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Les insectes de la Belle Époque


LE VER A SOIE DES PINS


On a plusieurs fois cherché à utiliser pour l'industrie la soie de diverses espèces indigènes, et je me souviens avoir vu autrefois une paire de gants en grosse soie brune cardée de notre Grand Paon de nuit. Au moment où l’industrie lyonnaise est en souffrance par suite de la maladie persistante qui décime nos vers à soie du mûrier, on a pensé à utiliser la matière textile d'un autre Bombycien, commun souvent dans nos bois de pins au point de devenir un fléau. C'est la Processionnaire du pin, espèce qui tire son nom vulgaire de l'habitude qu'ont ces chenilles de sortir en procession du nid commun qui abrite le phalanstère, afin d'aller dévorer ensemble les feuilles des pins. Une d'elles ouvre la marche et les autres la suivent en file, plusieurs sur le même rang; deux, puis trois, puis quatre, etc. Elles laissent sur les arbres une trace de fils de soie qui leur sert à regagner le nid lorsqu'elles sont repues. Taudis que les nids de l'espèce congénère, la Processionnaire du chêne, si commune en certaines années an bois de Boulogne, sont d'un tissage grossier, appliqués contre l'arbre et se confondant en partie avec la couleur de l'écorce, ceux du Bombyx du pin, au contraire, sont suspendus, dans les branches, de formes grossièrement ovoïde, comme des obus blancs, atteignant ordinairement la grandeur de la tête. Parfois ces nids sont si nombreux que les pins, vus de loin, paraissent chargés de grosses boules de neige, et que les branches, à l'extrémité desquelles ils sont suspendus, plient sous leur poids. Le tissu de ces nids est léger, d'une grande finesse, à fils de soie longs et solides, avec un mélange de peaux des mues des chenilles, de feuilles et de bourgeons de pin.
Dans un mémoire présenté à la Sociétés des sciences industrielles de Lyon (Les Bombycides, et en particulier le Bombyx pityocampa, br. in-8°, Lyon, 1876), M. Mary des Forts, appelle l'attention sur les moyens d'utiliser ces nids soyeux. Ils peuvent être nettoyés à bon marché par des lessivages à froid ; et si on les recueille au printemps, quand les chenilles sont sorties, on n'a pas à craindra les urtications qui accompagnent leur maniement pendant les chaleurs de l'été. On ne peut les dévider; mais ils fournissent au cardage une filoselle pouvant produire pour la chaîne des étoffes d'une grande solidité, capables d'acquérir, à l'eau froide, une blancheur parfaite, permettant la teinture à l'eau tiède. Un inconvénient fort grave, déjà reconnu par Réaumur, c'est qu'à l'eau bouillante, cette soie se dissout et donne une sorte de résine grasse. Les étoffes ne pourraient donc être blanchies ou dégraissées qu'à l'eau tiède ou froide, ce qui arrive à beaucoup d'étoffes de soie commune, qui ne supportent que la teinture tiède et le lavage ou le dégraissage à l'eau froide.
Nous rappellerons qu'au Mexique, dans la région tempérée, on obtient des tissus très-réguliers avec les grandes poches blanches en fuseau qui servent à la nidification en commun du Bombyx psidii, Sallé, sur les chênes et sur les goyaviers. A Madagascar, les nids soyeux des chenilles sociales du Bombyx radama sont cardés et tissés par les indigènes, et fournissent des étoffes remarquables par leur éclat et leur solidité. Il est fort intéressant pour notre industrie de rechercher de nouvelles matières soyeuses textiles, et nous ne devons pas dédaigner des soies bien inférieures à celles du ver du mûrier, surtout quand leur récolte a lieu sans aucuns frais. Il est probable que des moyens chimiques pourront augmenter la résistance à l'eau chaude de la filoselle des Processionnaires du pin, et peut-être pourra-t-elle être utilisée par mélange à la laine ou au coton. Les caprices continuels de la mode peuvent donner de la valeur à des étoffes de qualité inférieure, si elles se prêtent à certaines combinaisons de nuances, d'éclat, de résistance ou de souplesse. Il y a là des essais à continuer.

M. Girard, La Nature  1er sem 1877,  p. 147.


Processionnaire du pin : Thaumetopoea pytiocampa (Lép. Thaumétopoéidé) – voir « Les processionnaires », par Alain Fraval. Insectes n° 147 (2007)


Bombyx psydii : Eutachyptera psidii (Lasiocampidé)
Bombyx radama : Cerodirphia radama (Saturniidé)
Grand Paon de nuit : Saturnia pyri (id.)
Processionnaire du chêne : T. processionnea (Thaumétopoéidé)



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