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Les insectes de la Belle Époque

LES INSECTES RÉSINIERS

La résine, cependant si répandue dans la nature, est très rarement employée par les animaux pour l'édification de leurs demeures. Cela tient sans doute à ce que, malgré sa plasticité, elle adhère très fortement et se détache difficilement de l'organe qui l'a récoltée ; elle présente aussi l'inconvénient de durcir très lentement. Il y a néanmoins des insectes qui l'utilisent : ce sont surtout des Hyménoptères appartenant au genre Anthidie. L'espèce la mieux connue à cet égard est l'Anthidie à sept dents dont nous allons succinctement relater l'histoire.

Le lieu où elle niche est singulier : c'est la coquille vide d'un escargot. On reconnaît qu'une de celles-ci est habitée quand, en la regardant par transparence, on voit une masse obscure dans les derniers tours de spires, c'est-à-dire les plus étroits. L'Anthidie préfère de beaucoup l'Escargot des vignes, Helix aspersa, mais elle se contente aussi d'espèces plus petites, l'Helix nemoralis et l'Helix cespitum notamment. Le nid est établi plus ou moins profondément suivant la largeur de la coquille. En pénétrant dans les tours de spires, on rencontre d'abord une façade formée de graviers anguleux cimentés par une résine qui, probablement, vient du Genévrier oxycèdre. En arrière vient une barricade de débris incohérents, nullement cimentés entre eux et composés surtout de graviers calcaires, de parcelles terreuses, de bûchettes, de fragments de mousse, de chatons et d'aiguilles d'oxycèdre, des déjections sèches d'escargots : c'est un véritable matelas friable et par suite bien disposé pour entretenir la chaleur interne sans mettre un obstacle trop dur à la sortie des jeunes. L'Hyménoptère ne fait d'ailleurs usage de cette barricade que dans les grosses coquilles, celles, par conséquent, où il n'occupe que le fond. Dans les petites qu'il habite intérieurement, il néglige les remblais défensifs.

Continuons notre chemin dans la coquille et nous arrivons aux loges qui habituellement sont au nombre de deux ; l'antérieure, plus ample, est l'habitation du mâle ; la postérieure, plus petite, est la demeure de la femelle. Ces loges sont limitées en avant et en arrière par des cloisons translucides, faites en résine absolument pure ne présentant aucune incrustation de matières étrangères.

Dans les coquilles, on rencontre encore un second résinier, l'Anthidium bellicosum, qui éclôt en juillet et travaille pendant les fortes chaleurs. Son architecture est la même que celle de l'espèce précédente. Comme elle, il laisse un espace vide dans les plus grands tours de spire, ce qui indique un instinct parfait. En effet, dans le creux ainsi laissé, s'établit souvent l'osmie, habile maçonne. Quand arrive le mois de juillet, les locataires de la maison à double famille deviennent forcément le sujet d'un tragique conflit. Les inférieurs, l'état adulte acquis, rompent leurs langes, démolissent leur cloison de résine, traversent la barricade de gravier et cherchent à se libérer ; mais, rencontrant le nid de boue, s'épuisent en vains efforts et meurent.

D'autres Anthidies bâtissent aussi en résine, mais non dans une coquille d'escargot. L'Anthidie à quatre lobes et l'Anthidie de Latreille nichent en effet sous les pierres, dans les creux des talus ensoleillés, un trou abandonné de scarabée, etc. : c'est un amas de cellules accolées les unes aux autres dont l'ensemble forme une masse de la grosseur du poing ou d'une petite pomme. " Au premier abord, dit J.-H. Fabre, on reste très indécis sur la nature de l'étrange boule. C'est brunâtre, assez dur, légèrement poisseux, d'odeur bitumeuse. À l'extérieur sont enchâssés quelques graviers, des parcelles de terre, des têtes de fourmis de grande taille. Ce trophée de cannibale n'est pas signe de meurs atroces : l'apiaire ne décapite pas les fourmis pour orner sa case. Incrusteur, comme ses collègues de l'escargot, il cueille aux abords de sa demeure toute granule dure propre à fortifier son ouvrage ; et les crânes desséchés de fourmis, fréquents à la ronde, sont pour lui des moellons de valeur pareille à celle des cailloux. Chacun emploie ce qu'il trouve sans longues recherches. L'habitant de l'hélice, pour construire sa barricade, fait cas de l'excrément sec de l'escargot son voisin ; l'hôte des dalles et des talus hantés par les fourmis met à profit les têtes des défuntes, prêt à les remplacer par autre chose quand elles manquent. Du reste, l'incrustation défensive est clairsemée ; on voit que l'insecte n'y donne pas grande importance, confiant qu'il est dans la robuste paroi de ses loges. La matière de l'ouvrage fait d'abord songer à quelque cire rustique, beaucoup plus grossière que celle des bourdons, ou mieux à quelque goudron d'origine inconnue. Puis on se ravise, on reconnaît dans la substance problématique la cassure translucide, l'aptitude à se ramollir par la chaleur, puis à brûler avec flamme fumeuse, la solubilité dans l'alcool ; enfin tous les caractères distinctifs de la résine. "

Les Anthidies des coquilles sont très parcimonieuses de résine. Celles dont nous nous occupons en sont au contraire très prodigues ; il serait bien intéressant de savoir où et comment s'en fait la récolte. C'est là un point curieux à étudier.

Citons enfin un autre insecte résinier, L'Odynère alpestre qui niche lui aussi dans les coquilles d'escargots et sur lequel Fabre nous a appris ce qui suit. Affranchi par l'hélice de la rude besogne du forage, il se spécialise dans la mosaïque. Ses matériaux sont, d'une part, la résine, cueillie probablement sur l'oxycèdre ; d'autre part, de petits graviers. Sa méthode s'écarte beaucoup de celle des deux résiniers logés dans l'escargot. Ceux-ci noient complètement dans le mastic, à la face externe de l'opercule, leurs grossiers moellons anguleux ; inégaux de volume, de nature variable et parfois à demi terreux, de façon que l'ouvrage, où les morceaux sont juxtaposés au hasard, dissimule son incorrection sous un enduit de résine. A la face interne, le mastic ne comble pas les intervalles, et les pièces agglutinées apparaissent avec toutes leurs irrégulières saillies et leur gauche apparence.

L'Odynère alpestre travaille d'après d'autres plans ; il économise la poix en utilisant mieux la pierre. Sur un lit de mastic encore visqueux sont enchâssés à la face externe, exactement l'un contre l'autre, des grains siliceux ronds, à peu près tous du même volume, celui d'une tête d'épingle, et choisis un à un par l'artiste au milieu des débris de nature diverse dont le sol est semé. Quand il est réussi, cas fréquent, l'ouvrage fait songer à quelque broderie en perles de quartz sommairement façonnées. Habituellement, l'Odynère n'incruste que des perles de silex. Il les aime tellement qu'il en met partout. Les cloisons qui subdivisent l'hélice en chambre sont la répétition de l'opercule : mosaïque soignée de silex translucides sur la face d'avant. Ainsi s'obtiennent, dans l'escargot, trois ou quatre loges ; dans le bulin, deux au plus. C'est étroit, mais correct de forme et solidement défendu. Enfin, souvent, de même que chez l'Anthidie, il y a, tout en avant des loges, une barricade de graviers mobiles et de nature incohérente. Les petits cailloux polis dominent, mais ils sont mélangés avec des fragments de calcaire grossier, des débris de coquille, des parcelles de terre. L'Odynère, si méticuleux dans le choix des silex de ses mosaïques utilise pour son remblai les premiers débris venus. Ainsi se comportent les deux résiniers en barricadant leurs escargots. L'amas incohérent, d'ailleurs, n'existe pas toujours, ce qui est un trait de ressemblance avec la pratique des Anthidies. Notons enfin que les tendances " résinières " n'appartiennent pas au genre, mais à l'espèce ; car, chez les Anthidies aussi bien que chez les Odynères, il en est qui font partie de la corporation des gâcheurs de terre.

Henri Coupin, La Nature, 1899, Vingt-septième année, deuxième semestre, p. 18-19.

Anthidie à sept dents, Anthidium septemdentatum ; Anthidie de Latreille, A. punctatum (?), Hym. Apidés.
Osmie, Osmia spp., Hym. Apidés.
Odynère, Hym. Vespidé.


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