Au printemps, la femelle pond des œufs isolés, quelquefois deux ou trois sur la même plante. La chenille se trouve de juin à septembre. Elle est jaune citron avec des bandes obliques bleues et vertes ; elle présente quelquefois, mais rarement, une variété grise. Sa nourriture préférée, sous le climat parisien, est la pomme de terre. C'est sans doute ce qui a fait dire à Michelet qu'elle nous a été importée d'Amérique avec ce tubercule, opinion fantaisiste, pensons-nous, car les cultivateurs et apiculteurs devaient connaître ses dégâts longtemps avant la pomme de terre, qui n'est d'ailleurs pas sa seule nourriture.

On la rencontre aussi sur un grand nombre de plantes parmi lesquelles nous citerons le lyciet, la tomate, le tabac, le paulownia, la fève, la carotte, le frêne, le troène, le jasmin, le fusain, la spirée,etc.

Vers la fin d'août elle a acquis toute sa taille et se chrysalide dans une coque terreuse, puis le papillon éclôt normalement en septembre et octobre.

Les chrysalides non écloses à l'automne semblent périr toutes en hiver sous notre climat. Mais il n'en est pas de même dans le Midi où, d'après les observations du Dr Siépi, le papillon vole de mai à septembre, le chenille se rencontre de juin à octobre,une partie donnant ses septembre et octobre et l'autre partie en mai et juin de l'année suivante.

Il est d'ailleurs à noter que dans les contrées chaudes les générations se succèdentpendant toute l'année à peu près sans interruption.

Des observations récentes du comte de Bori sembleraient montrer que le papillon hiverne parfois chez nous. Notre si justement célèbre Réaumur avait déjà émis l'hypothèse de cet hivernage, comme le rappelait récemment M. Girard qui, lui, émet en même temps l'idée qu'il se pourrait bien que les individus d'automne émigrassent dans le Midi alors que certainement ceux du printemps émigrent vers le Nord.

A.-L. Clément, vice-président de la Soc. Cent. d'Apiculture et de Zoologie agricole. La Nature, 2e semestre 1903, pp. 199-202.

Pour comprendre et entendre le cri du Sphinx à tête de mort, rubrique "L'inspiration et l'expulsion de l'air" sur notre page Stridulations.

Une gravure peinte ancienne, dans notre Galerie.

L'Achérontia du Larousse agricole de 1921, avec une planche gravée (N&B).


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