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Les insectes de la Belle Époque


LES VERS DU BISCUIT DE TROUPE

Le biscuit constitue la base de l’alimentation du soldat en campagne, c’est donc un produit dont la conservation et la qualité doivent être parfaites. Malheureusement il est en grande partie avarié par des vers qui le souillent, et sont la principale cause de la répugnance du troupier pour cet aliment. Comme on fabrique de 120 000 à 130 000 quintaux de biscuits tous les ans, on voit l’importance qu’il y a à connaître les mœurs de ces parasites pour en arrêter les déprédations.

Les dégâts sont produits par la chenille de plusieurs Microlépidoptères, principalement celle de l’Ephestia elutella, Hub. Ils se révèlent ainsi : le biscuit avarié présente à l’entrée de quelques trous une sorte de toile d’araignée gris sale, emprisonnant dans ses mailles de petits grains jaunâtres qui sont les excréments de la chenille ; en agitant le biscuit en l’air, on voit bien flotter ces petites toiles. Ouvrons le biscuit en glissant une lame de couteau parallèlement à la face supérieure, nous obtenons deux demi-galettes ; nous voyons alors une sorte de boyau constitué par des débris provenant du biscuit et réunis par quelques fils de soie, boyau où se tient la chenille parasite (fig. 1). Cette galerie est toujours très proprement tenue ; tous les excréments sont rejetés à l’extérieur, mais il en reste souvent d’emprisonnés dans les toiles tapissant les trous.

Fig. 1. – Biscuit de troupe. – A. Toile et boules excrémentielles. – B. Galerie ou tube de la chenille.

La chenille de l’Ephestia elutella, Hub. (fig. 2, n°4) a environ 10 millimètres de longueur, quand elle est adulte ; elle est d’un blanc jaunâtre avec quelques poils blancs très fins, une tête cornée brunâtre, et trois paires de courtes pattes. Elle se transforme en une chrysalide de couleur jaune brun, enfermée dans un amas de toile formant un cocon grossier.

Fig. 2. - Papillons et chenilles du biscuit de troupe. – 1. Ephestia elutella, grossie deux fois. – 2. Ephestia interpunctata, grossie deux fois. – 3. Asopia farinalis, grossie deux fois. – 4. Chenille d’Ephestia elutella, grossie trois fois. – 5. Chenille d’Asopia farinalis, grossie deux fois.

Le papillon (fig. 2, n°1) qui en provient a 15 millimètres d’envergure ; les ailes sont d’un gris cendré, les supérieures traversées par deux lignes plus claires ; elles sont repliées le long du corps à l’état de repos. Les éclosions se font l’été, du 15 mai au 15 septembre environ, avec un maximum du 15 juin au 1er août. Il n’y a qu’une seule génération. Nocturne, le papillon ne vole que la nuit ou dans un lieu obscur. La femelle, dans les fabriques, cherche les biscuits exposés à l’air pour ressuyer, et pond de place en place une cinquantaine d’œufs en les glissant dans les fentes et les trous de la galette. Dans les magasins, elle s’introduit par les joints dans les caisses, jusqu’au papier entourant le biscuit, et y pond ses œufs. A défaut, elle les dépose dans les fissures des murs avoisinants. Au bout de quelques jours, les œufs éclosent ; la petite chenille, mince comme un fil, est très agile et court en tous sens pour trouver de quoi manger. Si elle éclôt dans une fente du mur, le chemin est bien long pour arriver au biscuit ; de toutes façons, une fois celui-ci atteint, elle cherche un point faible pour pénétrer dans la place, ses mandibules étant trop molles pour entamer la surface dure du biscuit. Elle finit par trouver une fente imperceptible débouchant dans un des trous naturels de la galette, s’y faufile, gagne les interstices des feuillets et y élit domicile. Elle mange alors sans trop se déplacer, grossit peu à peu, mue de temps en temps, et en trois mois et demi à quatre mois arrive à son entier développement.

Comme particularités, notons qu’il n’y a guère que deux ou trois chenilles par galette, pace que ces parasites ont en général un grand nombre de biscuits à leur disposition. En outre, les chenilles préfèrent toujours les biscuits frais aux vieux. Enfin, elles peuvent restreindre leurs besoins et vivre, par exemple, dans les fentes d’une caisse ou d’un mur, ne recevant pour toute nourriture que les poussières des magasins.

La chenille adulte, pour se chrysalider, choisit une petite cavité de la galette, et se forme un cocon grossier. Parfois, elle sort du biscuit, s’installe dans une fente de la caisse, et même quitte cette dernière pour se fixer dans une fissure des murs. Celles qui ne sont pas encore adultes s’engourdissent aux premiers froids d’octobre, et passent ainsi l’hiver. Aux premiers beaux jours, en avril, elles se réveillent, et se remettent à manger. L’Ephestia reste une quinzaine de jours à l’état de chrysalide, et un beau jour le papillon éclôt, sort du biscuit et s’échappe au dehors.

Nous avons aussi rencontré dans les biscuits : l’Ephestia interpunctata, Hub. (fig. 2, n°2), plus grande que la précédente et plus foncée, beaucoup plus rare (1 à 2 pour 100) ; et : l’Asopia farinalis (fig. 2, n°s 3 et 5), de 25 millimètres d’envergure, à ailes jaunâtres tachées de brun, un peu moins rare (3 à 4 pour 100). Leurs mœurs sont semblables à celles de l’Ephestia elutella.

Modes de contamination du biscuit. – La chenille choisit toujours les galettes épaisses, peu cuites, tendres, fissurées ou cassées, car elle y pénètre mieux, mais à leur défaut elle s’attaque aussi aux biscuits durs et bien comprimés. Le biscuit peut être contaminé de trois façons : 1° Dans les usines de fabrication, le biscuit est susceptible d’être infesté durant les quatre mois d’éclosion ; les papillons volent le soir en tous sens, pénètrent dans les salles de ressuyage, et déposent leurs œufs directement sur les biscuits qui y sont étalés. Ou bien, au moment de la mise en caisse, le papillon se laisse tomber dans la caisse où il pondra avant de mourir. 2° Les caisses d’emballage, en bois, qui ont renfermé du biscuit avarié, sont infectées et cachent dans leurs fissures des chenille engourdies ou des chrysalides. Il est vrai qu’on les désinfecte par un passage à l’étuve, mais il est souvent fait d’une façon sommaire qui le rend illusoire, et ne tue pas les chenilles. 3° Enfin les magasins des manutentions sont infestés de papillons et de chenilles nées dans les fissures des murs, qui vont pénétrer partout et contaminer des caisses de biscuit primitivement irréprochable.

De ces trois modes, le plus grave est celui qui résulte des papillons l’été, soit dans les usines, soit dans les magasins, et c’est ce point qui attirera le plus notre attention dans les mesures prophylactiques.


Moyens de destruction. – Actuellement, on se contente de brosser le biscuit tous les six mois ; cela ne constitue que la toilette extérieure de la galette, et ne gêne en rien la chenille. Il faut, au contraire, défaire la caisse, étendre le biscuit pendant un quart d’heure dans une étuve à 120 ° ou 130° (par exemple, dans un four à pain), et étuver aussi la caisse. Sûrement alors tous les parasites seront tués dans leurs retraites par la haute température ; c’est l’unique moyen à employer.


Mesures de préservation. – 1° Pour assurer la préservation absolue du biscuit, la première condition est de ne fabriquer que pendant les huit mois (du 15 septembre au 15 mai) où il n’y a pas d’éclosion, pour éviter la contamination par les papillons dans les usines. 2° La seconde condition, aussi indispensable, est d’emballer le biscuit dans des caisses en fer-blanc mince, fermées par du papier collé sur les jointures (comme pour les biscuits du commerce), ou mieux soudées. Avec ces précautions, l’immunité du biscuit est assurée, aucun parasite ne pouvant pénétrer dans les caisses métalliques. S’il n’est pas possible de cesser la fabrication en été, mettre le plus tôt possible le biscuit dans les caisses en fer-blanc. 3° Si l’on s’en tient aux caisses en bois, il faut les désinfecter parfaitement par un passage d’un quart d’heure dans une étuve à 120°, ou de cinq minutes dans l’eau bouillante. Ne faire cette désinfection qu’au fur et à mesure de la mise en service des caisses, pour éviter une contamination dans l’intervalle. 4° Il convient, en outre, de tenir les lieux de fabrication et les magasins de manutentions dans un état de très grande propreté. On empêchera le développement des parasites en badigeonnant les murs et les plafonds avec du coaltar pétrolé (5 à 10 pour 100 de pétrole) dans toute leur étendue, ainsi que les colonnes de soutien, et en passant les planchers à l’eau de potasse. 5° Enfin, pendant les éclosions, on tuera les papillons, en tendant des pièges dans les magasins pour les engluer, fils et assiettes enduites d’un produit  visqueux et sucré (miel, mélasse, glucose) ; en allumant le soir des lampes à feu nu pour les attirer et les brûler ; enfin en désinfectant les salles par l’acide sulfureux pour asphyxier les papillons éclos et les larves cachées dans les fissures des murs.

Il résulte de nos expériences que ces moyens prophylactiques permettront à l’avenir de mettre le biscuit à l’abri de ses parasites, soit que l’on conserve le biscuit actuel, soit que l’on adopte, comme il est probable, un nouveau produit plus agréable au goût parmi ceux proposés (pain condensé Eon, pain comprimé Besnard, bispain Serrant, biscuit Perier, etc.).

Dr Ch. Decaux (La Nature, premier semestre 1893, p. 75-76)


Ephestia elutella, Lép ; Pyralidé. Teigne du cacao   
Ephestia interpunctata = Plodia (Ephestiainterpunctalla, Lép. Pyralidé. Pyrale des fruits secs.  
Asopia farinalis = Pyralis farinalis, Lép. Pyralidé. Pyrale de la farine.

On apprendra, à la fin de cet article (Revue d'hygiène et de police sanitaire, 1893, n° 15), ce qu'étaient le pain condensé Eon, le pain comprimé Besnard, le bispain Serrant et le biscuit Perier.
Les dernières lignes  révèlent comment, en fait, l'Armée vient à bout de ces déprédateurs :

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