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Les insectes de la Belle Époque

LES INSECTES
Résistance  à la mort par  décapitation ou submersion



Tout le monde. sait qu'après chaque exécution capitale le corps du décapité est généralement remis aux membres de l'Académie de médecine de Paris pour faire, diverses expériences, entre autres sur la persistance des mouvements du corps après que la tète a été séparée du tronc.
Un savant italien, M. Canestrini, s'est proposé de faire, des recherches semblables sur des insectes.  Il recueillit un grand nombre d'insectes et leur détacha la tète, tantôt avec des ciseaux, tantôt avec un bistouri. Cette opération, très facile à pratiquer sur certains insectes (diptères. hyménoptères, orthoptères), était, au contraire, très difficile chez certains autres (chrysomèles, crypticus).
M. Canestrini observa que les  mouvements de la tête et du corps, d'abord bien évidents, devenaient d'une constatation beaucoup plus difficile après un certain temps, variable selon les insectes sur lesquels il expérimentait, Lorsque tout mouvement avait cessé dans les deux parties séparées, le savant italien recourait à des moyens artificiels ; il les piquait, les pinçait, les pressait, ou bien les enveloppait de fumée de tabac. De cette manière, il parvenait souvent à déterminer des mouvements dans des parties en apparence complètement insensibles.
'l'ous les insectes ne se comportaient pas de la même manière après avoir été décapités.
Les coléoptères se roulaient sur le dos presque immédiatement. Les pyrrhocoris, au contraire, restaient sur leurs pattes, et les grillons demeuraient dans cette position jusqu'après leur mort.
Quelques insectes, vifs et remuants, comme les fourmis, les abeilles, les bombyx, restent presque complètement immobiles après qu'on leur a coupé la tête, et ce n'est que longtemps après qu'ils paraissent se ressentir de la grave amputation qu'ils viennent de subir. Les lépidoptères et les diptères (taons, mouches) paraissent supporter cette opération avec la plus grande indifférence.
M. Canestrini a vu des papillons voler 18 jours après la décapitation, et des grillons (Grillus campestris) sauter encore après 13 jours, et il a constaté que la Mantis religiosa donnait des mouvements après 14 jours complets, Le tableau ci-après de la durée des mouvements chez les insectes décapités résume un nombre considérable d'observations. Les chiffres indiqués sont le résultat d'expériences répétées sur un grand nombre d'individus de l'espèce ou du genre cité. Quelquefois, pour abréger, on n'a indiqué que le genre (avec le nom vulgaire ou scientifique).





Du tableau ci-dessus, il résulte que la durée des mouvements de la tête est toujours moindre que celle des mouvements du corps.
Chez certains insectes, la sensibilité des deux parties se conserve très vive, jusqu'au dernier instant de la vie. Si on touche légèrement l'extrémité de la patte d'un grillon, ou même toute autre partie du corps, on le voit se lever immédiatement, signe évident qu'il a senti l'attouchement, et, si on insiste, il se met à sauter. La tête conserve aussi pendant longtemps une sensibilité admirable, qui se manifeste par les mouvements des antennes et des palpes.



Fig. 1. - 1. Mante religieuse. - 2. Sauterelle verte. - 3. Fourmi rouge. - 4. Hydrophile brun

Le liquide qui sort, quelquefois en abondance, soit de la tête, soit de la partie antérieure du corps des insectes décapités (grillons, sauterelles), ne retarde ni n'accélère l'extinction des mouvements. M. Canestrini, après avoir décapité ses insectes, tantôt laissait le liquide s'échapper librement, et tantôt en empèchait l'écoulement avec de la cire. Dans les deux cas, la durée des mouvements était exactement la même.
L'humidité et une douce température conservent la mollesse et la vitalité du corps et de la tête, taudis que la sécheresse et la chaleur (18° et plus) rendent ces parties, dans un temps assez court (variable selon les insectes), rigides, fragiles et insensibles. Ce fait a été très bien constaté pour les grillons et les sauterelles. 1l y a probablement des exceptions à cette règle, mais il est certain, pour les deux insectes cités, que si, aussitôt décapités, on les met dans une terre humide, et par un temps froid, ils résiteront plus longtemps que si on les place dans une terre sèche et par un temps sec (froid ou chaud).
Un physuilogiste français, M. Devaux, s'est demandé si la résistance à I'asphyxie par submersion serait aussi grande, et il a fait, dans ce but, quelques expériences dont nous allons résumer les plus intéressantes d'après le compte rendu qui en a été publié dans le Bulletin de la Société philomatique de Paris (tome III, 8e série).
Quand on noie une fourmi, elle manifeste, par des mouvements variés, des troubles nerveux évidents ; l'une des manœuvres les plus curieuses qu'on lui voie faire, est un ploiement du corps en deux, fait de telle sorte que l'abdomen vient au contact des mandibules. Elle se plie ainsi trois à cinq fois pendant la période très courte que demande la noyade complète. Ensuite, elle reste absolument inerte.
Si on retire l'insecte de l’eau aussitôt après, il manifeste bientôt quelques mouvements faibles, non coordonnés. Pour que le retour à la vie se fasse rapidement, il faut que la fourmi soit placée sur un papier buvard qui absorbe l'eau mouillant son corps. Au bout de 5 à 10 minutes, elle se met à marcher et, alors, elle est bien vite remise.
Si la submersion dure quelques heures, 8 heures, par exemple, les fourmis mettent plus longtemps à revenir il la vie manifestée ; il leur faut souvent plus d'une demi-heure. La chaleur directe du soleil semble beaucoup favoriser leur rétablissement. Au bout d'une heure ou une heure et demie, toutes sont parfaitement remises.
Si la submersion dure plus longtemps, 24 heures, par exemple, on voit encore la plupart des fourmis noyées revenir à la vie. Les premiers mouvements se manifestent au bout d'une demi-heure ou trois quarts d'heure, mais semblent inconscients ; souvent, pour les apercevoir, il faut regarder à la loupe.
Si l'on excite légèrement une fourmi tandis qu'elle manifeste ces faibles mouvements, en la chatouillant, par exemple, avec une plume, on la voit souvent s'agiter et chercher autour d'elle comme quelqu'un qui s'éveille. Cette excitation accélère beaucoup le retour à la vie. Si on touche l'animal seulement de temps à autre, on voit bientôt qu'il semble surpris et se tourne du côté où on l'a touché. Mais il retombe vite dans sa somnolence ; si l'excitation recommence, il s'agite plus vivement et peut même essayer de mordre la plume : toutefois, la fatigue vient vite; après deux ou trois mouvements vifs, l'animal ne réagit presque plus. Mais on le voit bientôt essayer quelques pas incertains, ou même se nettoyer les pattes et les antennes. Quand, au bout de deux heures, on essaye encore de l'exciter, l'animal court sus a la baguette, ou se détourne menaçant si l'attaque est faite en arrière. Le rétablissement complet a lieu en un temps variable, selon la durée de l'immersion, 3, 4 heures et plus encore. On peut prolonger beaucoup la durée de la submersion, pendant 50 et 60 heures par exemple. Dans ce cas, on peut encore ramener la vie d'une manière complète chez quelques individus. Mais il en est d'autres qui, après avoir manifesté un retour momentané à la vie, meu¬rent définitivement au bout de 1 ou 2 jours. « J'ai observé, dit M. Devaux, un retour momentané à la vie manifesté après 110 heures de submersion. Sur trois fourmis qui étaient restées inertes au fond de l'eau depuis le 9 mai, à 6 heures du soir, jusqu'au 14 mai, à 8 heures du matin, une fourmi manifesta des mouvements très nets au bout de quelques heures passées dans l'air libre. Cette fourmi était donc encore vivante après avoir passé, cinq jours environ sous l'eau. Je ne crois pas qu'on ait signalé encore une si longue résistance chez aucun insecte. »





Fig. 2, - 1. Diptère : Volucelle zonée. - 2. Coléoptère : Chrysomèle du peuplier. - 3. Pyrrorhore aptère. - 4. Taon des bœufs.
5. Piéride duplidice. - 6. Coléoptères : Lucane cerf-volant. - 7. Taupïn gris de souri:s. - 8. Grillon champêtre.

On serait porté à croire que la résistance à l'asphyxie par submersion est plus grande encore chez les insectes qui vivent ordinairement dans l'eau et ne viennent respirer à la surface que de temps en temps. Il résulte, au contraire, des expériences de M. Revaux, que les insectes aquatiques sont moins résistants que les fourmis. Des hydrophiles et des dytiques, placés pendant 10 heures dans une eau courante et aérée, sans pouvoir venir respirer à la surface, n'ont manifesté que quelques mouvements des pattes; mais le rétablissement complet n’a pas eu lieu et les insectes sont morts deux jours après.
Ces expériences ne sont pas décisives, car elles n'ont porté que sur un petit nombre d’insectes. Il serait à désirer que M. Devaux poursuivit le cours de ses travaux et fît de nouvelles recherches dont les résultats pourraient modifier les conclusions, peut-être prématurées, qu’il a déduites de ses premières expériences.

V. Brandicourt, Secrétaire de la Société Linnéenne du Nord de la France. La Nature, 1901, pp. 359-362.


À lire absolument, l'Épingle "Tête nucléaire",
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