Vers la page d'accueil d'OPIE-Insectes    


Les insectes de la Belle Époque

Conseils aux amateurs d’histoire naturelle
La chasse aux papillons

(suite)

Vers la 1ère partie de l'article

Les papillons préparés sont piqués dans les boîtes de collection (fig. 1). Ici chacun fait comme il l’entend, les uns aiment les grandes boîtes, d’autres les préfèrent petites ; la forme en tiroirs vitrés est généralement employée. Quels que soient leur volume et leur forme, le fond doit en être liégé, recouvert de papier blanc, et le couvercle vitré afin qu’on puisse voir les insectes sans être obligé d’ouvrir la boîte. Cette précaution est loin d’être inutile, l’air que l’on comprime en refermant fréquemment le couvercle pèse sur les ailes des papillons, les ébranle et finit par les détacher. Les pinces à piquer (fig. 2) sont indispensables pour le rangement et le maniement des insectes.

Fig. 1.  - Vue d'une boîte à collection de papillons.

Fig. 2. - Pinces à piquer. Fig. 3. - Tube à benzine.

Si l’on parvient à s’apercevoir qu’un ou plusieurs papillons soient attaqués par les insectes ravageurs des collections, ce que l’on reconnaîtra à un tas de fine poussière brune amassée sous lui, il faut immédiatement retirer les sujets contaminés de la boîte. On les met passer quelques heures dans le large flacon à cyanure, ou, s’ils sont trop grands, dans une boîte hermétiquement close contenant un chiffon ou une éponge imbibée de benzine ou de sulfure de carbone. Les émanations ne tardent pas à tuer le parasite que l’on trouve généralement au fond de la boîte quelques heures après l’introduction du papillon attaqué. Il sera du reste prudent de faire passer une douzaine d’heures dans ce lazaret à tous les papillons déjà préparés que quelque acquisition ou quelque échange pourront amener dans la collection.

Il est de bonne précaution de mettre dans un des coins de chacune des boîtes de la collection un petit tube qu’une bande de papier collée autour de sa panse permet de fixer sur le fond liégé au moyen d’une épingle, tube contenant du coton que l’on imbibe de temps en temps de benzine, de sulfure de carbone (fig. 3). Aux délicats à qui répugnent ces substances infectes, nous indiquons l’usage de l’essence de serpolet ou d’une huile provenant d’une plante de Malaisie, le kayoupœti que les pharmaciens commencent à débiter : ces deux essences ont l’avantage d’avoir une odeur forte, pénétrante, sans être désagréable, et suffisent à éloigner les insectes parasites, dermestes, ptines, anthrènes, teignes (fig. 4, 5, 6 et 7), fléaux des collections, dont les larves et les chenilles dévastent, dans leur voracité aveugle, les plus belles pièces, dévorant les corps et trouant même les ailes des papillons.

Fig. 4. Dermestes, a. Insecte parfait ; b. Larve ; c. Nymphe. - Fig. 5. Ptine. - Fig. 6. Anthrène, a. Insecte parfait ; b. Larve.  Un trait à côté de chaque figure indique la grandeur réelle.

Le camphre est une substance d’une utilité contestable, mais dont l’usage doit être complètement rejeté, car cette matière renfermée dans les boîtes ne tarde pas à s’y sublimer et à recouvrir les insectes d’une fine couche blanche qui produit le plus mauvais effet ; nous lui préférons la naphtaline. A rejeter aussi ce moyen déplorable consistant à enduire le dessous du papillon de savon arsenical (savon de Bécœur) empouacrant les pattes, graissant la base des ailes et n’empêchant pas l’insecte ainsi gâté d’être attaqué par cet autre fléau des collections, les Acarus. Ces petits animalcules (fig. 8), s’installant en masse sur le corps du papillon ne tardent pas à donner aux gros bombyciens ou autres lépidoptères poilus, un aspect mouillé, luisant, produisant le plus triste effet. Il semblerait que le papillon ainsi attaqué a été trempé dans l’huile ; les amateurs, pour définir cet état de choses, ont une expression consacrée : on dit que le papillon est tourné au gras.

Fig. 7 et 8. - Les ennemis des collections. Fig. 7; Papillon attaqué, a. Larve de la teigne : b. Teigne à l'état parfait ; b'. Teigne grossie. - Fig. 8. Acarus, très grossi.

Heureusement qu’il existe un remède souverain et facile à appliquer. On plonge le papillon contaminé dans de la benzine, de manière à ce qu’il y baigne complètement, puis on le pique dans une petite boîte remplie d’argile smectique (terre à foulon ou terre de Sommières) finement broyée et tamisée, et on le recouvre complètement de la même substance (fig. 9). Un jour, quarante-huit heures au plus, suffisent pour mener à bien l’opération. On peut alors retirer le papillon qu’on époussette soigneusement avec un pinceau très doux, et l’on s’aperçoit alors qu’il est redevenu aussi frais qu’avant l’accident.

Fig. 9. - Traitement d'un papillon tourné au gras.

Il est un ennemi plus terrible, plus facile à éviter qu’à combattre, et contre lequel il est peu de remèdes : nous entendons parler de la moisissure, triste apanage des collections disposées dans les maisons humides. On peut essayer de nettoyer les insectes attaqués avec de l’alcool absolu, avec de l’éther. Pour éviter les Acarus et la moisissure, il faut tenir sa collections dans un endroit sec et la visiter fréquemment.

Il arrive souvent qu’un accident malheureux amène chez les papillons la rupture d’une partie du corps fragile : une antenne se détache, une patte se brise, parfois un abdomen tombe, et, chose plus grave, une aile se déchire. Les parties ainsi séparées se recollent avec de la gomme laque dissoute dans de l’alcool à consistance sirupeuse. Cette substance a l’avantage de prendre sur les parties poilues et écailleuses, de sécher rapidement et d’être à peu près insensible à l’humidité, de telle sorte que les insectes ainsi recollées peuvent être facilement ramollis. Pour séparer les ailes, il est bon de ramollir préalablement le papillon et de le réparer sur l’étaloir en ayant eu soin de ramollir également les morceaux détachés ; une fois qu’à l’endroit recollé la gomme laque est bien sèche, on étale le papillon comme précédemment. Cette méthode a l’avantage d’éviter les boursouflures, les gondolements des parties recollées.

Si quelque insecte parasite a fait un trou dans le corps du papillon pour s’échapper au dehors, on peut le boucher en mélangeant des poils de laine de couleur appropriée, finement hachée, avec de la gomme laque et en appliquant cet enduit sur le trou ; quelques touches de peinture habilement données concourent à donner un résultat satisfaisant ; il est même possible , par cette méthode, de refaire des fragments entiers d’abdomen brisés et perdus. Il est des amateurs qui sont arrivés dans ces réparations à une habileté prodigieuse ; tel fut feu notre collègue Poujade, préparateur au Muséum de Paris, et A.-L. Clément et M. Fallou.

Le classement de la collection doit être aussi méthodique que possible. Des étiquettes de dimension et de forme variant suivant le goût de chacun portent les noms de genre, d’espèce ; de plus grandes portent ceux des familles (fig. 10). On les fixe dessus ou dessous chaque rangée d’individus avec des épingles courtes les assujettissant au fond de la boîte (épingles camions), ou bien on les monte sur des épingles plus longues au moyen d’un support en liège ou en moelle de sureau sur lequel on les colle alors que la tête de l’épingle se trouve prise dans le support, la petite construction formant table à un seul pied. Cette disposition a l’avantage de présenter les étiquettes dans les boîtes à la même hauteur que les papillons, ce qui donne une meilleure vue d’ensemble et économise de la place.

Il est également très utile de piquer à l’épingle supportant le papillon une petite paillette de papier sur laquelle on inscrit la provenance du sujet (fig. 11), localité, date de la cature, mois et année ; si c’est par échange qu’on s’est procuré l’insecte, indiquer de quelle collection il vient, etc. Toutes ces indications sont fort utiles ; faute de les posséder, une collection perd de son intérêt et de sa valeur. « Ce n’est, en effet, que d’après les localités ainsi inscrites dans les collections et relevées par les auteurs, que l’on a pu faire les faunes et surtout les faunes locales dont l’importance est si grande. »

Il est bon de tenir aussi au courant un cahier de chasse où l’on inscrit, au retour de chaque excursion, le nom et le nombre de ses captures, la date exacte, le lieu de prise et les renseignements de meurs que l’on a recueillis. Mais ce livre n’exclut en rien l’établissement de paillettes individuelles ; en effet, on peut faire sur son livre une erreur de détermination, confondre des espèces voisines, tandis que l’insecte ayant sa paillette à son épingle porte avec lui son état civil ; sa détermination peut changer, sa provenance et sa date de prise sont toujours les mêmes.

Maurice Maindron; La Nature, 2e semestre 1888, p. 203-206

Vers la 1ère partie de l'article

__________

À voir sur ce site : Les outils de l'entomologiste et, au fil des livraisons d'Insectes, la série Capture et collections.



Les insectes de la Belle Époque

Vers la page d'accueil d'OPIE-Insectes