Vers la page d'accueil d'OPIE-Insectes    


L’accouplement des Coléoptères

Depuis quelques années, je me livre à l'étude de l'accouplement dans la série animale, et regrette que mes longs travaux fauniques et dendrologiques ne me laissent point plus de temps pour effectuer des observations et des expériences sur ce captivant sujet.

Dans cette étude, je ne m'occupe nullement de l'anatomie et de la physiologie des organes génitaux, ni do leurs produits, réservant mon attention à l'acte de l'accouplement et à ses préludes, sujet vaste néanmoins, étant donné qu'il comporte aussi la connaissance des conditions ambiantes dans lesquelles s'opère l'accouplement, des époques où il se fait, de sa durée, de la répétition de l'acte copulateur, etc.

Chez les Arthropodes, il existe une grande variété dans la manière dont se fait l'accouplement, et il faudrait de nombreuses pages pour en présenter un simple résumé, que, je l'espère, j'aurai l'honneur et le plaisir de communiquer par fractions à notre Société.
Bien que la question de l'accouplement des animaux constituant les différents groupes de l'embranchement des Arthropodes soit fort intéressante, et que de nombreux renseignements à cet égard aient été insérés dans quantité de publications, cette question n'a pas jusqu'ici — du moins à ma connaissance — été traitée, avec les développements qu'elle comporte, dans des mémoires spéciaux. Peut-être un sentiment de pudeur ou la crainte de la raillerie ne sont-ils pas étrangers à cette lacune ? Pourtant, l'impudeur n'existe plus où la science apparaît. 
Plus tard, je parlerai en détail de l'accouplement des Coléoptères, et y joindrai une bibliographie aussi complète que possible. En ces lignes, je me borne à donner, sur l'accouplement de ces insectes, une brève généralisation, établie à l'aide des renseignements publiés et de mes observations personnelles.

On sait fort bien que dans la recherche des femelles en vue de l'accouplement, les Coléoptères mâles sont tout particulièrement guidés par leur odorat ; mais la vue et l'ouïe ont aussi un rôle dans cette recherche. Les mâles des espèces photogènes sont attirés par la lumière qu'émettent les femelles, de même que les mâles de certaines espèces le sont par les bruits spéciaux que les femelles produisent.

opie-insectes

Chez le plus grand nombre des Coléoptères, l'accouplement a lieu le mâle étant monté sur le dos de la femelle. Le plus souvent, la partie antérieure du thorax du mâle est légèrement en arrière de la partie antérieure du thorax de la femelle, ou à sa hauteur. Les deux thorax sont, ou plus ou moins proches l'un de l'autre, ou plus ou moins distants, selon la forme plus ou moins plate ou plus ou moins convexe de la partie dorsale, de la femelle. La figure 1, représentant l'accouple ment du Lytta optabilis (Fald.) (grossi 2 fois linéairement), et la figure 2, montrant l'accouplement de l’Apion onopordi (Kirby) (grossi 5 fois linéairement) en sont des exemples. Il convient d'ajouter que la position du mâle sur la femelle dépend aussi des conditions de la pé- nétration du pénis dans l'appareil génital de cette dernière. Pendant la copulation, les pattes du mâle ont un rôle important, servant à le maintenir fixé sur le dos de la femelle. Les pattes antérieures et les pattes intermédiaires, ou seulement les pattes antérieures, ont l'usage en question, les autres pattes demeurant libres, ou bien les six pattes servent au mâle à se tenir cramponné sur la femelle.

Chez les Coléoptères dont les pattes sont longues, les tarses et les ongles s'appliquent plus ou moins à la partie ventrale de la femelle. Mais chez les Coléoptères qui ont des pattes courtes, tels que, par exemple, les Coccinellidés, les ongles des tarses s'accrochent au bord externe des élytres, concourant ainsi, d'une manière efficace, à la solidité du mâle sur la femelle. Un exemple de ce fait est montré par la figure 3, qui représente l'accouplement de l’Adonia variegata (Goeze) grossi 4 lois linéairement.

opie-insectes

Parmi les Coléoptères qui ont ce mode d'accouplement, de beaucoup le plus fréquent dans cet ordre d'insectes, les mâles d'un grand nombre d'espèces possèdent, soit aux tarses des pattes antérieures et intermédiaires, soit aux uns ou aux autres, des modifications, importantes ou plus ou moins légères, qui contribuent à maintenir l'équilibre du mâle sur la femelle. Ainsi, chez les Dyticus, les trois premiers articles des pattes antérieures des mâles sont dilatés et réunis, formant une palette garnie, en dessous, de nombreuses papilles et de deux cupules ; en outre, les mêmes articles du tarse des pattes intermédiaires sont plus larges que les deux autres articles et garnis en dessous d'un tissu spongieux. Grâce à cette disposition, le Dytique mâle peut se tenir cramponné sur la femelle, qui, en nageant vigoureusement et avec brusquerie, cherche à se débarrasser de son cavalier. Chez la plupart des espèces de la famille des Carabidés, un ou plusieurs des premiers articles des tarses antérieurs ou des tarses intermédiaires des mâles sont dilatés et plus ou moins garnis, en dessous, de petites saillies servant à augmenter la solidité du mâle sur la femelle. Chez les Cicindela mâles, les trois premiers articles des tarses antérieurs sont plus larges que les deux autres et pourvus de brosses à leur partie, inférieure; etc.

Outre, les pattes, il est possible que les antennes jouent aussi un rôle dans l'accouplement. En effet, il paraît que les antennes des Méloés mâles servent, pendant la copulation, à tenir les antennes de la femelle. Si ce fait est exact, il y a tout lieu de croire qu'il n'est pas spécial aux Méloés.

Le plus souvent, après quelques tentatives infructueuses dont le nombre dépend évidemment des conditions physiques et physiologiques dans lesquelles se trouvent les deux animaux accouplés, le mâle introduit son pénis dans l'appareil génital de la femelle, où il déverse le sperme, soit libre, soit agglutiné en spermatophores. Ces derniers, lorsqu'ils sont abondants, peuvent même déborder de l'appareil génital de la femelle et adhérer à la partie inféro-postérieure de son abdomen. Ce dernier fait s'observe chez les Dytiques.

Il est très important d'ajouter que l'appareil copulateur des Coléoptères mâles présente souvent des modifications qui leur permettent de maintenir plus ou moins solidement la femelle pendant la durée de l'accouplement.

Chez de nombreux Coléoptères de la famille des Scarabéidés, entre autres dans la sous-famille des Mélolonthinés, le mâle, grimpé sur le dos de la femelle pendant les premières phases de la copulation, est obligé, en raison de la forme de son pénis, de se renverser progressivement sur le dos, afin de pouvoir introduire en entier cet organe dans l'appareil génital de la femelle. Ce fait est très facile à constater chez le Melolontha vulgaris (F.). Tandis que, pendant des heures, la femelle occupe une position normale, le mâle est derrière elle, en ligne droite, le ventre en l'air et plus ou moins inerte. Tantôt, la femelle reste immobile, tantôt elle traîne, dans cette lamentable posture, son époux qui, dans certains déplacements de la femelle sur le feuillage, se trouve suspendu dans le vide.

Bien que la position d'accouplement dans laquelle le mâle se tient sur le dos de la femelle soit, de beaucoup, la position la plus fréquente chez les Coléoptères, il existe néanmoins, chez un grand nombre d'espèces, un autre mode de copulation, dans lequel le mâle et la femelle sont en ligne droite, bout à bout, le pénis du mâle engagé dans l'appareil génital de la femelle, et les deux sexes reposant normalement sur leurs pattes à l'endroit où ils se trouvent. Cet accouplement linéaire existe dans les famille des Bostrychidés, Cantharidés, Cryptophagidés, Scydménidés, etc. La figure 4, qui représente, deux Atomaria testacea (Steph.) en copulation, grossis cinq fois et demie linéairement, montre un exemple de cet accouplement linéaire.

opie-insectes

Ce serait une grave erreur de croire que toutes les espèces d'une même famille s'accouplent de la même manière. Ainsi, par exemple, les deux modes de copulation que je viens de décrire existent, non seulement dans la famille des Cantharidés. mais dans la sous-famille des Cantharinés.

Outre ces deux formes d'accouplement, on a observé, dans l'ordre des Coléoptères, des modes particuliers, chez les Cebrio, par exemple. On a dit que les femelles do ces insectes se bornaient à faire saillir, à la surface du sol, leur long vagin dans lequel le mâle introduisait son pénis. Toutefois, il parait aussi que les femelles de Cebrio sortent de terre comme les mâles, au moment de s'accoupler, mais qu'elles se retirent dans leurs galeries souterraines dès que la copulation est terminée.

Les Coléoptères s'accouplent aux différentes saisons; toutefois, c'est pendant la saison chaude que, dans les régions froides et tempérées, les accouplements de ces insectes sont de beaucoup le plus nombreux. Ils ont lieu, soit durant le jour, souvent en plein soleil et par les temps orageux, soit pendant la nuit ou au crépuscule. La durée de la copulation est très variable; malheureusement, les renseignements publiés à ce sujet sont si peu nombreux, qu'il est impossible d'en faire des généralisations. Il en est de même pour la répétition de l'acte copulateur chez les deux sexes. Vraisemblablement, beaucoup de Coléoptères ne s'accouplent qu'une fois; mais, chez les espèces douées d'une certaine ardeur génitale, les mâles doivent, souvent, répéter plusieurs fois l'acte copulateur. Par exemple, chez un Hanneton vulgaire mâle, neuf coïts furent constatés dans un espace de quarante jours. Chez les Coléoptères, il arrive qu'un mâle se réaccouple plusieurs fois avec la même femelle, comme il arrive aussi qu'une femelle se réaccouple avec des mâles différents.

J'ai constaté, chez le Rhagonycha fulva (Scop.), que, pendant la copulation, les deux sexes remuaient, par intervalles, leurs antennes avec vivacité, fait qui, probablement, est général chez les Coléoptères. Cette agitation des antennes se manifestant par intervalles exprime, très vraisemblablement, un état physiologique en rapport direct avec le coït.

Un grand nombre de femelles de Coléoptères se déplacent souvent pendant l'accouplement, et, quand elles portent leur cavalier parmi le feuillage, c'est un spectacle intéressant de voir ce dernier, fréquemment renversé par les obstacles qu'il rencontre, et ne tenant guère plus à la femelle que par son armure génitale, remonter sur elle le plus rapidement et le mieux qu'il le peut, au moyen de ses pattes, et, un instant plus tard, être encore plus ou moins désarçonné par quelque nouvel obstacle.

Ajoutons que, souvent, les femelles résistent pendant quelque temps aux- mâles qui veulent s'accoupler. Ajoutons aussi que chez les espèces douées d'une grande ardeur génésique, les mâles se livrent parfois de véritables combats pour la possession des femelles.

Après avoir brièvement parlé de l'accouplement normal des Coléoptères, il importe de consacrer quelques lignes aux accouplements anomaux observés chez ces insectes, et qui peuvent être divisés en deux groupes : accouplements entre mâles et femelles d'espèces différentes, et accouplements entre mâles de la même espèce et d'espèces différentes.

Les accouplements entre mâles et femelles d'espèces différentes ne sont pas très rares chez les. Coléoptères, surtout, cela se comprend aisément, chez les espèces appartenant à un même genre ou à des genres voisins, qui ont une grande ardeur génésique et possèdent un plus grand nombre de mâles que de femelles. De tels accouplements furent constatés : 1° entre, des espèces différentes, mais du même genre, ainsi les Melasoma populi (L.) et M. aenea (L.), Cryptocephalus labiatus (L.) et C. nitidus (L.), Melolontha vulgaris (F.) et M. hippocastani (F.), etc ; 2° entre des espèces appartenant à des genres différents, mais faisant partie de la même famille, tels que les Strophosomus coryli (F.) et Sciaphilus asperatus (Bonsd.), Phosphaenus hemipterus (Goeze) et Lampyris noctiluca (L.), Epicometis hirta (Poda) et Anisoplia villosa (Goeze), etc. ; 3° enfin entre des espèces appartenant à des familles différentes, comme les Donacia simplex (F.) et Attelabus coryli (L.), Rhagonycha fulva (Scop.) et Clytanthus varius (Müll.), etc.

Pour expliquer ces accouplements hétérosexuels anomaux, il me paraît bien invraisemblable d'invoquer une méprise de l'odorat ou de la vue, et je suis très porté à croire que la cause de ces accouplements réside, au moins le plus souvent, dans l'impérieux besoin de la copulation, éprouvé par des mâles qui ne trouvèrent pas à leur disposition des femelles de leur propre espèce. Très vraisemblablement, ces accouplements hétérosexuels anomaux seraient plus nombreux chez les espèces où les mâles sont ardents et en excès, si, par suite du manque de femelles de leur espèce, ils n'avaient point à vaincre des obstacles souvent insurmontables, provenant, soit de la conformation des femelles d'espèces différentes de la leur, soit de la résistance victorieuse que ces femelles opposent au coït.

Relativement aux accouplements homosexuels, on a constaté la copulation, non seulement entre des mâles de la même espèce, par exemple chez le Melolontha vulgaris (F.), le Platycerus cervus (L.), etc., mais aussi entre des mâles appartenant à des genres différents d'une même famille, tel que l'accouplement entre mâles du Luciola lusitanica (Charp.) et d'un Rhagonycha, très probablement le fulva (Scop.). Dans le petit nombre des cas observés de cet accouplement homosexuel, le Rhagonycha était l'incube et le Luciola le succube.

Si l'on peut fort bien admettre que dans la copulation entre mâles de la même espèce, l'incube, guidé par son odorat, s'est accouplé avec le succube, parce que ce dernier, ayant coïté avec une femelle de son espèce, dégageait encore son odeur, contractée pendant la copulation, par contre cette explication ne saurait guère être donnée quand il s'agit d'accouplements entre mâles appartenant à des genres différents. Dans ce dernier cas, je pense que les accouplements n'ont d'autre cause que le besoin impérieux de la copulation.

Pour connaître, d'une façon minutieuse, l'accouplement des Coléoptères, il est indispensable, de l'étudier sur place, dans la nature, et, aussi, sur des animaux tenus en captivité. Il est intéressant d'avoir une collection de Coléoptères ayant gardé plus ou moins exactement la position qu'ils avaient pendant le coït. Malheureusement, l'obtention de tels spécimens n'est souvent pas facile, car, d'une façon générale, les Coléoptères se désaccouplent lorsque les conditions ambiantes ne sont plus normales. Évidemment, il faut chercher à tuer le plus rapidement possible les individus accouplés, et, pour ce faire, l'asphyxie dans un flacon renfermant des vapeurs de chloroforme, d'éther, de cyanogène, etc. est de beaucoup préférable à l'immersion dans un liquide toxique, Quoi qu'on fasse, les Coléoptères sont, le plus souvent, désaccouplés avant d'être morts, ou, tout au moins, n'ont plus la position exacte qu'ils avaient pendant la copulation.

Dans le but de formuler des aperçus généraux sur la question de l'accouplement des Coléoptères, que j'effleure seulement en ces lignes, il est indispensable d'avoir un très grand nombre de renseignements précis. A cet égard, je fais un appel chaleureux aux entomologistes, en les priant de noter, d'une manière exacte, la position des insectes accouplés qu'ils rencontreront, et, s'ils le peuvent, d'examiner en détail ces accouplements, et de faire, au besoin, un dessin schématique des animaux accouplés. En publiant de telles observations, ils rendront service à la science. L'accouplement des Arthropodes, connu jusqu'ici de très insuffisante manière, est, en effet, un sujet fort intéressant et qui mérite grandement d'être étudié, car il concerne l'une des phases de la fonction suprême des êtres vivants, la reproduction, qui assure le maintien de la vie sur la terre.


N. B. — Les quatre figures dans le texte ont été dessinées, sur mes indications, par mon excellent collègue et ami, M. A.-L. Clément.

H. Gadeau de Kerville : L’accouplement des Coléoptères. Bulletin de le société entomologique de France, séance du 28 février 1900.

À (re)lire :
Gadeau de Kerville – La fibre lyrique, par Jacques d’Aguilar. Insectes n° 166 (2012-3) 

À lire :
Grecques, les moeurs du hanneton ? Histoire du mot pédérastie et de ses dérivés en langue française. Par Jean-Claude Féray. Paris, Quintes-Feuilles, 2004. 



Les insectes de la Belle Époque

Vers la page d'accueil d'OPIE-Insectes