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Les insectes de la Belle Époque


LA LUMIÈRE DU VER LUISANT ET LES RAYONS X 
 

  

Plusieurs coléoptères de la tribu des lampyrides possèdent la propriété d’émettre de la lumière, mais on réserve spécialement le nom de ver luisant (fig. 1) à une espèce des plus répandues, le lampyre noctiluque (Lampyris noctiluca Lin.). C’est un insecte appartenant à l’ordre des coléoptères, tribu des Malacodermes, famille des Lampyriens.

La lumière du mâle est à peine visible (il faut y regarder de très près). C’est seulement la femelle qui est à proprement parler le Ver luisant. Les larves reçoivent aussi cette dénomination, mais elles sont toujours moins lumineuses que les femelles. L’appareil photogène (fig.2) occupe le dessous des trois derniers anneaux de l’abdomen chez la femelle, et des deux derniers chez le mâle, où il est très peu développé.

Les larves semblables, dans les deux sexes, se nourrissent surtout de mollusques terrestres ; elles passent l’hiver engourdies. Au moment de la nymphose, leur peau se fend sur les côtés du thorax, et non sur le dos ainsi que cela a lieu pour les autres coléoptères.

Fig. 1. Ver luisant

La nymphe du mâle est immobile comme chez tous les insectes de cet ordre, mais par une exception singulière, celle de la femelle est agile et phosphorescente aussi bien que la larve et la femelle adulte (ou parfaite). Les œufs sont également fluorescents. Les adultes commencent à paraître fin de mai. La phosphorescence persiste 2 à 3 jours après la mort, d’une manière peu intense et Macaire (*) a montré qu’on la rend sensible en chauffant l’insecte.


Fig. 2. - A. organes photogènes d'une larve de lampyre noctiluque. - B. Coupe très grossie d'un de ces organes; a, cellules granuleuses ; b, granulations cristalloïdes.

Depuis longtemps, ce don magique a rendu cette bestiole aussi célèbre parmi les enfants que dans le monde des naturalistes. Sans remonter à Pline ou aux encyclopédistes du moyen âge, plusieurs savants de notre siècle ont étudié sa curieuse luminosité ; entre autres, Macartney (1810) et Matteucci (1843), qui éclaircirent certains points. Puis M. Jousset de Bellesme reprit la question en 1880. D’après son travail, les cellules à protoplasma granuleux produisent une substance devenant lumineuse au contact de l’air amené par les trachées, et la phosphorescence du lampyre est une propriété générale du protoplasma provenant d’un dégagement d’hydrogène phosphoré.

Ces conclusions ne paraissent pas cadrer avec les recherches récemment faites par un professeur à l’Université de Kyoto, M. Muraoka. Accordons à ces dernières un moment d’attention. M. Becquerel, ayant constaté que certains corps fluorescents, par exemple les sels d’uranium, émettent des rayons analogues à ceux de Röntgen, le physicien japonais a eu l’idée d’examiner, à ce point de vue, la lumière du lampyre, et voici les principaux résultats obtenus au cours de ces investigations, dont les Annalen der Physik und Chemie nous apportent le récit.


Fig. 3.  Dames japonaises ramassant des vers luisants.
Réduction d'une estampe japonaise.

Dans une première expérience, ce savant plaçait des lames de cuivre, d’aluminium et de laiton l’une à côté de l’autre sur une plaque photographique. Pour éviter le contact de la plaque avec les métaux, il interposait une feuille de carton portant en son milieu une ouverture circulaire. Le tout, posé au fond d’une caisse plate, était enveloppé de plusieurs épaisseurs de papier noir. Il y mettait environ 300 de ces beaux vers luisants qui, vers la mi-juin, se rencontrent à profusion dans la banlieue de Kyoto et dont la chasse est un des plaisirs favoris du beau sexe dans l’Empire du Mikado (fig.3). Un filet les empêchait de s’envoler durant les deux jours qu’on les tenait prisonniers, et l’appareil était disposé dans une chambre noire, afin des les mettre à l’abri de toutes lumières étrangères.

Il s’agissait de se rendre compte si les rayons émis par les vers et « filtrés » par le papier étaient capables de traverser les métaux, puis d’agir sur la plaque photographique. Les ouvertures circulaires pratiquées dans les feuilles de carton permettaient d’estimer par comparaison l’intensité de l’action. On remarqua que les parties de la plaque en contact avec les feuilles étaient noircies, alors que les endroits correspondant aux découpures étaient inaltérés.

Mais l’impression photographique était-elle due uniquement au simple contact du carton ? Pour le savoir, M. Muraoka répéta l’expérience en supprimant les métaux, et en ne laissant que les feuilles de carton pourvues en leur milieu d’un trou circulaire. Au développement, la partie correspondant ç cette ouverture était noire, et les parties en contact apparaissaient moins foncées. Donc le rapprochement du carton et de la plaque photographique n’était pas la seule cause des phénomènes observés.

D’autre part, en renversant l’ordre expérimental, c’est-à-dire en plaçant les lames métalliques directement sur la plaque, et les feuilles de carton découpées au-dessus, les places en regard des découpures ne subirent pas d’altération, tandis que le reste était uniformément coloré. Rien ne se produisait, d’ailleurs, si on disposait sur une plaque de cuivre avec découpure, une feuille de carton n’en ayant pas. En outre, l’aluminium était plus facilement traversé que le cuivre, et ce dernier encore plus aisément que l’étain. Quant à l’épaisseur, elle ne semblait pas jouer un grand rôle. Il en était de même pour la coloration du verre. Elle n’influait en aucune façon sur la transmission lumineuse, et à l’inverse de ce qui a lieu pour les rayons Röntgen, les substances provoquant la fluorescence étaient perméables à la lumière du ver luisant. Cependant il y avait, comme pour les rayons X, un certain rapport entre la perméabilité et la densité. Enfin les phénomènes se manifestaient seulement lorsque la feuille de carton découpée était mise, soit en contact direct avec la plaque photographique, soit par-dessus une lame de métal ou de carton « filtrant » une seconde fois les rayons passés déjà au travers du papier noir. En augmentant aussi le nombre des plaques de carton avec ouvertures, - chacune de celles-ci étant placée au-dessous d’une autre –, l’intensité de l’impression photographique s’accroissait.

De toutes ces expériences, ainsi que d’autres moins importantes pour lesquelles nous renvoyons le lecteur au mémoire original, on est endroit de conclure que la lumière des lampyres dépend surtout de la matière interposée. S’il n’y a rien entre l’insecte et la plaque, les rayons émis se comportent comme de la lumière ordinaire : ils sont capables de se réfracter, de se réfléchir ou de se polariser.

Au contraire, les rayons transmis par le carton ou les plaques de cuivre ont des propriétés analogues à celles des fameux x-strahlen ; ils paraissent les acquérir durant leur passage à travers la « substance filtrante » et elles varient avec cette dernière. Ils peuvent aussi se réfléchir, mais ne se polarisent ni ne se réfractent pas. Enfin, particularité intéressante à signaler, ces « rayons filtrés » jouissent à la fois des propriétés des rayons ultra-violets et de celles des rayons de Röntgen. Ne serait-il pas alors plus logique d’admettre que le lampyre émet deux espèces de rayons, les rayons lumineux ordinaires et les rayons X ?

Elle est bien étrange cette luminosité  qui, depuis des siècles, défie la sagacité des chercheurs ! M. Muraoka a voulu soulever un coin du voile. A-t-il réussi à serrer le problème de plus près ? That is the question. En tous cas, croyons-nous, le dernier mot n’est pas encore dit.

 
Jacques Boyer, La Nature, 1897, 2e semestre, p. 180-181.


* Macaire, Annales de physique et de chimie, 2e série, 1821, t. XVII, p. 231.



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