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Les insectes de la Belle Époque


UN PAPILLON GÉANT, PAPILIO ANTIMACHUS


Pendant le cours de sa périlleuse expédition au Congo, M. Jean Dybowski a récolté en divers points de son voyage un grand nombre d’insectes. Brazzaville, Bangui et Haut-Kémo sont les principales étapes où le voyageur a fait les chasses entomologiques les plus fructueuses.

Tous les ordre de la classe des insectes, de cette importante division du règne animal, sont représentés par un plus ou moins grand nombre d’espèces dont quelques-unes sont très remarquables. Nous nous contenterons aujourd’hui de signaler un papillon superbe, d’une envergure considérable et dont la rareté est bien connue de tous les entomologistes, c’est le Papillon Antimaque (Papilio antimachus).

Comme son nom d’indique, l’Antimaque appartient à ce grand groupe des Papilio dont, certes, tout le monde a admiré les représentants de la faune française. Il fut trouvé pour la première fois à Sierra-Leone et décrit à la fin du siècle dernier, en 1782, par Drury, dans son ouvrage ayant pour titre Illustrations of natural history. La description de l’insecte, ainsi que la figure qui y est jointe, permet à toute personne, même étrangère à l’entomologie, de déterminer cette grande espèce. Mais cette description est très aride et nous préférons faire ressortir, d’après la magnifique composition qui accompagne cet article, les principales particularités du Papillon Antimaque.

Notre gravure représente l’Antimaque dans diverses attitudes, soit au vol, soit au repos. Au premier plan, l’insecte vient de se poser sur le sable d’un rivage pour y chercher sa nourriture dans les matières en décomposition, comme beaucoup de nos papillons diurnes. La tête et le corselet sont noirs et tachetés de petits points clairs, presque blancs ; on en compte dix sur la tête, quatre aux insertions des ailes et un certain nombre sur les côtés du thorax ; l’abdomen est également noir en dessus, mais devient couleur d’argile en dessous, sur les côtés et à l’extrémité. Les ailes dont on voit le dessous sont d’une coloration claire, grisâtre aux extrémités, et parsemées de taches noires qui correspondent à celles qui ornent l’autre face. Les ailes supérieures sont noires au dessus, mais cette teinte, foncée près du corps, va en s’éclaircissant vers les extrémités. Sur cette face, elles présentent également des taches claires, de couleur fauve, irrégulières, tantôt ovales, tantôt en forme de croissant. Les ailes inférieures portent des dentelures bordées de croissants jaunes.

Si l’on considère maintenant la figure qui représente l’insecte au vol, ce qui frappe le plus la vue et qui, dans le Papillon Antimaque, est la particularité la plus remarquable, c’est certainement son envergure considérable. En effet, le Papillon Antimaque est le géant des Papilio. L’exemplaire décrit par Drury mesurait, les ailes déployées, près de 8 pouces et demi, c’est-à-dire 21cm,589, en supposant que cet auteur se soit servi de la mesure anglaise. Les exemplaires rapportés par M. Dylowski ne sont pas inférieurs comme taille au précédent, car leur envergure est de 21 centimètres et demi, et la petite différence qui existe peut parfaitement s’expliquer par certaines modifications dans le mode de préparation. La base des ailes supérieures des derniers forme une ligne horizontale qu’il est difficile de retrouver dans celui qui est figuré dans l’ouvrage de Drury, où les ailes sont peu relevées, et li est probable que, si la préparation eût été la même, les exemplaires rapportés du Congo seraient plus grands que les autres.

Jusqu’ici, le Papillon Antimaque était très rare dans les collections, et le laboratoire d’entomologie du Muséum national d’histoire naturelle de Paris n’en possédait aucun exemplaire avant 1891, année où fut faite l’acquisition d’un mâle, mesurant 19 centimètres d’envergure, à un prix très élevé que seules les personnes familières avec l’entomologie peuvent soupçonner. Un autre, mesurant seulement 18 centimètres, se trouve dans la collection léguée par feu M. de Beaulieu. Les papillons provenant de Bangui viendront former, de la plus heureuse manière, une série d’individus de taille bien différente.

Jusqu’ici, nous n’avons parlé que du mâle ; la femelle était restée inconnue pendant très longtemps, et c’est seulement dans le courant de l’année dernière qu’un exemplaire fut décrit par Watkins dans The entomologist’s monthly magazine. D’après cet auteur, la femelle aurait les ailes supérieures plus arrondies et moins allongées et serait d’une taille inférieure à celle du mâle ; mais en considérant les différences qui existent pour ces derniers entre les exemplaires connus, il est difficile de se faire une opinion bien juste, car ces même différences peuvent exister chez la femelle ; nous réserverons également une autre opinion qui la présente comme ayant le fond général des ailes moins garni d’écailles, ce qui les rendrait plus diaphanes. M. William Watkins fait remarquer que l’extrémité anale de la femelle est pubescente et n’est pas pourvue de pinces cornées comme chez le mâle. L’exemplaire dont nos venons de parler fait partie de la collection de M. Hubert J. Adams, d’Enfield.

Bien que décrit depuis plus d’un siècle, le Papillon Antimaque, par suite de sa rareté, n’a pas été l’objet de travaux nombreux. C’est à peine si nous avons pu, dans nos recherches bibliographiques, trouver quelques notes ou communications. Les auteurs n’ont fait que reprendre la description de Drury sans y ajouter aucun renseignement nouveau. Les mœurs de cet insecte ne sont pas connues, et les voyageurs n’ont fourni que des remarques peu importantes. Cependant M. Hettwisson, au nom de M. Rogers, a donné un récit assez précis de la capture d’un de ces exemplaires. M. Rogers le prit dans une petite île voisine de Fernando-Po. La patience de ce voyageur faut vraiment mise à l’épreuve, car, le premier jour, il dut se contenter de l’admirer ; mais avec une persistance digne de louanges, il revint le lendemain et aperçut l’insecte volant autour de la cime d’un arbre et se tenant toujours hors de portée. Le chasseur devait commencer à perdre patience, lorsqu’une pluie torrentielle se mit à tomber, et le Papillon Antimaque, fuyant devant ce déluge, se dirigea vers M. Rogers qui le captura du premier coup de filet. Inutile de dépeindre la joie de l’heureux possesseur d’un trésor semblable.

Au point de vue de la distribution géographique de cette espèce, le dernier envoi présente un intérêt tout particulier. L’Antimaque était considéré par certains auteurs comme habitant exclusivement le littoral. Les capture précédentes ont été faites soit à Fernando-Po, soit à Sierra-Leone ; la nouvelle localité, Bangui, se trouve située à grande distance de la côte. C’est là un point très intéressant et qu’il est utile de noter. L’aire géographique du papillon est donc très étendue. Il doit se trouver dans toute l’Afrique Occidentale, et il est à souhaiter que des voyageurs plus heureux rapporteront ces insectes en plus grande quantité et surtout récolteront des chenilles, ce qui permettre d’étudier toutes les métamorphoses de cette magnifique espèce. De cette étude découlera peut-être plus d’un fait intéressant comme classification. Le Papillon Antimaque, rangé jusqu’ici dans le genre Papilio, pourrait fort bien être rattaché au genre Ornithoptère, dont il possède certains caractères.


Paul Tetrin et Edmond Bordage, préparateurs au Muséum. La Nature, 1893. 248-250.

Son nom actuel est demeuré Papilio antimachus mais pour certains auteurs, il est Dryura antimachus (Lép. Papilionidé), comme sur ce timbre



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