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Les insectes de la Belle Époque

LES ARAIGNÉES

Il semble que l'araignée doive être assez connue de tout le monde pour qu'il ne soit pas nécessaire de la décrire. Mais quoique très répandu, ce petit animal est rarement examiné de près : les uns sont retenus par une crainte qui n'est pas ,justifiée, les autres, par une répugnance invincible. Il y a d'ailleurs des détails qu'on ne peut voir qu'à l'aide de la loupe, et avec une sérieuse attention. Nous allons donc rappeler en quelques mots les principales particularités de sa structure et de son organisation.

Le corps de. l'araignée se compose de deux parties bien distinctes : l'une comprenant la tête et la poitrine ensemble (céphalothorax), l'autre, le ventre (abdomen), nettement séparées par un étranglement. Sur le devant de la tête se trouvent deux appendices pourvus de crochets venimeux et sur le dessus sont répandus les yeux au nombre de six ou huit, plus souvent huit. L'araignée domestique (tégénaire) en possède huit, disposés en deux rangs parallèles, à raison de quatre par rang, formant deux lignes presque droites. .

Tout est étrange dans les yeux de cet animal : le nombre, la disposition, la diversité de grandeur et de forme. Cela n'annonce pas nécessairement une vue ni très étendue, ni très délicate, ni très perçante. Et d'abord, ils sont fixes; ils ne roulent pas comme les nôtres, dans leurs orbites, de manière que l'animal puisse les diriger vers les divers points de l'espace. Ne serait-ce pas à ce défaut de mobilité que serait destiné à suppléer le grand nombre ? Au lieu d'un œil unique qui se déplace dans son orbite et s'accommode aux diverses distances, ce sont peut-être des yeux fixes qui ont chacun une direction particulière et qui permettent à l'animal de voir à des distances variées ? Qui sait encore si les uns ne lui servent pas dans l'obscurité, les autres, à la lumière du jour ? Il y a là des études à entreprendre, en plaçant l'animal dans des conditions ne lui permettant 1'usage que de certains de ses yeux à tour de rôle.

Fig. 1. Disposition des yeux chez les diverses espèces d'araignées.
1. Argyronète ; 2. Cténize ; 3. Théridion ; 4. Agélène ; 5. Thomise ; 6. Lycose ; 7. Espèce voisine des araignées ; 8. Saltique ; 9 ; Épeire ; 10. Tétragnathe; 11 ; Ségestrie.

Les araignées sont diurnes ou nocturnes, il y en a qui vivent sous terre, ce qui exige des yeux en harmonie avec ces diverses conditions d'existence. Le groupement des yeux caractérise si nettement les espèces qu'on a pu s'en servir comme moyen de classification. Les mœurs ont permis ensuite de rendre compte des particularités qu'on remarque dans les yeux.

Le toucher paraît être leur sens par excellence le plus développé et le plus affiné, car pour ce qui est de l'ouïe, on ne saurait admettre, jusqu'à présent au moins, qu'elles en soient douées puisqu'on ne leur connaît pas d'oreilles, et il est permis de ranger parmi les fables le prétendu sens musical que Pélisson seul, assez pauvre observateur d'ailleurs, leur a attribué. Lorsqu'une araignée sort de sa retraite au son d'un instrument, c'est sans doute à cause des trépidations occasionnées dans sa toile par les vibrations sonores et qui l'inquiètent loin de la charmer. Chez quelques espèces de la famille des Théridiidae, le mâle possède un organe stoidulatoire, ce qui laisse supposer que l'ouïe existe chez la femelle. Les araignées, on le sait, possèdent huit pattes ; mais ce qu'on ignorait, avant les ingénieuses expériences de M. Carlet, c'est la manière dont elles marchent. Le savant professeur de Grenoble a étudié comparativement la marche des animaux à quatre, six et huit pieds. Parmi les quadrupèdes, par exemple, la girafe marche à l'amble, c'est-à-dire en avançant alternativement les deux jambes d'un même côté, tandis que le cheval a deux allures, car il peut marcher à l'amble ou en avançant alternativement une des jambes de devant avec celle de derrière du côté opposé. La marche des lézards, des grenouilles, des tortues, ne ressemble nullement à celle des mammifères quadrupèdes malgré l'égalité du nombre de leurs membres. Les insectes avancent simultanément et alternativement les pattes impaires d'un même côté (premier et troisième) avec la patte paire (deuxième) du côté opposé, tandis qu'ils reposent sur les trois autres. Les trois points d'appui sont les sommets d'un triangle. Ils marchent comme deux quadrupèdes qui auraient en commun les deux pattes moyennes, l'un possédant les quatre premières, l'autre les quatre dernières. Enfin, les araignées. marchent comme deux quadrupèdes qui se suivent, c'est-à-dire en avançant les pattes de rang impair d'un côté (un et trois) en même temps que celle du rang pair du côté opposé (deux et quatre). Si l'on supprime deux pattes de même rang, deux impaires ou deux paires, mais l'une d'un côté, l'autre de l'autre, de manière à réduire à six le nombre de leurs membres comme chez les insectes, elles se mettent aussitôt à marcher comme ces derniers. Enfin, si on leur retranche deux autres pattes, elles marchent comme les quadrupèdes. Il y a donc, on le voit, une loi générale de la marche chez les êtres vivants qui assure la stabilité pendant le mouvement.

Fig. 2. Segestrie et son nid en tube

C'est moins encore sa laideur physique que ses mœurs singulières qui doivent nous inspirer de l'éloignement pour l'araignée. Au rebours de la règle générale, l'araignée vit le plus souvent seule. Tandis qu'on cite souvent comme digne de remarque l'instinct maternel chez les animaux, on entend rarement parler de la famille de l'araignée et de sa tendresse pour ses petits. L'observateur est quelque fois témoin d'un fait surprenant, étrange, d'une véritable anomalie, au moment de l'union de ces êtres. Il voit apparaître, sur la toile de dame araignée, un mâle généralement plus petit que la femelle, et parfois d'une taille tout à fait disproportionnée. Ce petit être mesure ses pas, s'avance avec précaution sur la pointe de ses pattes, paraissant éprouver un espoir qui n'est pas sans mélange. Craindrait-il de déplaire? Nullement. La confidence dure peu, mais il importe qu'aussitôt terminée, le mari déguerpisse au plus vite s'il ne veut être croqué par sa femme comme une vulgaire mouche. Le fait n'est pas général, et nous nous plaisons à croire que le mâle est ainsi dévoré lorsque la femme est depuis longtemps à jeun, ce qui serait une circonstance atténuante. Mais si l'araignée observe si peu les devoirs conjugaux, par contre, elle a un très grand soin de ses œufs. Ils sont ronds et lisses. Elle les enferme tantôt dans une coque, tantôt dans un sachet soyeux; selon l'espèce. Il en est qui les réunissent en un tas sous leur corps. Au bout de quinze jours environ, les petites araignées sortent de l'œuf ; elles diffèrent peu de leurs parents et n'ont pas à subir de métamorphoses. La mère les défend avec beaucoup de tendresse et de dévouement jusqu'à ce qu'elles soient en état de se suffire à elles-mêmes. Alors, elle les chasse et rentre seule chez elle. Quant au père, il ne connaîtra jamais ni les charges ni les douceurs de la paternité. Nous donnons comme exemple le Segestrie et son nid en tube dont notre gravure (fig. 2) ne montre que l'entrée. Les divers fils viennent aboutir en un point du tube sur lequel sont posées ses deux premières pattes lorsqu'elle est à l'intérieur. Les araignées aériennes nous sont assez familières, mais nous avons moins d'occasions d'observer celles qui vivent sous terre ou dans l'eau. La Lycose a un véritable terrier (fig. 3). La Tarentule fait partie du genre Lycose.

Fig. 3. Lycose à la porte de son terrier

Parmi les autres araignées terrestres, nous citerons la Mygale pionnière, dont les pattes sont conformées de manière les unes à fouir et les autres à filer. Elles creusent un puits dont la profondeur varie de quelques centimètres à 2 ou 3 décimètres, d'un diamètre proportionné à la grosseur de l'animal. Les parois sont d'abord consolidées et unies, puis revêtues d'une tenture de soie blanche et brillante, plus ou moins épaisse, adhérant fortement. L'ouverture est fermée à l'aide d'un couvercle de terre, tapissé de soie sur la face inférieure ; elle est légèrement évasée en entonnoir et le couvercle est taillé en biseau de manière à s'y adapter exactement. Une charnière en soie élastique et résistante permet à l'animal de soulever le couvercle, comme une porte qui tourne sur ses gonds (fig. 4). Le dessus du couvercle est parsemé de petites pierres qui ne permettent pas de le distinguer aisément du sol environnant lorsqu'il est abaissé. Il est tronqué à l'endroit où se trouve la charnière. Enfin, on remarque sur la partie du bord opposée à la charnière de nombreux petits trous, dans lesquels l'animal engage ses griffes, s'accroche ainsi et s'arc-boute à la paroi pour maintenir le couvercle fermé hermétiquement lorsqu'il est chez lui et qu'un ennemi cherche à pénétrer dans sa demeure. Certaines font des puits courbes à deux ouvertures ; d'autres les font bifurquer à l'intérieur et varient les formes et les dimensions des diverses parties ; elles établissent des couvercles aux points de bifurcation et ont ainsi un appartement composé de plusieurs pièces indépendantes ; d'autres enfin construisent des souterrains plus ou moins contournés et irréguliers. Il en est une en Afrique qui garnit son terrier d'un tube de soie blanche, lequel se prolonge de 10 à 15 centimètres au-dessus du sol, s'évase légèrement et se trouve maintenu verticalement par des herbes. D'autres, du même pays, prolongent leur terrier hors du sol, à une hauteur variable selon les espèces et qui peut atteindre 10 centimètres, avec ou sans couvercle. Ce tuyau extérieur, formé d'un tissu solide et résistant, est recouvert de débris de feuilles et de terre.

Fig. 4. Mygale pionnière et son habitation

Un mot pour terminer sur l'araignée aquatique (argyronète). Grise ou brune, velue, on la voit plonger, nager dans l'eau, gagner la surface, puis replonger, lorsqu'elle construit son nid. Observez-la : la voici près de la surface, la tête en bas, ne laissant affleurer que l'extrémité postérieure de son abdomen. Elle croise alors rapidement. les pattes voisines au-dessus de son corps. Tout autour de la partie qui affleure se forme une légère dépression et l'air qui s'y trouve est emprisonné par les poils. Elle en est enveloppée pour ainsi dire, ce qui lui donne des reflets brillants et argentés quand elle est plongée dans l'eau. Elle plonge alors et, avec ses pattes, elle rassemble l'air qui la recouvre en une bulle unique qu'elle dépose sous quelques légers fils ou qu'elle fixe à des brins d'herbe. Cela fait, elle remonte à la surface, recommence le même manège, et, il chaque nouveau plongeon, augmente sa provision d'air. La bulle est bientôt visible. Lorsqu'elle est de la grandeur d'une petite bille, elle jette au-dessus des fils dont l'éclat argentin a fait donner à l'araignée le nom d'argyronète, c'est-à-dire qui file de l'argent. Elle passe et repasse, entre-croisant ses fils, et les fixant, par leurs extrémités, aux plantes voisines. La cloche, de forme ovoïde, se trouve ainsi maintenue en suspension dans l'eau. Elle est environ dix fois plus grande que l'animal. On la figure ordinairement transparente, mais c'est qu'alors elle n'est pas terminée. Quand elle est achevée, elle est opaque comme un cocon de ver à soie. C'est dans cet abri aérien, sorte de cloche à plongeur, que notre araignée s'enferme, épiant au passage les petits êtres aquatiques dont elle fait sa nourriture et qu'elle vient ensuite y dévorer. Notre figure 5 donne l'aspect des argyronètes aquatiques. La première, à la surface, est dans l'attitude de la marche ; la deuxième est en train de nager ; la troisième est au repos sous sa bulle d'air. La dernière à droite est en partie engagée dans sa cloche par l'ouverture qui se trouve à la partie inférieure ; près de la surface est une cloche dans une touffe de plantes.

Fig. 5. Argyronètes aquatiqueset leurs cloches

S'il arrive que l'air s'échappe par accident, l'araignée recommence, sans impatience et sans lassitude ; elle fait de même lorsque l'air est vicié par sa propre respiration et qu'elle doit le renouveler. Elle pond dans sa cloche et enferme ses œufs dans une coque soyeuse qu'elle fixe aux fils enveloppants.

Ce fut un oratorien, le père de Lignac, qui décrivit pour la première fois les mœurs de l'argyronète, en 1744. Il l'observa dans la petite rivière de l'Huisne, près du Mans. Elle a depuis été vue dans d'autres cours d'eau ordinairement peu rapides et surtout dans des eaux dormantes. On la trouve à Versailles et à Gentilly. M. Plateau, de Gand, l'a signalée dans les fosses de cette ville, et en a envoyé quelques-unes à M. Blanchard, de l'Institut, qui, à son tour, les a observées dans son laboratoire et a contrôlé l'exactitude des observations du père de Lignac. Depuis, M. Poujade a fait de nouvelles et intéressantes observations qui ont confirmé les anciennes.

Félix Hément, La Nature, 1890, dix-huitième année, deuxième semestre, p. 295-298.


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